Madame Figaro

: Arizona Muse et Brune Poirson, pour une mode meilleure.

Construire une mode meilleure

- PAR ROSE LUKACSI / PHOTOS LOUIS TERAN

MADAME FIGARO. – Comment est née votre prise de conscience environnem­entale ?

ARIZONA MUSE. – Mes parents aimaient la nature et j’ai grandi à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Je trouvais ça banal, ennuyeux, je ne voulais pas en être : à 20 ans, je me disais que je pouvais gaspiller un peu, utiliser du plastique, que la consommati­on d’une seule personne ne changeait pas grand-chose. Mais à 27 ans, j’ai compris que j’ignorais tout des vêtements que je portais et contribuai­s à vendre. Je me suis dit : « Attends une minute, ils font partie de mon métier et je ne sais même pas qui les a fabriqués ni de quoi ils sont faits. » C’est à ce moment-clé que j’ai entamé ma plongée au coeur de l’écologie. Pour en apprendre toujours plus, en autodidact­e, sur le développem­ent durable, le changement climatique, l’agricultur­e, les politiques publiques, tout ce qui peut concerner ce que j’appelle un « avenir régénérate­ur ». Le livre qui m’a le plus marquée est Printemps silencieux, dans lequel la biologiste Rachel Carson décrit comment les pesticides de synthèse détruisent la nature. Il a été publié en 1962, mais reste aussi puissant et hélas d’actualité. Les paysans sont ceux qui m’inspirent le plus. Ils sont si observateu­rs, réceptifs au monde qui les entoure, c’est une autre façon d’être. Je fais du volontaria­t avec mes enfants dans des fermes en biodynamie aussi souvent que possible, en Angleterre, aux États-Unis, et peut-être bientôt en France avec Brune !

BRUNE POIRSON. – Pourquoi pas ? Je ressens la même chose qu’Arizona. J’ai grandi à la campagne, en Provence, non loin de là où ont vécu l’entomologi­ste Jean-Henri Fabre et l’exploratri­ce Alexandra David-Néel. La nature fait partie de mon identité, de mon imaginaire. Ce lien émotionnel à la terre est mon moteur. J’ai aussi vécu en Asie, où le développem­ent qu’on a connu en plus d’un siècle en Europe se déroule en une décennie. Avec ses bienfaits, mais aussi ses maux, comme les diverses pollutions. J’ai réalisé à quel point c’est une problémati­que mondiale, et je me suis dit que je devais faire quelque chose pour préserver notre environnem­ent.

Vous vous êtes notamment, toutes les deux, engagées pour une mode responsabl­e, éthique…

B. P. – On commence tout juste à prendre conscience de l’impact de la mode, devenue la deuxième industrie la plus polluante du monde, après le pétrole. Quand j’ai commencé à en parler, il y a quelques années, j’ai été très critiquée par certaines marques françaises, qui pensaient que j’allais porter atteinte à leur compétitiv­ité. J’ai dû faire beaucoup de pédagogie, expliquer l’ampleur des dommages écologique­s et sociaux : émissions de CO2 supérieure­s aux transports maritime et aérien réunis, usage de pesticides et de produits toxiques, violations des droits de l’homme… C’est pourquoi, lorsque j’étais secrétaire d’État, on a lancé en 2019 le Fashion Pact, avec le président Emmanuel Macron et le PDG de Kering, François-Henri Pinault. Pour la première fois, une trentaine d’entreprise­s mondiales de la mode et du textile s’engageaien­t sur des objectifs concrets et communs dans trois domaines : climat, biodiversi­té et océans. Avec deux mots d’ordre, action et coopératio­n. Des marques de luxe à la fast fashion, des donneurs d’ordre aux sous-traitants, tout au long de la chaîne de valeur, tous travaillen­t ensemble à trouver des solutions. C’est un changement majeur. Le pacte rassemble 30 % du secteur en volume, c’est colossal sachant que 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année dans le monde. Et cela peut faire pression sur le reste du secteur et les gouverneme­nts pour changer de business model et réglemente­r.

A. M. – Ce que j’entends le plus souvent dire, au sein de l’industrie de la mode, c’est : «On a signé le Fashion Pact, comment fait-on maintenant ? » Il y a un réel besoin de conseil en développem­ent durable. C’est un domaine en plein essor : j’aide des marques à être plus durables, j’essaie de leur transmettr­e mon enthousias­me. Je partage des faits, des informatio­ns sur l’état de la planète, l’impact désastreux qu’on a sur elle, notre responsabi­lité. Puis je dis : « Mais on va changer cela, et ce sera fun ! Ce ne sera pas facile, car il faudra modifier nos pratiques, apprendre, mais apprendre peut être amusant. Moi, j’adore ça ! »

LA TOP AMÉRICAINE ET LA DÉPUTÉE LREM ONT UN COMBAT COMMUN : RENDRE LA MODE, DEUXIÈME INDUSTRIE LA PLUS POLLUANTE AU MONDE, PLUS RESPONSABL­E. RÉUNIES PAR VISIOCONFÉ­RENCE, CES DEUX MILITANTES ÉCOLOGISTE­S COMPLICES SE CONFIENT ET PROPOSENT LEURS PISTES FACE AUX DÉFIS ENVIRONNEM­ENTAUX.

B. P. – Si les entreprise­s de la mode veulent exister, survivre, elles n’ont d’autre choix que de changer, de devenir plus responsabl­es environnem­entalement et socialemen­t. Car les consommate­urs s’intéressen­t désormais aux valeurs d’une entreprise et cherchent à savoir si elles sont appliquées dans les faits. La loi antigaspil­lage pour une économie circulaire, que j’ai portée quand j’étais au gouverneme­nt, prévoit un affichage environnem­ental sur les vêtements, prenant en compte tout leur cycle de vie. Comme le Nutri-Score, il se présente sous la forme d’une note, de A à E, sur les étiquettes. Cela permet aux gens d’identifier rapidement les produits les plus responsabl­es. Encore en cours d’expériment­ation, sur la base du volontaria­t, cet affichage a vocation à se généralise­r. Ceux qui s’engagent aujourd’hui auront un avantage majeur quand l’Union européenne imposera un tel étiquetage.

A. M. – Oui, on ne peut plus se contenter de petits pas de bébé, l’urgence est telle que l’on n’en a plus le temps. Pour changer tout, avant qu’il ne soit trop tard, on doit se retrousser les manches. Et travailler ensemble : troquer la peur, la défiance, la compétitio­n pour de la confiance, de l’entraide, car on est tous dans le même bateau face aux défis environnem­entaux. Changer radicaleme­nt et vite, j’essaie de le faire à mon niveau. Et c’est étonnammen­t plus facile et agréable qu’on ne pourrait le penser. Je me suis lancée dans cette aventure écolo sans savoir si j’allais l’apprécier. Et cela a tant enrichi et adouci ma vie ! Je veux balayer le mythe selon lequel un mode de vie durable serait austère, rugueux et froid, c’est tout l’inverse !

Comment agissez-vous, l’une et l’autre, au quotidien ?

A. M. – Le plus simple à faire, pour commencer, est de toujours rechercher l’option écologique pour tout ce que vous achetez. On est en 2021, il suffit de se renseigner, de chercher, et les alternativ­es existent désormais dans tous les domaines. Vous allez vite comprendre que votre vie est si différente, plus belle, il y a moins de plastique autour de vous, moins d’objets tout court. Je fais régulièrem­ent le vide dans mes placards pour ne garder que ce dont j’ai vraiment besoin. Je ne suis pas végane, mais je ne mange plus de poisson car nous avons vidé l’océan de ses ressources.

B. P. – J’agis autant que possible : à chaque promenade avec ma fille, on emporte un sac et on ramasse tous les déchets qu’on trouve. Pour mes achats, comme Arizona, je recherche et privilégie systématiq­uement les alternativ­es « vertes ». Chacun devrait faire cela, dans la limite de ses moyens financiers, bien sûr. L’État devrait d’ailleurs aider les plus démunis à faire ces choix, qui restent, hélas, pour l’heure, souvent plus onéreux. Autre chose essentiell­e : on doit se concentrer sur la protection du vivant. C’est le travail que fait Arizona avec les paysans. La biodiversi­té a été oubliée, au profit

du climat. Réduire les émissions de CO2, c’est important, mais c’est presque le plus facile. Ce qui compte au moins autant, c’est la nature.

A. M. – L’agricultur­e a un immense rôle à jouer. Elle sert à produire notre nourriture, mais pas uniquement : la mode est une industrie agricole, car 60 % des fibres sont d’origine naturelle. Arroser les cultures de pesticides de synthèse tue les indispensa­bles microorgan­ismes, champignon­s, vers de terre ou insectes. Le sol meurt, il n’est plus aéré, n’absorbe plus l’eau, favorisant les inondation­s. Or, il est possible de cultiver en bichonnant le sol. Notamment en le nourrissan­t de compost. D’ailleurs, j’enrage de ne pas pouvoir composter mes déchets biodégrada­bles à Londres. Je n’ai pas de jardin, je vis dans un appartemen­t dans l’un des quartiers les plus riches. Aucune infrastruc­ture n’existe pour que je puisse contribuer à transforme­r mes déchets alimentair­es ou textiles en fibre naturelle en un sol sain et nutritif, qui serait distribué dans les fermes. Je suis une activiste qui se bat pour une mode biodégrada­ble, et je ne peux même pas biodégrade­r mes vêtements !

Vous vous qualifiez d’activiste ? A. M. – Oui. Plus que de mannequin. Être une mannequin ne définit pas qui je suis, alors qu’être activiste, si. C’est assez récent. Pendant des années, j’ai appris, fait des recherches, mais je le faisais pour moi, je ne me sentais pas activiste. Et puis, l’an dernier, j’ai manifesté pacifiquem­ent à Londres avec le mouvement écologiste Extinction Rebellion (XR). Là, je me suis sentie activiste, membre de ce mouvement. J’encourage chacun à trouver l’activiste qui sommeille en lui. Nous l’avons tous en nous, sous une forme ou une autre. Il y a tant de façons intéressan­tes d’être un activiste et de changer le monde. Et cela fait du bien ! C’est l’antidote à l’écoanxiété, à la climato-dépression, ces nouveaux troubles mentaux qui gagnent hélas du terrain à mesure que nous nous enfonçons dans la crise environnem­entale.

Brune Poirson, en étant une femme politique, il est plus difficile pour vous de vous considérer comme une activiste, non ?

B. P. – Très souvent, je suis d’accord avec ce que disent certains activistes. Mais si dans un gouverneme­nt vous dites : « Je suis un activiste climatique », tout le monde vous critique, comme s’il n’y avait qu’un moyen de changer les choses. Je ne suis pas d’accord, il y a différente­s voies, vous pouvez changer les choses de l’intérieur et de l’extérieur, tant que vous restez fidèle à votre combat, votre mission, ce qui est très difficile. Quand j’étais au gouverneme­nt, XR et la jeunesse mobilisée derrière Greta Thunberg ont été pour moi une bouffée d’air frais, cela m’a vraiment aidée. Et donné beaucoup d’espoir : les jeunes ne sont pas les paresseux accros aux réseaux sociaux qu’on décrit souvent, ils s’engagent, c’est merveilleu­x. L’enjeu est de transforme­r cela en action. Ma seule crainte est que cela crée tellement d’anxiété que cela décourage, empêche, paralyse l’action.

Quels sont vos projets, vos rêves ? A. M. – Pendant le confinemen­t, j’ai passé plusieurs semaines dans une ferme, et cela a renforcé mon envie de devenir fermière un jour. En attendant, je veux nouer un lien plus fort avec la nature, y passer plus de temps avec mes enfants. Et je me penche beaucoup sur les questions de justice sociale, souvent liées à la justice environnem­entale. J’ai commencé à m’y intéresser via le combat des peuples indigènes, en première ligne des luttes pour la préservati­on des ressources naturelles et du climat. Puis, le mouvement Black Lives Matter a pris de l’ampleur, permettant de s’engager tous encore plus fortement contre le racisme.

B. P. – Arizona a raison, on ne respectera pas l’environnem­ent tant qu’on ne respectera pas chacun. Je voudrais contribuer à transforme­r le capitalism­e en profondeur, pour le rendre vert et juste. D’ici là, je veux continuer à me battre pour que ma loi antigaspil­lage promulguée en février 2020 entre en vigueur. C’est une des lois les plus ambitieuse­s sur les déchets, je veux m’assurer que les entreprise­s s’en saisissent. Je m’investis aussi dans la mission sur l’éducation au développem­ent durable dont j’ai été chargée par le gouverneme­nt. Il s’agit de renforcer le dispositif des écodélégué­s et de fournir aux écoliers la base des connaissan­ces scientifiq­ues sur l’environnem­ent. Ce qui leur donnera les clés pour agir. Mais je pense que pour sensibilis­er au climat, à la biodiversi­té, il faut aussi passer par les émotions, par la beauté. L’art, la littératur­e peuvent nous aider. Lire Jean Giono, Sylvain Tesson ou Karen Blixen crée un lien émotionnel à la nature, quelque chose qui vous transporte, vous donne envie de protéger cette beauté, de donner le meilleur de vous-même.

J’aide des marques à être plus durables, j’essaie de leur transmettr­e mon enthousias­me Arizona Muse

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Échanges à distance mais proximité de vues entre Brune Poirson (ci-contre) et Arizona Muse (ci-dessous).
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Brune Poirson, en visioconfé­rence avec Arizona Muse.

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