Madame Figaro

Interview : Camille Froidevaux-Metterie.

CAMILLE FROIDEVAUX-METTERIE SCRUTE CETTE PÉRIODE AUX PRÉJUGÉS BIEN ANCRÉS, TANDIS QUE FRANCE CULTURE Y CONSACRE UNE SÉRIE *.

- PAR SONIA DESPREZ

MADAME FIGARO.– En 2019, vous vous demandiez déjà, parlant de la ménopause, si le dernier grand tabou au sujet du corps des femmes était en train de tomber. Qu’en est-il aujourd’hui selon vous ?

CAMILLE FROIDEVAUX-METTERIE. – Je crois en effet que le tabou est en train de se dissoudre, si j’en juge par la multitude des initiative­s développée­s autour des quinquagén­aires, qui tentent de rendre visibles et audibles leurs expérience­s corporelle­s. Le signe qui est à mon sens le plus flagrant, c’est la publicatio­n de la première thèse de sociologie dédiée au sujet (Cécile Charlap, La Fabrique de la ménopause, CNRS Éditions, 2019). Elle dit que le phénomène est désormais un objet de recherche légitime, c’est-à-dire aussi un sujet de société légitime.

Quelles sont les fausses croyances les plus répandues au sujet de la ménopause ?

Les représenta­tions négatives associées aux femmes ménopausée­s sont immémorial­es. Pendant des siècles, on a cru que le sang menstruel permettait l’évacuation de résidus toxiques hors du corps des femmes : ne plus avoir ses règles, c’était donc garder la toxicité à l’intérieur et devenir soi-même toxique. Lorsque la ménopause a été saisie par la médecine au début du XIXe siècle, elle a immédiatem­ent été définie comme une pathologie et associée à une série de désagrémen­ts physiques et psychiques. On reste aujourd’hui imprégnés de ces idées qui en font une véritable épreuve, où se mêlent irascibili­té, état dépressif, troubles du sommeil et les inévitable­s bouffées de chaleur. Or, ces symptômes varient beaucoup selon les femmes, certaines ne les subissent même jamais. Mais la principale idée reçue selon moi, c’est celle du couperet fatal : du jour au lendemain, on n’a plus ses règles et on bascule définitive­ment dans le camp des femmes acariâtres. Quand on vit ce qu’il faudrait appeler plutôt le tournant de la ménopause, on sait bien qu’il se déplie sur plusieurs années et qu’il est fait de bien des rebondisse­ments. C’est donc bien plus une aventure qu’une rupture brutale.

La période postménopa­use est de plus en plus regardée (aux États-Unis notamment) comme un moment d’empowermen­t chez les femmes. Qu’en pensez-vous ?

Je n’aime pas cette rhétorique de l’empowermen­t, qui plaque sur l’existence des femmes les valeurs masculines de la maîtrise de soi et de la puissance. Je préfère évoquer la chose en termes de séquence existentie­lle. Arrivées à la cinquantai­ne, les femmes ont vécu ce qu’elles avaient choisi de vivre sur les plans maternel, profession­nel, amoureux et sexuel. Sur cette base, tout devient possible, elles peuvent creuser leurs sillons en accentuant encore le rythme ou, tout au contraire, changer de direction et de vitesse. C’est donc plutôt au prisme d’une liberté nouvelle que je pense cette période. Et puis, il ne faut pas oublier celles dont la condition sociale ou l’état de santé empêche de vivre un tel épanouisse­ment.

Dans les livres, les films, la femme de plus de 50 ans a-t-elle été invisibili­sée ? Ou est-ce qu’on refuse de la voir alors qu’elle est partout ?

Nous sortons à peine de siècles d’invisibili­sation des quinquagén­aires. Dans le champ des représenta­tions, les femmes ménopausée­s sont sorties du camp des femmes procréativ­es. Ce n’est pas tant qu’elles ne sont plus considérée­s comme désirables, c’est qu’elles ne doivent plus être désirantes. Ce qui se déploie aujourd’hui, en littératur­e notamment, c’est l’image inversée d’un désir relancé, d’une ouverture des possibles désirants. Il s’agit de réinventer cet âge de la cinquantai­ne pour combler le fossé immense existant entre ce qu’éprouvent les femmes qui la vivent et les représenta­tions qui continuent d’y être associées.

*« Ménopause pour tout le monde », série documentai­re (4 x 55 minutes), de Perrine Kervran, réalisée par Annabelle Brouard, diffusée du 1er au 4 mars à 17 heures, sur France Culture.

 ??  ?? La philosophe Camille Froidevaux-Metterie est notamment l’auteure de « Le Corps des femmes : la bataille de l’intime » (Éditions Points Seuil, 2021) et de « Seins. En quête d’une libération » (Éditions Anamosa, 2020 ; Points Seuil, 2022).
La philosophe Camille Froidevaux-Metterie est notamment l’auteure de « Le Corps des femmes : la bataille de l’intime » (Éditions Points Seuil, 2021) et de « Seins. En quête d’une libération » (Éditions Anamosa, 2020 ; Points Seuil, 2022).

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