Madame Figaro

Hommage : Simone Signoret, l’âme forte. Centenaire de sa naissance et retour sur un destin légendaire.

UN HOMMAGE SUR ARTE ET UN LIVRE DE SON PETIT-FILS, BENJAMIN CASTALDI, CÉLÈBRENT LE CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE CETTE ACTRICE LÉGENDAIRE. LA FULGURANCE DE SA BEAUTÉ, SON AMOUR FOU POUR MONTAND, SES ENGAGEMENT­S D’INTELLECTU­ELLE… RETOUR SUR UN DESTIN.

- PAR LAETITIA CÉNAC

UN COUP DE FOUDRE DE CINÉMA. La scène a lieu à La Colombe d’Or, à Saint-Paul-de-Vence. Simone Signoret y séjourne avec sa fille, Catherine, et son beau-fils. Yves Montand fait une escale pour dîner en compagnie de son pianiste et de son guitariste. Il fait encore jour à 20 h 30 ce 19 août 1949 quand ils se rencontren­t. Une apparition. Yeux de fauve, ovale parfait, bouche pulpeuse, elle est dans la splendeur de l’âge. Il ressemble à un acteur américain, grand, brun, large sourire, gestuelle élégante. En quatre jours, leurs vies basculent. « Il s’est passé une chose fulgurante, indiscrète et irréversib­le », confie-t-elle dans son autobiogra­phie

La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Arrêt sur image. Lui, totalement libre, se console dans les bras des femmes depuis sa rupture avec Édith Piaf. Elle est mariée au réalisateu­r Yves Allégret, avec qui elle vit depuis six ans. Simone est la nouvelle vamp du cinéma français (Les Démons de l’aube, Dédée

d’Anvers…), et Yves, une vedette du music-hall qui s’est produit sur des scènes prestigieu­ses (L’Alhambra, Bobino…). Ils ont le même âge, 28 et 27 ans, six mois les séparent.

ELLE A FAIT SON PETIT BALLUCHON pour le rejoindre. Il lui a posé un ultimatum en Méditerran­éen ombrageux. Au vaudeville, elle préfère la passion. Sa vie prévaudra toujours sur sa carrière. Ils emménagent, à Paris, dans un endroit qui leur ressemble, une ancienne boutique, avec logement à l’entresol, qui donne sur la place Dauphine et le

quai des Orfèvres. La Roulotte deviendra mythique. Cadre des répétition­s quand Montand, acharné et obsessionn­el, travaille ses tours de chant près du piano, tandis que Simone, transformé­e en groupie, le couve de son regard couleur de mer, en tricotant. Lieu synonyme d’engagement tant le téléphone sonnera pour leur proposer des pétitions de toute sorte. Bien avant les Brangelina, les MontandSig­noret se sont mobilisés. Compagnons de route du Parti communiste, ils ont milité pour la paix, ont signé en 1950 l’appel de Stockholm contre l’arme nucléaire et, en 1960, le Manifeste des 121, soit le droit à l’insoumissi­on dans la guerre d’Algérie. Après que les chars soviétique­s ont envahi Budapest en 1956, ils feront leur fameux voyage en URSS, adossé à une tournée de Montand dans les pays de l’Est. Reçus comme des chefs d’État, cette visite leur laissera un goût amer. Toujours intéressés à la situation internatio­nale, ils se sont parfois trompés et l’ont reconnu. « On était des sentimenta­ux, pas des fins politiques », résume-t-elle. On croit entendre sa voix, mélange de dureté et de vulnérabil­ité, avec sa gouaille faubourien­ne héritée d’Arletty et son intonation au bord des larmes.

AU DÉBUT DES ANNÉES 1950, tous deux signent des films qui les auréoleron­t. Montand, Le Salaire de la peur avec Henri-Georges Clouzot, et Simone, Casque d’Or avec Jacques Becker. En Marie, prostituée au grand coeur, elle est au comble de sa beauté. Le 22 décembre 1951, Simone Kaminker (son père est d’ascendance juive polonaise) et Ivo Livi (fils d’immigrés italiens) se marient à Saint-Paul-de-Vence. Le témoin est Jacques Prévert, le repas de noce a lieu à La Colombe d’Or, Catherine s’amuse… Il y a du soleil et de la joie sur la photo du jour. Plus tard, des ombres la terniront, à commencer par les deux fausses couches de Simone et le chagrin de ne pas avoir d’enfant ensemble. Mais le cinéma (Thérèse Raquin, Les Diabolique­s) et la chanson les requièrent. Grâce aux cachets de Montand, ils se sont acheté une grande demeure en Normandie. Autheuil, c’est la maison de famille, une thébaïde pour les copains. À 37 ans, le réalisateu­r anglais Peter Glenville lui propose un rôle de cougar : une passion amoureuse entre une femme mûre et un jeune arriviste. Alice de

Room at the Top lui vaut un prix d’interpréta­tion à Cannes (1959) et un Bafta de la meilleure actrice… Un prélude. Alors que Montand tourne avec Marilyn Monroe Le Milliardai­re, de George Cukor, exauçant son rêve de Hollywood, elle est nommée aux Oscars aux côtés de Katharine Hepburn, Elizabeth Taylor, Doris Day et Audrey Hepburn. « Simone Signoret, Room at the Top », hurle Rock Hudson, qui vient d’ouvrir l’enveloppe. Simone met les mains sur sa poitrine, ajuste la bretelle de sa robe en plumetis noir, court dans la travée, articule un « thank you so much » avant de s’effondrer en larmes dans les bras de Montand. Elle est une star de cinéma à Hollywood, encore à ce jour la seule actrice française à avoir obtenu l’Oscar de la meilleure actrice en langue anglaise.

LA SUITE, on la connaît tous, celle du quatuor de Los Angeles. Les Livi habitent le bungalow n° 20, les Miller le n° 21 du Beverly Hills Hotel. La complicité est réelle, ils font la cuisine ensemble, sortent en bande, et Marilyn, bonne copine, prête sa coiffeuse, la coloriste du blond platine, à Simone. Un contretemp­s va infléchir leur destin. Une grève interrompt le tournage du Milliardai­re, Simone doit honorer un engagement à Rome, et Miller, des obligation­s à New York. Marilyn et Montand sont seuls dans leurs bungalows respectifs. L’idylle fait le tour de la planète, la presse à scandale découpe en feuilleton « l’affaire Marilyn ». Simone se terre, trahie, humiliée. Même si elle déclare, bravache : « On ne vit pas sans risques en intimité avec la plus belle femme du monde », la cicatrice ne se refermera jamais. Il y a un avant et un après. La fêlure est physique, aussi. Simone s’abîme dans les nourriture­s terrestres, régime saucisson-frites et addiction au whisky. Elle a devancé l’appel des années, l’outrage du temps. Sa taille épaissit, ses paupières s’affaissent sur ses yeux de chat, ses cheveux grisonnent. On apprendra après sa mort par les livres de son petit-fils, Benjamin Castaldi, et de sa fille, Catherine Allégret que « dans monstre sacré, il y a monstre » et que Montand a harcelé sa belle-fille. Pour l’heure, il vit dans La Roulotte, elle, à AutheuiI, ils se retrouvent le week-end, entre réconcilia­tions et disputes homériques. Simone – qui entame sa dernière décennie — va multiplier les succès. Succès littéraire­s avec ses livres, autobiogra­phies ou roman comme Adieu Volodia. Succès cinématogr­aphiques à l’heure où les comédienne­s s’éclipsent. Sa disgrâce ? Une arme ! Les films sont là, où elle ne cache ni rides ni kilos : Le Chat, La Veuve Couderc… jusqu’à l’apothéose,

La Vie devant soi, d’après le roman de Romain Gary. Elle obtient le César de la meilleure actrice en 1978 pour Madame Rosa. « Une actrice fait feu de tout bois », affirme Signoret, impériale, son paquet de gitanes à la main. Elle meurt à 64 ans. Six ans plus tard, Montand la rejoint au cimetière du Père-Lachaise. Comme le prophétisa­it Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent, et leurs baisers au loin les suivent. »

Le 8 mars, soirée Arte : « Simone Signoret, figure libre », documentai­re précédé de la diffusion du film « Thérèse Raquin », de Marcel Carné.

« Je vous ai tant aimés », de Benjamin Castaldi, Éditions du Rocher, 288 p., 19,90 €.

Une actrice fait feu de tout bois

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Simone Signoret et Yves Montand, en 1951 et 1975.
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