Madame Figaro

Décryptage : Madame Claude, mythe et réalité.

LE BIOPIC SIGNÉ SYLVIE VERHEYDE, DIFFUSÉ LE 2 AVRIL SUR NETFLIX, LÈVE LE VOILE SUR LA PLUS FASCINANTE PROXÉNÈTE DE FRANCE. HISTOIRE D’UNE FIGURE VÉNÉNEUSE QUI EST AUSSI LE REFLET D’UNE ÉPOQUE.

- PAR ISABELLE GIRARD

«POUR MA MÈRE, QUI ÉTAIT UNE PROVINCIAL­E ISSUE D’UN MILIEU MODESTE, Madame Claude était une sorte de modèle. Elle avait réussi à “monter” à Paris, à y devenir quelqu’un d’important, à s’extraire de sa condition de femme et de fille-mère à qui l’on ne proposait, à l’époque, que deux solutions : l’usine ou le mariage », témoigne Sylvie Verheyde, la réalisatri­ce du film Madame

Claude, diffusé le 2 avril sur Netflix. La cinéaste a voulu comprendre les raisons de cette fascinatio­n pour la plus célèbre proxénète de la France gaulliste et pompidolie­nne. « En fait, je me suis intéressée à cette femme mihéroïne, mi-monstre comme on a pu s’intéresser à des personnage­s tels que le trafiquant Pablo Escobar ou le terroriste Carlos, à la fois fascinants et répugnants. J’ai voulu détricoter le mythe. »

On peut, en effet, parler de mythe tant Madame Claude, à force de mensonges, s’était inventée une enfance bourgeoise, un père industriel, une éducation chez les soeurs, et même un passé de résistante déportée à Ravensbrüc­k. La réalité est différente. Fernande Grudet, de son vrai nom, est née en 1923 à Angers, où son père tient un bistrot. Devenue mère célibatair­e, elle s’installe très vite à Paris, prend le pseudonyme de Claude, un prénom au genre indétermin­é qui manifeste déjà son envie de se mesurer aux hommes. Elle fréquente les milieux du banditisme et de la prostituti­on et, à la fin des années 1950, crée sa propre entreprise de prostituti­on de luxe, qui se développe grâce au téléphone, et prélève 30 % sur les prestation­s sexuelles de « ses filles ». Pendant vingt ans, elle règne sur un réseau de 150 filles, qu’elle forme, habille, éduque, principale­ment des jeunes femmes qui n’ont pas réussi dans le mannequina­t ou le cinéma. « Deux choses marchent dans la vie, la bouffe et le sexe. Je n’étais pas douée pour la cuisine », aimait à dire cette reine de la communicat­ion lorsqu’elle était interviewé­e.

À partir de 1976, avec l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir, la donne change. Le proxénétis­me est sévèrement réprimé. Madame Claude, condamnée par le fisc à payer onze millions de francs qu’elle ne possède pas, part en Suisse, se marie pour obtenir la nationalit­é, puis s’enfuit aux États-Unis. Elle ouvre une pâtisserie à Los Angeles, se marie à nouveau pour obtenir la carte verte, est dénoncée par les services de l’immigratio­n américaine avant de l’avoir obtenue, rentre en France, purge une peine de quatre mois de prison, vend des jeans rue Dauphine, à Paris, et recrée en 1991 un nouveau réseau qui sera démantelé un an plus tard. À nouveau condamnée, elle est incarcérée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. À partir de 2000, elle vit seule dans un petit appartemen­t de la Côte d’Azur et meurt à 92 ans en 2015, à l’hôpital de Nice.

« Quelle vie ! Comment ne pas vouloir enquêter sur celle qui fut appelée “la maquerelle de la République” », déclare Sylvie Verheyde. Son nom d’ailleurs est devenu une antonomase qui raconte autant un personnage qu’une époque. Et qu’a-t-elle découvert ? Que Madame Claude n’avait survécu que grâce au soutien et à la complicité des RG qui recueillai­ent les confidence­s d’hommes politiques ou d’hommes d’État faites sur l’oreiller, et que la vie de ces call-girls n’avait rien d’idyllique, même si elles fréquentai­ent les grands de ce monde – John Fitzgerald Kennedy, qui avait commandé à Paris le sosie de sa femme, Marlon Brando ou encore Agnelli –, et voyageaien­t en Concorde. La prospérité de l’entreprise de Madame Claude a coïncidé avec une époque, celle des Trente glorieuses, qui a vu naître la société de consommati­on et la liberté sexuelle sans que les droits des femmes ne progressen­t pour autant.

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Karole Rocher et Garance Marillier dans Madame Claude.

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