Confidentiel : Arnaud Desplechin.
LE CINÉASTE VIENT DE RÉALISER TROMPERIE, D’APRÈS LE ROMAN DE PHILIP ROTH AVEC LÉA SEYDOUX.
Qu’est-ce qui vous a amené à tourner ce film ?
L’idée d’adapter ce roman me tourne dans la tête depuis quinze ans. J’adore ce livre : c’est un magnifique dialogue amoureux entre un écrivain américain et son amante anglaise, une histoire dénuée de jugement, avant le mouvement #MeToo. Je n’arrivais pas à le transposer en scénario, mais pendant le confinement, j’y suis enfin arrivé. Tourner ce film avec Léa Seydoux a été ressourçant et enrichissant. Je ne l’ai jamais vue jouer avec autant d’intensité. C’est une immense actrice, et je pèse mes mots.
Le principal trait de votre caractère ?
Je suis un hypersensible, très maladroit. Le cinéma m’a appris à prendre soin de moi, ce que je ne sais pas faire dans le quotidien. Il m’aide à dépasser mes peurs, ma timidité. Celui dont vous êtes le moins fier ?
Je suis le cliché du Parisien stakhanoviste et citadin. Je n’aime pas la campagne, ça me fait peur. Ni les vacances, je préfère travailler.
Votre devise ?
« La vie, c’est un peu surévalué », comme disait Truffaut. Soyons sincères, la vie, c’est un peu ennuyeux, déprimant même… sauf quand elle est projetée sur le grand écran : le cinéma nous permet de réaliser que nos vies sont magnifiques, passionnantes, trépidantes et drôles. Et que la dépression est une illusion. Un héros d’enfance ?
Fellini, car c’est un cinéaste enchanteur et scandaleux. Pensez à Satyricon, à son portrait prodigieux d’une société romaine en pleine décadence : c’est beau, cru et comique à la fois. Fellini accepte la vie dans son obscénité et, pour un enfant, la vérité est magnifique. Le casting d’un dîner idéal chez vous ?
Wes Anderson et le documentariste Fred Wiseman. Avec eux, je ne crains pas l’ennui, ce qui est rare. On parle des personnages féminins du cinéma qui nous fascinent – comme ceux d’Hitchcock. Sinon, pour un repas de rêve, ce serait Sofia Coppola et Tarantino. Votre série télé préférée ?
The Wire, car chaque saison décrit une institution américaine. On ne comprend pas un pays par ses personnages, mais par ses institutions : police, justice...
Une musique ?
Celle de Georges Delerue me bouleverse. C’est l’orfèvre des musiques de Truffaut, l’artiste qui apporte une émotion supplémentaire à chaque scène. Votre madeleine de Proust ?
La salle de cinéma. Des amis qui en ont une m’ont récemment invité avec mon fils à une séance clandestine de La Strada de Fellini, qu’on venait de voir à la télé. En sortant, mon fils m’a dit : ce n’est pas le même film. Sur le petit écran, l’enchantement n’est pas le même. Godard disait : « Quand on regarde la télé, on baisse la tête. Au cinéma, on la lève. »