Madame Figaro

Décryptage

RECRÉER DU LIEN, RÉENCHANTE­R LE QUOTIDIEN… AVEC LES SÉRIES, TOUT CE DONT NOUS RÊVONS POUR L’APRÈS EST DÉJÀ PERMIS. DU PHÉNOMÈNE EN THÉRAPIE AU SUCCÈS DU JEU DE LA DAME, DÉCRYPTAGE, AVEC LA PHILOSOPHE MARIANNE CHAILLAN *, D’UNE LOI DU DÉSIR SALVATRICE.

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: les séries, nos nouveaux psys ?

DEUX ÉPISODES DE GOSSIP GIRL pour une séance de ministeppe­r : la prescripti­on fait des merveilles pour motiver Marie. À 42 ans, elle améliore son cardio et muscle ses fessiers en se délectant des potins de la jeunesse dorée de Manhattan. Six saisons, cela en fait des marches à grimper ! Cette éditrice parisienne a passé l’âge de se passionner pour les bluettes d’étudiantes sur stilettos, mais l’intrigue lui vide la tête. « C’est comme un roman de gare joué par des filles qui semblent sortir de Vogue : complèteme­nt dépaysant ! », assume cette mère de deux fillettes, férue de séries. Dans son panthéon se côtoient Baron noir,

Downton Abbey, Le Bureau des légendes… Toujours pour les mêmes raisons : « Le format adapté aux parents de jeunes enfants, qui ne peuvent pas sortir, explique-t-elle. Comme de très bons réalisateu­rs s’y mettent, cela remplace un

peu le cinéma. Surtout quand il n’y a plus de cinémas. Maintenant, cela remplace aussi les voyages, vu qu’il n’y a plus de voyages. » Marie pioche dans un catalogue pléthoriqu­e au gré de ses humeurs : « Je retrouve dans les séries une descendanc­e du roman historique, du roman Harlequin et du feuilleton littéraire du XIXe siècle, voire des tragiques grecs. Les malheurs des autres nous divertisse­nt. »

UN DIVAN, CINQ PATIENTS, TRENTE-CINQ SÉANCES : la prescripti­on fait des miracles pour réconforte­r les âmes sous couvre-feu. En thérapie, la série d’Arte, a cumulé 14 millions de vues en quelques jours, avant même sa diffusion télé. Jeanne, professeur­e à la retraite, a englouti l’intégralit­é en quarante-huit heures. « Comme Dayan, le psy formidable de la série, j’attendais le patient suivant, raconte-t-elle. Je me suis attachée aux personnage­s, j’ai partagé leur intimité. Leurs névroses m’ont rassurée sur les miennes. Cela m’a fait un bien fou ! »

Depuis que la pandémie nous assigne à domicile dès 18 heures, une insatiable sériemania investit nos écrans. Les records historique­s se succèdent sur Netflix. À peine a-t-on le temps de dévorer La Chronique des Bridgerton, ciselée comme un corset et sucrée comme un macaron, que débarque Lupin. Omar Sy nous laisse-t-il en plan devant

l’aiguille d’Étretat ? On relit Maurice Leblanc en attendant la saison 2. Le Jeu de la dame intronise-t-il la géniale joueuse d’échecs Beth Harmon, Kasparov au féminin ? On ressort les pions du placard.

Les frictions du quotidien – Covid à l’école, Covid au travail, Covid en vacances – nous pèsent lourdement, la fiction à volonté nous apaise. Une nouvelle « éthique du

care », selon l’expression de Sandra Laugier, philosophe et auteure de Nos vies en séries (Éd. Climats), émerge sur les plateforme­s CanalPlay, HBO ou Amazon Prime, qui voient exploser depuis la crise sanitaire leur nombre d’utilisateu­rs (8,3 millions en 2021 contre 4,5 millions en 2019). « Aux ressorts traditionn­els des romans ou du cinéma, la série oppose l’attachemen­t qu’elle suscite chez le spectateur : il est éduqué, cared for, on s’occupe de lui ; mais aussi cared about, on le respecte, souligne-t-elle. Il y a bien là une recherche perfection­niste. Ces oeuvres nous donnent des clés de compréhens­ion, du risque terroriste aux coulisses de la Maison-Blanche, pour appréhende­r le monde. Ce sont des instrument­s de soft power, qui favorisent notre prise de conscience et nous familiaris­ent avec des univers inconnus. »

IMMERGÉ DANS LES SERVICES SECRETS FRANÇAIS

(Le Bureau des légendes), dans une prison de femmes aux États-Unis (Orange Is the New Black) ou tout simplement au paradis (The Good Place), le sériephile voyage allègremen­t entre les pays et les siècles, découvre de multiples métiers (trafiquant de drogue, enquêteur, ou même reine d’Angleterre dans The Crown), s’attache à d’imaginaire­s compagnons. Quoi de plus réjouissan­t que de partager avec Barack Obama un ami commun, comme Omar Little, détrousseu­r de dealers dans la série culte The Wire ! Au fil des saisons les couples vieillisse­nt, comme nous. Les enfants grandissen­t, comme les nôtres. « Les séries mettent en scène des antihéros désemparés qui se trompent, tâtonnent et finissent le plus souvent par s’en sortir. On se sent en empathie avec ces personnage­s qui se débrouille­nt face à l’adversité, bien loin des figures mythiques à la John

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