« Promesses de bonheur », par Line Papin.
Évoquant la notion de beauté, la première image qui me vient à l’esprit est celle d’une esthétique parfaite. Je pense à une certaine représentation du corps — celle que les Antiques sculptent et celle dont les magazines féminins font l’éloge. Au Vietnam, pays où j’ai grandi, je rêvais, enfant, de lentilles colorées pour avoir les yeux bleus. C’était l’image propagée : celle d’une beauté occidentale. Ma grand-mère vietnamienne hurlait que j’étais trop maigre, trop basanée : cela lui rappelait la pauvreté, la condition paysanne des femmes osseuses et noires d’être exposées au soleil, dans les rizières. Elle voulait m’engraisser. Mais, arrivée en France, je vis que l’on saluait cette minceur et ce teint hâlé qui évoquaient, ici, le luxe d’être parti en vacances.
Les critères du beau avaient changé. De la même manière que l’on faisait l’éloge des femmes opulentes et blanches au XIXe siècle, avant de s’extasier devant la fille mince, à la peau bronzée, au XXIe, chaque époque et chaque pays imposent une norme différente.
À une époque où les musées, lieu de beauté durable, sont fermés, où les visages, lieu de beauté transitoire, sont masqués, où le contact est prohibé, le sourire caché, comment se représenter la beauté ? L’exigence d’une esthétique physique paraît désuète aujourd’hui que nous sommes dissimulés sous des masques chirurgicaux. Et si c’était l’occasion de se débarrasser des canons que l’on nous impose, pour trouver une autre beauté, capable de nous rendre plus heureux ? « La beauté n’est jamais, ce me semble, qu’une promesse de bonheur », écrit Stendhal. Quelles sont nos promesses de bonheur, en 2021 ? Il y a une beauté invisible, dont les qualités sont intellectuelles, morales, et qui ne se capte pas seulement par la vue, mais aussi par les autres sens. Il y a la beauté d’un chant d’oiseau, la beauté d’une phrase, d’un poème, d’une attention, d’une gentillesse, d’une liberté ou d’un espoir… Ces beautés-là sont peut-être les plus universelles.