LA CHRONIQUE DE COLOMBE SCHNECK, LECTRICE ET ÉCRIVAINE
J’étais seule avec mes enfants, je venais de divorcer, il pleuvait. Pas la peine de vous faire un dessin. On passe des vacances d’hiver à Deauville, on entre à la Maison de la presse. Devant la caisse, un livre au titre bizarre : La Patience des buffles sous la pluie. Je commence à lire, je rigole. Ce sont des nouvelles, au format parfait pour être lues debout. J’achète le livre et des Tom-Tom et Nana pour les enfants, et je décrète : « On rentre, c’est l’heure de lire. » Grâce à David Thomas, je reprends goût à la vie. Aujourd’hui, je ne me sens plus seule, et mes enfants ont grandi. Je précise tout cela, car je ne suis pas une lectrice objective. J’ai donc lu le dernier recueil de nouvelles de David Thomas, et je me suis demandé s’il n’avait pas changé lui aussi. Sa vue est toujours aussi affûtée, son oeil acéré, mais son coeur s’est pincé quelque part. Il y a dans ces pages une solitude dont je ne me souvenais pas. Le recueil porte le titre Seul entouré de chiens qui mordent, on ne peut donc pas lui reprocher de ne pas avoir prévenu le lecteur : un homme est si seul que la seule chose qu’il possède est une page Wikipédia. Une femme et son vieux mari se disputent à propos de la température d’un four, elle le tue. Est-ce que ma tristesse d’autrefois s’était fondue dans la lecture et que ma joie d’aujourd’hui se heurte à la cruauté de David Thomas ? Est-il à son tour seul avec deux petits enfants dans une ville pluvieuse, comme les personnages de ses nouvelles ? Dans celle qui porte le titre de son livre, il écrit : « Il finira seul, exilé volontaire de ce qu’il a toujours nommé “les autres”. Un jour, on me téléphonera pour m’apprendre que mon père est mort. Je raccrocherai et reprendrai comme si de rien n’était ce que je suis en train de faire. » David Thomas m’inquiète. Il est aussi possible que je m’inquiète pour rien et qu’il s’agit ici seulement de bonne littérature.