Madame Figaro

Portrait : Reed Hastings.

LE FONDATEUR DE NETFLIX NE FAIT RIEN COMME LES AUTRES. CE CONQUÉRANT DU NOUVEAU MONDE AUDIOVISUE­L, QUI A RÉINVENTÉ L’ENTERTAINM­ENT, EST AUSSI UN PATRON RÉVOLUTION­NAIRE. RETOUR SUR SON FABULEUX DESTIN.

- PAR LISA VIGNOLI

JE SUIS DÉSOLÉ, JE M’APERÇOIS QUE J’AI PORTÉ MA CHEMISE à l’envers toute la journée. » Le soir de leur première rencontre, Reed Hastings, PDG et cofondateu­r de Netflix, envoyait ce SMS à l’auteure Erin Meyer. Elle s’en étonne encore : « Ce n’est pas ce que l’on s’attend à recevoir de quelqu’un qui veut projeter une image de pouvoir. » Depuis, ils ont écrit ensemble No Rules Rules: Netflix and the Culture of Reinventio­n,

traduit et publié ces jours-ci en France *. Elle a appris à apprécier son côté low-key (discret) et découvert son perfection­nisme. Pendant la durée du projet, il est venu à Paris – où elle vivait – plus d’une douzaine de fois. « Nous travaillio­ns quatre à six heures par jour à tout relire et à discuter. Il devrait être français tellement il aime discuter ! C’est épuisant », s’amuset-elle. En dehors d’un entretien pour un quotidien français, Reed Hastings a peu joué le jeu de la promotion. « Il a une espèce de délicatess­e qui lui fait dire : “Netflix est déjà tellement présent partout dans la vie des gens que je ne vais pas en plus fanfaronne­r dans les médias” », analyse Laurent Laffont, son éditeur chez Buchet/ Chastel. « Reed aime bien être une

personne ordinaire », renchérit Erin Meyer.

Une « personne ordinaire » à la tête d’une société qui investira cette année près de 8 milliards de dollars dans la production de films, de séries et de documentai­res. Il n’a plus besoin de poser à côté de sa Porsche pour le magazine USA Today, comme il le faisait en 1995, et roule désormais en Tesla. Un PDG qui, fin 2020, tranquille­ment installé dans la chambre de son fils, qui lui servait alors de bureau en pleine pandémie, a vu le nombre d’abonnés Netflix dépasser la barre des 200 millions. Si les class

actions – ces procédures collective­s en justice – étaient possibles dans le cas d’addiction, Reed Hastings serait au tribunal pour avoir rendu accros des millions de personnes, toutes victimes du syndrome de « l’épisode suivant » : La Casa de papel, The Crown, Le Jeu de la dame, Unorthodox, l’épopée newyorkais­e de Fran Lebowitz par Martin Scorsese, ou encore le très beau film de Sam Levinson, Malcolm & Marie…

Sans parler de projets à venir, comme ces programmes issus d’accords passés avec Michelle et Barack Obama ou encore avec le couple royal britanniqu­e Harry et Meghan.

INTRÉPIDE

On est bien loin de l’épisode datant du début des années 2000. À l’époque, Netflix est une start-up que Reed Hastings a cofondée deux ans plus tôt et qui permet de commander par Internet des DVD, ensuite envoyés par courrier. La société compte 100 salariés, à peine 300 000 abonnés, et vient de perdre 57 millions de dollars en une année. Hastings se trouve alors au siège de Blockbuste­r, géant d’une valeur de 6 milliards de dollars à l’époque, qui règne sur le secteur du divertisse­ment à domicile et compte près de 9 000 magasins de location de vidéos. Il est là pour convaincre le PDG d’acheter Netflix et de créer avec lui Blockbuste­r.com qui permettrai­t la location de vidéos par Internet. Le refus est catégoriqu­e. « Ce soir-là, écrit-il, dans mon lit, j’ai imaginé les 60 000 employés de Blockbuste­r exploser de rire en pensant au ridicule de notre propositio­n. » Lorsqu’on on lui demande quel est le terreau de son ambition, Reed Hastings répond simplement : « Ça vient probableme­nt de mes parents. » Un père juriste au ministère de la Santé et du Travail de Richard Nixon, une mère issue de la bourgeoisi­e bostonienn­e, qui plaçait la liberté plus haut que tout. Lui était un enfant « moyen et sans talent particulie­r ». Avant d’entrer dans le très chic Bowdoin College, dans le Maine, le jeune Reed a passé une année à faire du porte-àporte pour vendre des aspirateur­s. Plus tard, entre 1983 et 1985, c’est au Swaziland qu’il est allé enseigner les mathématiq­ues avec le Peace Corps, ce corps de volontaire­s créé par le président Kennedy pour diffuser une image généreuse de l’Amérique dans les pays en développem­ent. « Une fois que vous avez voyagé en stop à travers l’Afrique avec 10 dollars en poche, commencer un business ne vous paraît plus aussi intimidant », a-t-il expliqué au New York Times

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À Los Angeles, Epic, le building qui accueille Netflix.

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