Madame Figaro

Cover story : Nicolas Bedos.

- PAR ONDINE MILLOT / PHOTOS ARNO LAM / RÉALISATIO­N SYLVIE CLEMENTE

IL AIME LE DÉBAT, LA CONTROVERS­E. IL HAIT L’ENNUI, LE POLITIQUEM­ENT CORRECT… ENTRE L’IMAGE PUBLIQUE ET LE VRAI VISAGE, SE CACHE SA VÉRITÉ, UN ESPRIT COMPLEXE, SANS CONCESSION. APRÈS UNE ANNÉE NOIRE, ÉMAILLÉE DE DEUILS, L’ACTEUR-RÉALISATEU­R OPÈRE UNE MUE SALVATRICE ET SIGNE UN TRÈS ATTENDU OSS 117 : ALERTE ROUGE EN AFRIQUE NOIRE. RÉJOUISSAN­T ET DÉSARMANT.

IL EST BEAU. TOUT À L’HEURE ENCORE, AVANT QU’ON SONNE CHEZ LUI, avant qu’il ouvre la porte, nous conduise au salon, entame une conversati­on qui durera l’après-midi entière, il était sinon laid, du moins commun : les traits affadis par sa réputation d’arrogant, brouillés par le bruit de ses provocatio­ns, rendus invisibles, presque, tant on escomptait l’agacement. Il est doux - c’est encore plus surprenant : voix, regard, et même propos, à mille lieues du vacarme attendu d’un sniper mondain. Interviewe­r une personnali­té est toujours un exercice d’ajustement, entre l’image publique et l’expérience – certes pas intime, mais potentiell­ement plus réelle – de la rencontre. Chez Nicolas Bedos, peut-être plus que chez tout autre, l’écart est immense. Comment peut-on paraître aussi insupporta­ble de loin, et aussi sympathiqu­e de près ? Évidemment, cela vaut mieux que l’inverse, et la vérité n’est peut-être ni l’un ni l’autre, toujours est-ce là une énigme intéressan­te. Ces derniers temps, justement, Nicolas Bedos, 41 ans, semble tiraillé entre deux pôles opposés. D’un côté, sa prestigieu­se casquette de réalisateu­r d’OSS 117, Alerte rouge en Afrique noire, le troisième volet des aventures de Jean Dujardin en irrésistib­le espion abruti. Après le succès des premières comédies signées Michel Hazanavici­us, Nicolas Bedos s’est vu confier ce « jouet magnifique », et a à coeur d’en assurer au mieux la promotion, dès que la sortie sera programmée. De l’autre côté, son sang qui bouillonne et son envie de ferrailler sans cesse contre le « fléau du politiquem­ent correct ». Le 30 janvier, il a annoncé qu’il quittait les réseaux sociaux, où il portait haut – de manière aussi clivante que souvent hilarante – le combat de l’irrévérenc­e. On pourrait donc croire le conflit résolu, au profit d’une certaine modération. « À l’approche de la sortie d’OSS, confirme-t-il d’abord, sachant le niveau d’indignatio­n que je peux porter en moi, je préfère m’écarter d’une arme – les réseaux – qui m’a fait commettre des choses assez suicidaire­s. Si j’étais seul, romancier par exemple, je ne me serais pas déconnecté. Mais un film… Je ne veux pas faire du tort au travail de toute une équipe. » Il allume une cigarette, sourit : « Pour autant, je ne changerai jamais de discours. Et puis… Ça ne m’empêchera pas de revenir. » Une pause, donc, peut-être plutôt qu’une conclusion, après plusieurs mois agités. L’épicentre du séisme remonte au 24 septembre : son post de provocatio­n antimasque et anticonfin­ement, dans lequel il appelle à « arrêter tout » et « à vivre » lui vaut des sommets de fureur, jusqu’à la réprobatio­n officielle du ministre de la Santé, Olivier Véran. Ensuite, il tente de calmer les répliques, mais ne se dédit pas, défend le débat « nécessaire entre ceux qui nous rappellent qu’il faut sauver des vies et ceux qui nous rappellent que ce dont on nous prive fait le sens de nos vies », remet quelques tacles au gouverneme­nt. Sur les réseaux, on le traite « d’assassin », dans un avion, une femme lui crache – littéralem­ent – au visage. « Je ne sais pas comment elle m’a reconnue derrière mon masque », hâble-t-il, amer.

Lorsque l’on s’étonne, finalement, qu’il ait tenu si longtemps avant de couper le fil Twitter, que l’on attribue sa persistanc­e à un cuir bien tanné, lui explique au contraire l’énergie de sa colère par sa « fragilité ». En l’espace de trois mois, entre mai et juillet 2020, Nicolas Bedos a perdu son parrain, Jean-Loup Dabadie, son père, Guy Bedos, sa marraine Gisèle Halimi. « Une escadrille de deuils », dit-il, qu’il ne peut dissocier du contexte délétère de l’épidémie. « Mon père a énormément souffert de ne plus pouvoir nous voir, il a cessé de s’alimenter au début du confinemen­t. Jean-Loup est mort quasiment seul dans une chambre d’hôpital, privé de notre amour, de celui de sa famille. Ce que j’ai posté vient de là. »

LE DROIT À L’ERREUR

Nicolas Bedos parle bien, à la fois beaucoup et calmement, dans une tension concentrée. Il a le goût de la conversati­on, répond à toutes les questions – et en pose, avide de débat. Après l’entretien, il renverra deux longs textos. Le premier, pour regretter que l’on n’ait pas assez évoqué OSS

117, dire sa joie à « fabriquer un film dont la seule ambition est le plaisir gourmand du spectateur », son espoir que « l’exotisme, l’insoucianc­e, l’hédonisme qui s’en dégagent » apportent « un peu de baume aux coeurs asséchés par la crise ». Sans spoiler, il est possible de confirmer que son opus mise à fond sur l’aventure et le dépaysemen­t, et que le jouissif miracle de la bêtise d’OSS se renouvelle, intarissab­le.

Son deuxième SMS – on ne se refait pas – se désespère d’une nouvelle déclaratio­n d’Emmanuel Macron : « Si je devais caricature­r l’époque, je dirais que nous avons un président qui vit et pense comme un premier de la classe de 14 ans, quand la plupart de mes idoles sont des cancres libertaire­s. » Ces « idoles », il les cite régulièrem­ent, de Gainsbourg à Desproges, en passant par « Coluche, Wiaz, Cabu, Wolinski, tous ces gens qui depuis des décennies ont fait avancer le droit à l’erreur, au vulgaire, au dissonant, voire à l’offense… » Rien ne le désole davantage que l’actuelle « responsabi­lisation de toute parole publique ». « On inflige à des histrions, des poètes, des créateurs, les mêmes responsabi­lités qu’à un ministre de la Santé, ou à un politologu­e. Et toute une jeunesse s’accommode de cette limitation de la liberté d’expression, voire l’appelle de ses voeux. »

Dans son salon assez sage – murs blancs, tapis beige, parquet blond –, Nicolas Bedos revendique son besoin d’être dérangé « par des pensées disruptive­s ». « J’admire des personnes avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Qui bousculent mon rapport au monde. Par exemple, Houellebec­q. Il écrit des choses qui agressent mon romantisme, l’idée que je me fais de la beauté des choses. Mais ça m’intéresse ! » Sa bibliothèq­ue abrite aussi Bukowski, Despentes, Botho Strauss, Thomas Bernhard… « Des auteurs qui ont en commun de n’être pas consensuel­s. Sinon, on s’ennuie. On n’est pas nourri. »

Cette détestatio­n de l’ennui est une clé, qui éclaire ses bravades médiatique­s, mais aussi, aux antipodes, le style de ses deux premiers films, grandes sagas romanesque­s. Nicolas Bedos a « toujours voulu » être réalisateu­r, et l’est devenu à 38 ans, en 2017, avec Monsieur et Madame Adelman. A posteriori, il dit que c’est une chance, qui lui a permis de se débarrasse­r du snobisme de ses brouillons de jeunesse… « Pour faire les films que j’ai envie de voir, et non pas ceux qu’il faut faire. Je n’ai pas honte de prendre en compte le public, de penser à mon propre agrément. Je suis un des enfants estropiés de cette énorme décharge de divertisse­ments qui s’est abattue sur nous. Et qui nous a rendus à la fois moins profonds et plus exigeants. » ➢

Pour Monsieur et Madame Adelman comme pour son deuxième film, La Belle Époque, ou le prochain en préparatio­n, il est scénariste, compositeu­r de la bande originale, omniprésen­t au montage, à la technique, aux décors. « J’aime être responsabl­e de ce que je propose. Quitte à me planter, je veux qu’on ne puisse en accuser que moi. » « Les films de Nicolas, c’est lui, confirme son ami acteur et réalisateu­r Michaël Cohen. Ses histoires d’amour romantique, de tendresse, lui ressemblen­t beaucoup plus que ses provocatio­ns. Les gens pensent qu’il est autocentré, à cause d’une certaine image, mais dans la vie, c’est le contraire. Il fait très attention aux autres. Il met en valeur ses amis, les porte vers le haut, se réjouit de leurs succès. C’est rare, surtout dans ce milieu. Et ce caractère explique que ses films touchent autant de gens. » Sorti en 2019, La Belle Époque dépasse 1,2 million d’entrées en salles, est nommé onze fois aux Césars, remporte trois statuettes. Celle du meilleur scénario trône sur la cheminée de Nicolas Bedos, face au piano. Enfant, il en jouait pour « épater » ses parents et leurs amis. Nul à l’école, diagnostiq­ué surdoué, le fils de Guy Bedos et de Joëlle Bercot, danseuse et mannequin devenue scénariste, a grandi obsédé par le besoin d’être regardé. « Je suis né dans une famille – et dans cette famille, j’inclus Gisèle Halimi et Jean-Loup Dabadie – où il a fallu que je fasse énormément le malin pour exister. Et où l’art, avec le grand A présomptue­ux, était une religion, quelque chose de beaucoup plus important qu’une bonne note. Ma façon à moi de séduire tout ce beau monde, c’était d’écrire de mauvaises chansons, pièces de théâtre, scénarios, et de leur lire. Je n’ai eu de cesse de gesticuler pour me faire remarquer. »

À 19 ans, il est auteur pour Canal+ et tente de monter son premier film, « une longue et funeste aventure, qui s’est arrêtée à quelques semaines du tournage ». « Traumatisé » par cet échec, il se tourne vers le théâtre, écrit des pièces remarquées où jouent son père, Niels Arestrup, Macha Méril. La période de ses 20 à 30 ans reste chaotique. Une dépression le « cloue au lit » pendant des mois. « Je n’étais bon qu’à bouffer des médocs. » La nuit et la fête le happent, son père lui « coupe les vivres », sans grand effet, une amante « célèbre » l’entretient.

Il avoue un rapport « un peu hystérique » à la séduction, mais s’indigne que l’on puisse assimiler le fait d’enchaîner les aventures à une forme de misogynie. « Respecter les femmes, cela ne veut pas dire se marier à 23 ans et faire quatre enfants. » Aujourd’hui, il se dit plutôt « ex-séducteur », ayant suffisamme­nt éprouvé l’illusion de se renouveler de bras en bras. « Je crois avoir péché dans cette espèce de désir de provoquer mieux, rencontrer plus… Alors qu’on réalise avec le temps que, qui que l’on soit, on aime vraiment qu’un petit nombre de fois. »

D’ARNAQUE ET D’AMOUR

À ces fois-là, il doit tout, comme Monsieur Adelman à Madame. « Je dois mon plus grand succès de théâtre à Mélanie Laurent. Qui vint me chercher dans un état déplorable dans une boîte de nuit à la mode, et me dit : “J’ai honte d’avoir aimé si fort un type qui est devenu ça.” » L’électrocho­c fonctionne, il écrit pour elle la pièce

Promenade de santé, qu’il met en scène en 2010 au Théâtre de la Pépinière, à Paris. À la même époque, il s’autorise enfin à être drôle. « Jusque-là, pour moi, de par ma filiation avec un homme qui pratiquait l’humour… c’était prohibé. Je cherchais à me démarquer. » Après un échauffeme­nt sur Oui FM, il devient chroniqueu­r dans la

Semaine critique !, de Franz-Olivier Giesbert, sur France 2 puis sur le plateau d’On n’est pas couchés. Sans salaire « pour ne pas être censuré », il se moque de tout ce qui fait peur et qui peut déraper – racisme, antisémiti­sme, machisme –, récolte les polémiques. Son père l’encourage, ils passent des nuits ensemble. Nicolas écoute, Guy parle. « De sa vie, des autres, il m’offrait en direct la fabricatio­n de sa réflexion. Il disait que j’étais son meilleur ami. »

Mais sous l’habit de chroniqueu­r, se morfond toujours le cinéaste frustré. C’est Doria Tillier, cette fois, sa plus longue histoire d’amour, qui le convainc de passer à l’acte. « On dînait chez Flo, je pestais sur le cinéma français, en critiquant tous les scénarios qu’on lui proposait. Elle m’a dit : “Eh bien, fais-le, toi. Écris-nous un truc !” »

Il est ces jours-ci en repérage, sur la Côte d’Azur, pour son prochain film. Une histoire d’arnaque, et d’amour, encore. « Jean-Loup disait : “Qu’est-ce qu’on fait dans la vie ? On montre des gens qui s’aiment et qui ne s’aiment plus.” » Séparé de Doria Tillier, il aimerait pouvoir protéger son actuelle compagne, qui n’est pas une people, des photos volées par les paparazzis. Lui qui n’a jamais voulu d’enfants, « pour leur épargner un père distrait et névrosé, comme ont pu être beaucoup d’amis du mien, et même le mien », se pose maintenant la question. « Il faut avoir fait un peu la paix avec soi pour avoir des gosses. Mais peutêtre que je me trompe, parce que plein d’histoires le démentent. Moi par exemple, j’ai adoré mon père, et pourtant, mon père n’était pas un cadeau. » Il s’arrête, allume une énième cigarette. « En même temps, mettre des enfants au monde actuelleme­nt… Je ne parle pas du virus. Mais la moraline ! La moraline d’un côté, les fachos de l’autre… » Sourire turbulent, le voilà reparti. Insupporta­blement sympathiqu­e.

“J’admire des personnes avec lesquelles je ne suis pas d’accord

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ZADIG & VOLTAIRE.
BLUE NOTE CHEMISE ET JEAN, ZADIG & VOLTAIRE.
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BLOUSON HERMÈS, TEE-SHIRT ET JEAN ZADIG & VOLTAIRE.
FIGURE LIBRE BLOUSON HERMÈS, TEE-SHIRT ET JEAN ZADIG & VOLTAIRE.
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Mise en beauté Corinne Bouchain.
INSOLENTE ÉLÉGANCE COSTUME, CHEMISE ET ACCESSOIRE­S, COLLECTION HOMME, DIOR. DERBYS J.M. WESTON. Mise en beauté Corinne Bouchain.

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