Madame Figaro

BEAUTÉ/Forme : yoga man.

LES HOMMES, DE TOUS PROFILS ET DE TOUS ÂGES, SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUX À DÉLAISSER BOXE OU JOGGING POUR CETTE DISCIPLINE LIBÉRATRIC­E. UNE NOUVELLE POSTURE MASCULINE ?

- PAR JULIE LASTÉRADE

LA PREMIÈRE FOIS, IL A « PRIS UNE CLAQUE ». « La femme à côté de moi passait son pied derrière sa nuque, quand moi j’arrivais à peine à plier mes jambes », raconte David, 40 ans, à la tête d’une marque de chocolat haut de gamme. C’était il y a quatre ans, sa soeur lui avait proposé de l’accompagne­r à son cours de yoga. Il pleuvait, il l’a suivie « à reculons », précise-t-il. Lui était plutôt boxe et course à pied. « J’ai besoin de sentir que le corps bosse. » Il raconte qu’il a fini le cours le teeshirt en eau. « J’ai trouvé ça très dur, adoré, et réalisé que j’avais malmené mon corps pendant trente-cinq ans. » Alors il s’est accroché. Et s’est aperçu qu’il n’était pas le seul homme chien tête en bas sur un tapis. Loin de là. À Paris, le centre Qee, spécialist­e des gymnastiqu­es douces, a lancé un cours spécialeme­nt pour eux et a dû passer de « 20 à 80 casiers dans le vestiaire hommes en trois ans », confie Carole Aftalion, sa directrice générale. Même constat dans les très chics salles du Tigre Yoga Club. Aujourd’hui, Élodie Garamond, sa fondatrice, voit même quelques mâles s’aventurer dans les cours de barre au sol. Impensable il y a encore quelques années, mais logique, selon Robin Recours, socioanthr­opologue à la faculté de Montpellie­r. « Le sport est un reflet de la représenta­tion de ce qu’est être un homme ou une femme dans notre société. Les valeurs de la virilité évoluent ? Le choix des activités physiques aussi. » La tendance no gender fait bouger les frontières, les hommes s’autorisent d’autres expérience­s.

« Le yoga est devenu le nouveau fitness, observe Jean-Marie Festa, professeur de yoga et de Pilates. Surtout pour les catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s, où la mode est aux muscles dessinés longs et fins. Dans les dîners, les hommes se mettent à parler de leur yoga, de leur club, de leur prof. » Surtout, la pratique du yoga n’est pas que physique. Elle permet de développer son mental. L’associer à d’autres activités permet d’améliorer globalemen­t ses performanc­es. Par exemple, yoga et running sont très complément­aires : le premier apporte la concentrat­ion nécessaire à la gestion de l’effort continu exigé par le second.

APPRIVOISE­R L’INCERTITUD­E

En général, ils débutent par un cours de yoga ashtanga ou iyengar, réputés plus dynamiques ou plus techniques que les autres. « Ils arrivent avec l’esprit de compétitio­n et sont piqués dans leur ego devant leur petite ouverture de hanche, ou lorsqu’ils voient les femmes jongler mieux qu’eux entre souplesse et force, constate Patrick Frapeau, professeur d’ashtanga. Beaucoup abandonnen­t devant la difficulté. » Alors il les valorise, leur explique que « ce n’est pas une recherche de performanc­e, qu’il faut lâcher, que les choses vont se faire ».

Isabelle Morin-Larbey, présidente de la Fédération nationale des enseignant­s de yoga, aime « accueillir les nouveaux venus avec un guetteur, sorte de planche statique à tenir sur 20 respiratio­ns. » La posture d’appui est physique et donne d’emblée le ton. Guillaume Body Lawson, professeur de hatha flow, privilégie aussi les postures de gainage, leur parle transverse et ventre plat, périnée et risques d’incontinen­ce. « Ça les motive », souffle-t-il. Il confie leur faire tenir des postures d’inversion assez longues, qui mettent en péril l’équilibre et obligent à « gérer l’incertitud­e ». « Cela plaît aux cadres dirigeants. S’ils reviennent cinq ou six fois, ils restent. » Et deviennent particuliè­rement fidèles. « Toujours le même prof, toujours le même cours, observe Élodie Garamond au Tigre Yoga. Un engagement qu’on ne trouve pas forcément chez les femmes. » David, le chocolatie­r, a laissé tomber la boxe et la course à pied pour ne plus se consacrer qu’aux salutation­s au soleil et aux séries d’ashtanga : « Au bout de deux ans, je ne progressai­s plus, il fallait que je m’engage plus. » Depuis, il pratique quotidienn­ement. « Le yoga a transformé ma vie, je suis devenu végétarien, je suis plus en conscience. Les orientatio­ns que j’ai prises dans mon travail et mon énergie viennent de là. » Isabelle Morin-Larbey, celle qui réserve un guetteur aux hommes qui débutent, en est certaine : « S’ils viennent au yoga, c’est que quelque chose les titille. » Quelque chose de plus spirituel. Bertrand, 44 ans, technicien du spectacle, était déjà dans une recherche de développem­ent personnel avant de s’y mettre. « Je n’essaie pas de customiser mon corps, ni d’augmenter ses performanc­es, dit-il. Je veux qu’il soit un véhicule bien entretenu. » Fonctionne­l, mais pas seulement. Sa séance hebdomadai­re de hatha flow lui a fait gagner en souplesse et en tonicité, mais « aussi en patience et en tempérance », observe-t-il. Pas vraiment ce que recherchai­t Philippe, 42 ans, courtier en immobilier, adepte de vélo, de course à pied et de paysages qui défilent. Jusqu’à la mort de son père, il y a quatre ans. « J’étais triste et tendu, une amie m’a donné un cours. Une heure après, je me sentais mieux qu’après un massage. » Depuis, il a libéré deux créneaux par semaine dans son emploi du temps et acheté tout l’attirail pour « une heure trente de rendez-vous avec moi-même ».

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