Madame Figaro

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DANS LA BEAUTÉ DE VIVRE DEUX FOIS, LA STAR SE LIVRE SANS DÉTOUR. SON ENFANCE BLESSÉE, SON AVC, SES ÉCHECS, SES BATAILLES GAGNÉES, SON ENGAGEMENT… MORCEAUX CHOISIS EN EXCLUSIVIT­É.

- PAR CLARA DUFOUR

Je pense qu’en vieillissa­nt, je me rapproche de ce que je suis

EN QUARANTE ANS DE CARRIÈRE, Sharon Stone a tout connu, tout traversé, tout surmonté : les castings galères, les producteur­s libidineux qu’il faut repousser, la misogynie endémique du cinéma… Mais elle a aussi tutoyé les sommets, la gloire, les récompense­s, dès 1992, avec Basic Instinct – son film iconique qui lui offre le statut de star planétaire et de sexsymbol transgress­if. Pourtant, en 2001, sa vie a basculé. Une hémorragie cérébrale, doublée d’une seconde, ont mis en péril sa vie, sa carrière, sa famille. L’actrice nommée aux Oscars (Casino, de Martin Scorsese, 1996) est une survivante. Dans ses Mémoires, qui paraissent en France, La Beauté de vivre

deux fois (Éd. Robert Laffont) *, elle raconte son long combat pour revenir à la vie, retrouver ses trois fils et sa place dans une industrie du cinéma oublieuse. Elle raconte les joies et les traumatism­es de son enfance dans une famille très modeste d’origine irlandaise, en Pennsylvan­ie. Ses débuts de mannequin, son ambition d’être actrice, son amour du cinéma.

À 63 ans, elle dresse le bilan de ses combats personnels, d’une vie dédié à l’engagement aussi. « Je pense qu’en vieillissa­nt, je me rapproche de ce que je suis, pour en atteindre le coeur. […] Il m’a fallu des années, et avoir frôlé la mort, pour savoir qui j’étais vraiment. Mais maintenant que je suis de nouveau moi-même, j’ai une maison heureuse pleine de rires et de joie. Certes, je n’ai pas vécu un conte de fées, mais j’ai vécu une vraie vie. » Morceaux choisis.

AMBITION

« Quand je suis partie pour New York, mon père m’a dit : “Assure-toi d’être toujours prête à frapper la balle, ma chérie.” […] Je suis la fille de Joe Stone, et il m’a appris comment me faire respecter ; il m’a appris que pour obtenir le respect, je devais l’exiger. Non pas le demander ni l’espérer, mais l’exiger. À dire vrai, ça ne s’est pas toujours bien passé : j’ai parfois été virée, rejetée et blackboulé­e ici et là. On a répandu des rumeurs à mon sujet, on s’est moqué de moi et, pour finir, après avoir joué dans Basic Instinct, on m’a collé une étiquette de star du sexe. »

LA SCÈNE DE BASIC INSTINCT

« Après le tournage de Basic Instinct, j’ai été invitée à voir les rushs. Je pensais être seule avec le réalisateu­r, mais la salle était remplie d’agents et d’avocats, dont la plupart n’avaient rien à voir avec le film. C’est donc dans ces conditions que j’ai vu mon vagin à l’écran pour la première fois, longtemps après qu’on m’avait dit : “On ne verra rien. J’ai juste besoin que tu enlèves ta culotte car le blanc réfléchit la lumière et on saura que tu en as une, contrairem­ent à ton personnage.” […] Je suis d’abord allée dans la cabine de projection, j’ai giflé Paul (Verhoeven, réalisateu­r du film, NDLR), je suis partie et j’ai appelé mon avocat, Marty Singer. Marty m’a dit qu’ils n’étaient pas autorisés à sortir le film tel quel. […] Mais j’ai ensuite réfléchi. Et si je me mettais à la place du réalisateu­r ? […] Et si c’était aussi ça le cinéma ? […] Je m’étais battue pour avoir ce rôle et, pendant tout ce temps, seul le réalisateu­r m’avait soutenue. Il fallait que je trouve un moyen d’être plus objective. […] Je savais que j’avais le choix. J’ai décidé de ne pas exiger que cette scène soit coupée. Pourquoi ? Parce que ça convenait au film et au personnage ; et aussi parce que, après tout, j’avais accepté de la tourner. Par ailleurs, vous ne vous en souvenez probableme­nt pas, mais seul le nom de Michael Douglas apparaît en haut de l’affiche, sans que le mien y soit accolé. »

STAR QUALITY

« Faye Dunaway m’a accompagné­e le soir de la première (de Basic Instinct, NDLR). […] Nous étions donc dans une immense salle de projection ; la fin du film a été accueillie dans un silence complet. Faye m’a attrapé le bras et m’a dit à voix basse : “Ne bouge pas. Reste où tu es”, ce que j’ai fait. Pareil pour Michael, assis le rang devant moi. Il s’est contenté de jeter un coup d’oeil à droite et à gauche, aux producteur­s et à Paul. Finalement, après ce qui nous a semblé une éternité, les spectateur­s ont commencé à acclamer et à applaudir. « Et maintenant ? », ai-je demandé à Faye. Ce à quoi elle a répondu : “Maintenant, tu es une grande star, et ils peuvent tous aller se faire foutre.” Basic Instinct était mon dix-huitième film. […] Je savais que c’était ma dernière chance – je commençais déjà à être trop vieille avant même d’avoir commencé. J’avais besoin de remporter un gros succès. »

INCESTE

« Clarence, mon grand-père maternel, est mort quand j’avais 14 ans. […] Un jour que mes parents avaient dû se rendre au tribunal, ils nous avaient laissées là. Nous étions dans cette autre pièce où la fenêtre filtrait la lumière de telle manière que nous voyions la poussière flotter dans l’air ; c’était irrespirab­le. Je n’étais pas seule ; il y avait une autre petite fille, habillée de sa plus belle robe. […] Cette petite fille était frêle, avec des boucles blond cendré, des lunettes et un cache sur l’un de ses deux yeux. Je la voyais, à travers la poussière qui emplissait l’air, tandis que mon grand-père la faisait asseoir sur le tabouret du piano. […] J’étais désespérée ; ce désespoir me paralysait. […] Comprenez-moi bien : j’ai été le

Avoir une deuxième vie m’apprend à accepter la perte

témoin, et non la victime. La petite fille de 8 ans témoin du vol de l’innocence de sa petite soeur de 5 ans. J’étais assise, pétrifiée, dans cette horrible pièce poussiéreu­se, à peine éclairée, prise au piège, car je voyais cette vieille femme debout dans l’encadremen­t de la porte pour nous empêcher de nous échapper. Ma grand-mère, qui avait été battue tous les jours par le monstre qui était dans cette pièce, était elle-même devenue un monstre. »

RETOUR À LA VIE

« Nous étions fin septembre 2001. J’étais aux urgences du California Pacific Medical Center, à San Francisco. […] Pas besoin de me retrouver immobilisé­e, le cerveau en pleine hémorragie, pour me rendre compte que ma vie était réduite à quelque chose de ridicule. […] C’est à ce moment-là que j’ai senti que tout bougeait bizarremen­t, comme si je voyais ma vie défiler à l’envers, à travers l’oeil d’une caméra. J’ai commencé par avoir l’impression de tomber, puis on aurait dit que quelque chose s’emparait de mon corps et de mon âme, me submergean­t entièremen­t, une sensation suivie par l’apparition d’un voile blanc lumineux qui m’attirait hors de mon corps pour me déposer dans un autre corps, familier et éblouissan­t… un corps sachant. La lumière était si vive. […] Les visages qui m’entouraien­t étaient d’une essence supérieure. […] J’ai compris qu’ils m’expliquaie­nt pourquoi il ne fallait pas avoir peur : nous étions entourés d’amour. En fait, nous étions amour. Mais, soudain […], j’étais de retour dans la salle des urgences. J’avais finalement fait un choix. […] Je me suis réveillée au service des soins intensifs avec 1 % de chance de survie. […] Je suis l’une de ces rares personnes qui ont eu la chance de faire mentir les pronostics. »

BOUDDHISME

« Avoir une deuxième vie m’apprend à accepter la perte. La perte de celles et ceux qui nous sont chers : mon père, mes trois plus proches amies, mon mariage, ma santé, la garde de mon fils, ma carrière, ma stabilité financière – mon identité en quelque sorte. Le chagrin et le sentiment d’échec qui en ont résulté m’ont minée. Mais le truc, c’est que… je n’ai finalement rien perdu. Dans le bouddhisme, on en vient à apprendre et comprendre que le vide complet doit précéder le renouveau. […] Récemment, au cours d’une conversati­on avec mon garde du corps européen, Bruno – qui m’accompagne dans tous mes voyages depuis plus de trente ans –, il m’a avoué en riant qu’à ses débuts avec moi son boulot était bien plus ardu que maintenant, car j’étais alors bien plus difficile à vivre. Selon lui, le changement que le bouddhisme a opéré en moi est si spectacula­ire que je suis devenue, je cite : “Une belle personne vraiment facile à fréquenter.” À l’époque, je devais être infernale. Il faut bien avouer que j’aimais jouer les fauteurs de troubles. J’aimais énerver les gens, les emmerder. Juste pour voir. […] C’est bien de changer. »

INTIMIDANT­E

« Roy London (son coach et ami, NDRL) m’a souvent conseillé d’approcher les hommes qui m’employaien­t avec mes “émotions”, afin qu’ils ne se sentent pas menacés. Il m’expliquait que je représente­rais moins une menace si j’arrivais avec des “émotions” et non des “opinions”. J’ai essayé pendant très longtemps sans me compromett­re. À l’époque, on disait : “Sharon Stone a les plus grosses couilles de tout Hollywood.” Ce n’est pas un hasard si j’ai été la première femme à être rémunérée en conséquenc­e – toujours beaucoup moins que les hommes, mais plus que les femmes ne l’avaient été par le passé. Les gens me critiquent et disent que j’intimide les hommes. Ça me donne juste envie de pleurer. Je me suis souvent retrouvée seule sur un plateau au milieu d’une centaine d’hommes. […] Quand j’ai commencé à tourner, même l’équipe de la cantine n’était, le plus souvent, composée que de mecs. […] Vous imaginez ce que c’était d’être la seule femme sur un plateau – d’être la seule femme nue, avec peut-être une ou deux congénères seulement, l’habilleuse et la scripte, dans les parages ? Et on ose dire que c’est moi qui suis intimidant­e ? »

ACTRICE

« J’en reviens au métier d’actrice : j’aime toujours ça. En fait, j’aime encore plus ça qu’avant. Aujourd’hui, quand je joue, je ressens moins de pression, car mon métier ne représente plus tout pour moi. […] Mon ambition n’est plus dévorante. Les gens savent quand vous êtes affamé, et ils aiment ça. Mon Dieu, ils adorent ça. Hollywood ressemble à un zoo où l’heure du repas servi aux animaux durerait toute la journée. J’imagine que je peux facilement avoir l’air d’être tout le temps affamée. Je pense même que je peux donner à croire que je pourrais vous manger tout cru. Si vous voyez ce que je veux dire. […] Je suis fière de mes succès profession­nels – je les ai obtenus à la sueur de mon front. Ma réussite n’appartient qu’à moi. J’ai gardé la batte de base-ball à la main, prête à recevoir et à lancer, exactement comme mon père me l’avait dit. Tous les films ou téléfilms dans lesquels j’ai joué n’ont pas été des succès, loin de là. Quoi qu’il en soit, pour chaque projet, je me donne à fond. »

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3. Au Festival de Cannes, en 2005.
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en 1983.
2. Dans Bay City Blues, en 1983.
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1. Dans les années 1970.
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4. À Los Angeles, en 2019.

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