LA CHRONIQUE DE COLOMBE SCHNECK LECTRICE ET ÉCRIVAINE
Je dois avouer que j’ai d’abord été assez jalouse de Jhumpa Lahiri. Un extrait de son roman a été publié dans le New Yorker. Jalousie. Cette auteure d’origine indienne écrit en anglais puis, après avoir déménagé en Italie, a décidé d’écrire en italien. Jalousie. Une semaine après, je recevais par la Poste la traduction en français du dernier roman de Jhumpa Lahiri et, en la lisant, toute ma jalousie a disparu. Une femme, la quarantaine, vit seule dans une ville que l’on devine italienne. Elle aime les rues, les maisons, les églises. Elle paraît toujours en retrait des personnes qu’elle rencontre, comme si s’aventurer plus loin lui causerait trop de souffrance. La narratrice croise et recroise un homme dans les rues de sa ville, sur un pont, dans un supermarché. Il est le mari d’une amie. Un jour, il doit s’absenter et il lui demande de promener son chien. « Notre promenade m’entraîne toujours plus loin, il me tire, mais c’est moi qui tiens la laisse. Chaque pas sert à m’éloigner du danger, jusqu’à ce que mon entichement disparaisse, et que notre histoire manquante ne me manque plus. » Le livre est construit de courts chapitres titrés (« Au soleil », « Dans le train »), entrecoupés par d’autres titres (« Entre soi et soi »), où la solitaire narratrice revient régulièrement se réfugier. J’ai pensé à ce que mon grand-père disait à ma mère et à mon oncle quand ils étaient enfants et qu’ils s’ennuyaient : « Tu t’ennuies ? Tu n’as qu’à avoir une vie intérieure. » La narratrice n’en manque pas, mais il lui manque pourtant quelque chose, elle finit par l’avouer, une compagnie. La traduction sensuelle et sensible de ce roman par Hélène Frappat permet au lecteur de faire corps avec cette femme emprisonnée jusqu’au moment où, enfin, elle s’échappe. Et nous avec.