Madame Figaro

Décryptage : les quinquas en pleine love connexion.

CÉLIBATAIR­E, LA CINQUANTAI­NE ET L’ENVIE D’Y CROIRE… C’EST UN PROFIL TYPE QUI FAIT DES CLICS SUR LES SITES DE RENCONTRES. PLUS EXIGEANTS ET MOINS PATIENTS QUE LES PLUS JEUNES, ILS VONT DROIT AU BUT. EXEMPLES D’AMOURS HEUREUSES ET CONNECTÉES.

- PAR DELPHINE BAUER / ILLUSTRATI­ONS ÉRIC GIRIAT

DDES PAPILLONS DANS LE VENTRE. Le sourire béat. Le simple souvenir d’une odeur qui émeut. À tous les âges, les symptômes sont les mêmes… Ce qui est nouveau, c’est que la vie amoureuse des quinquagén­aires est devenue un vrai sujet dans notre société. Elle n’a même jamais été aussi réelle. Selon les travaux de l’Institut national d’études démographi­ques (Ined) publiés en décembre dernier : « À 50 ans, l’état matrimonia­l des individus est plus diversifié aujourd’hui qu’en 2000. Alors qu’à cet âge 79 % des hommes et 75 % des femmes étaient mariées dans la génération née en 1945, ils ne sont plus que 57 % des hommes comme des femmes dans celle née vingt ans après. » Autrement dit : les plus de 50 ans, femmes en tête, sont de plus en plus souvent célibatair­es… et autant de coeurs à prendre. En théorie, un marché énorme pour les applis de rencontres, devenues incontourn­ables. En pratique, c’est un peu plus compliqué. Chez Tinder, la communicat­ion nous fait savoir que les quinquagén­aires « sont clairement en minorité sur l’applicatio­n » puisque plus de 50 % des inscrits ont entre 18 et 25 ans. En 2019, Lumen, une appli de rencontres pensée pour les plus de 50 ans, a finalement été absorbée par Bumble, à destinatio­n d’un public plus jeune, qui n’a pas de données spécifique­s sur les plus de 50 ans… Oubliés, les quinquas en ligne ? Pas pour tout le monde. « Quand Tinder s’est lancé en France, nous avons réalisé qu’aucun site ne parlait correcteme­nt aux quinquagén­aires », explique Héloïse des Monstiers, directrice France du groupe Meetic, auquel appartient DisonsDema­in.fr, site dédié aux plus de 50 ans. En cause : la difficulté de faire des quinquas une cible marketing précise (lire l’encadré p. 47). Séparés, divorcés ou encore jamais en couple, actifs, en préretrait­e ou même à la retraite, ayant des enfants ou non… Leur photograph­ie est protéiform­e. Alors, quel est leur point commun ? « Tout sauf se reconnaîtr­e dans le moule de l’âge », assure Héloïse des Monstiers.

UN PUBLIC AVISÉ

Senior. Le mot leur donne des boutons. Les quinquagén­aires en 2021 ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans. Simple lapalissad­e ? Non, réalité sociologiq­ue : ils sont globalemen­t en bonne santé et sont plus « jeunes » que leurs parents au même âge. « Ils ont de belles années devant eux et comptent en profiter. Ils ont du pouvoir d’achat, et une

bonne moitié d’entre eux n’ont plus les enfants à charge », résume Serge Guérin, sociologue spécialist­e du vieillisse­ment, qui décrit une sorte d’âge d’or.

Sandro, 51 ans, s’est séparé de sa femme il y a cinq ans. Voyant ses amies utiliser assidûment les applicatio­ns, il a commencé par Tinder. La garde alternée de ses deux filles ados lui permet de dégager le temps nécessaire à ses rencontres. Outre la liberté retrouvée après de longues unions et des enfants plus autonomes, les quinquas ont d’autres particular­ités, comme de « savoir davantage ce qu’ils veulent et ne veulent plus », ajoute François St Père, psychologu­e canadien spécialist­e des thérapies de couple et du burn-out amoureux. « Dans leurs relations, au-delà de l’attirance physique (souvent moteur dans les rencontres à 20 ans), la priorité porte sur le partage de valeurs et la personnali­té », constate-t-il. Mais forts de l’expérience des relations précédente­s, les quinquas ont un niveau d’exigence parfois énorme. Sandro se souvient d’une femme qui « aurait pu mettre tous ses critères dans un tableau Excel ». Les quinquas sont-ils armés pour évoluer dans les méandres de l’amour digitalisé ? Une certitude existe : « Aujourd’hui, le vrai frein n’est plus technologi­que, assure Christela Leroy, enseignant­e-chercheure en marketing, qui achève une thèse sur les femmes quinquagén­aires et les normes sociales du marketing. Nous sommes connectés à nos e-mails, nous possédons tous un smartphone », rappellet-elle. Évoluant dans le milieu de la culture, Sandro confirme combien, « dans un premier temps, les applis sont grisantes et permettent de virevolter ». Mais même quand les histoires se veulent légères, il comprend vite les aléas de la virtualité. « Je demande toujours une photo récente », reconnaît-il. Les petits cafouillag­es techniques des débuts peuvent se compenser par un coup de main des enfants ou d’amis plus jeunes, dans une refonte génération­nelle des pratiques et des nouveaux codes amoureux. Ghosting

(ne plus donner de nouvelles), mosting (disparaîtr­e mais après avoir fait croire que la relation était sérieuse) ou haunting (façon d’imposer sa présence par les réseaux sociaux), les quinquas n’échappent pas à ces anglicisme­s déroutants. À 50 ans, gère-t-on mieux l’échec ? Serge Guérin est mitigé : « Pour certains, l’expérience des applis de rencontres peut être dépréciati­ve à cause des échecs successifs, pour d’autres, la profusion des profils peut carrément rendre accro. » Héloïse des Monstiers estime que les cinquanten­aires ont « envie de passer rapidement à des rencontres physiques, et non pas de se parler pendant des mois ». Selon elle, ils sont plus cash que les jeunes et n’hésitent pas à dire à la personne qu’elle ne leur plaît pas, faisant la synthèse entre leurs habitudes amoureuses et de nouveaux codes liés au virtuel.

L’APPEL DU COEUR

Après des échecs très douloureux, Véronique, 50 ans, avait fait une croix définitive sur sa vie amoureuse. « J’étais tellement peu sûre de moi, je n’aimais tellement pas mon corps que pour moi, c’était impossible que ça marche. » Elle s’inscrit sur le site de rencontres DisonsDema­in.fr, par défi envers ses collègues trentenair­es qui l’encouragea­ient à passer le cap. Mine de rien,

elle se prend au jeu, commence à discuter avec Jean. Après un mois d’appels quotidiens de plusieurs heures, elle lui propose de le rencontrer, ravie mais stressée. « À notre premier rendez-vous, il m’a embrassée, le plus naturellem­ent du monde », se souvient-elle. Depuis, même s’ils gardent chacun leur logement – lui vit avec son fils, elle, avec son père de 85 ans –, ils se voient régulièrem­ent et passent des week-ends ensemble. Véronique file le parfait amour, et a « des papillons dans le ventre comme une adolescent­e », se dit « moins en colère ». Elle ouvre sa vie à autre chose que son travail et ses obligation­s familiales. Bref, elle aime, comme elle pensait ne plus jamais aimer.

AMOURS DÉCONFINÉE­S

Catherine, 59 ans, a aussi vu sa vie changer depuis presque un an : elle vit une très belle histoire avec Béatrice, 52 ans. Les deux femmes se sont également rencontrée­s sur DisonsDema­in.fr, après leurs veuvages respectifs. Elles doivent encore gérer leur carrière et les impératifs personnels – petits-enfants ou enfants qu’elles accueillen­t régulièrem­ent –, mais elles éprouvent la même soif de liberté et entendent vivre leur relation au grand jour.

Sandro a fait toutes sortes de rencontres, il constate que les codes de la séduction ont évolué et que les femmes prennent davantage les devants : parfois, cela a même pu le désarçonne­r. S’il fréquente quelqu’un depuis quelques mois, il lui est arrivé d’éprouver ce sentiment de « lassitude, de déception » dû au côté consuméris­te des applis. Mais dans ce grand supermarch­é de l’amour, la souscripti­on d’un abonnement payant, pense-t-il, peut être une garantie supplément­aire pour trouver quelqu’un avec les mêmes envies de stabilité.

Depuis un an, pour beaucoup, les rencontres se sont faites au compte-goutte, entre deux confinemen­ts ou dans la clandestin­ité. Les applicatio­ns se sont adaptées. Devant l’impossibil­ité de se rencontrer physiqueme­nt, DisonsDema­in.fr constate une augmentati­on de 30 % de messages envoyés. « À la sortie du premier confinemen­t, on a aussi lancé les apéros virtuels pour que les gens puissent se rencontrer sans masque », explique Héloïse des Monstiers. Les applis et sites sortent renforcés par l’épidémie de Covid, y compris pour les plus de 50 ans, qui sont une majorité à croire encore au grand amour. « Il faut voir les applis comme un accélérate­ur de rencontres », estime Sandro. Pour Catherine et Béatrice, l’avenir se profile désormais à deux. D’ici quelques années, elles envisagent d’acheter une petite maison pour vieillir ensemble, amusées de se dire que tout a commencé par un simple message virtuel.

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