ELIZABETH LERICHE, CHASSEUSE DE TENDANCES “Les consommateurs sont en quête de propositions avec une âme”
DIRECTRICEDU BUREAU DE STYLE qui porte son nom, Elizabeth Leriche participe depuis dix ans à l’Observatoire du salon de décoration Maison & Objet. Elle s’y attache notamment à mettre en valeur le grand retour du Craft.
Pour elle, design et artisanat sont tout naturellement liés.
MADAME FIGARO. – Assiste-t-on à des retrouvailles entre designers et artisans ?
ELIZABETH LERICHE. – La relation entre designers et artisans a toujours existé. Elle a eu des hauts et des bas. Aujourd’hui, elle est de nouveau évidente. Les designers renouent avec les savoir-faire traditionnels. Ils ne s’éloignent pas radicalement de l’industrie, mais ils cultivent des liens de plus en plus intimes avec des artisans afin de réaliser des objets plus singuliers, porteurs de sens. En effet, face à l’uniformisation de l’offre, les consommateurs sont en quête de propositions avec une âme, et c’est ce que permet le geste artisanal. Pour les designers, qui sont aussi des créateurs, c’est une aubaine, une façon de s’exprimer aussi pleinement, d’aller vers plus de surprise, d’échange aussi.
Quels sont les designers qui vous semblent emblématiques de ce mouvement ?
Je pense immédiatement à Ronan et Erwan Bouroullec, qui vont travailler avec l’industrie mais qui ont aussi un véritable intérêt pour les techniques traditionnelles. Ils ont, par exemple, collaboré avec Maison Matisse qui propose à des designers de développer des projets avec des artisans inspirés de l’univers du peintre Henri Matisse. Ils ont ainsi imaginé le vase Fenêtre Duo qui représente une fenêtre ouverte. Cette série très limitée en faïence, terre cuite et aluminium a été réalisée à la main dans des ateliers français. Constance Guisset a, elle, pour Maison Marcoux Mexico, conçu une table, des vases, une carafe, dans le cadre d’une résidence à Oaxaca, au Mexique. Ses créations ont été façonnées par un atelier local, expert du travail de la terre noire, spécifique à cette région. Quant à
Sam Baron, il est allé chercher l’inspiration au Portugal pour ses bougeoirs Pedra fabriqués avec des pierres délaissées dans les carrières…
France, Mexique, Portugal…, les designers ne se contentent pas des artisans qui sont à côté de chez eux !
Cette « coopération » reflète une envie de découvertes d’autres territoires. Les objets deviennent symboliques d’un dialogue entre des cultures. Et à l’heure où nous sommes contraints dans nos déplacements, ils deviennent une façon de voyager. Ils sont un peu comme la pierre de rêve chinoise : les observer permet de s’évader !
Peut-on parler d’une stimulation mutuelle ?
La rencontre entre un designer et un artisan est l’occasion d’avancer ensemble. Le designer confronte son projet aux limites de la technique, et il doit parfois l’adapter. Quant à l’artisan, il peut aussi imaginer de nouvelles approches pour répondre aux attentes du designer. Le résultat de ces rencontres permet ainsi souvent de mettre au goût du jour des savoir-faire ancestraux.
Face à des créations standardisées et lisses, est-ce que le travail du designer avec l’artisan permet une redécouverte du toucher ?
Cette collaboration c’est, bien sûr, l’occasion pour le designer de renouer avec le plaisir de toucher la matière. Certes, il ne « fait » pas, mais il va pouvoir partager ce lien sensuel à la terre, au textile, au bois que possède l’artisan. Et l’objet qu’ils vont réaliser ensemble, la plupart du temps en petites séries, portera la marque de la main de celui qui l’a fabriqué. Le futur propriétaire, quand il touchera cet objet, sentira qu’il y a l’empreinte de l’artisan, une forme de signature. Ce contact unique déclenche aussi une nouvelle relation au temps. Un objet fait à la main, ce n’est pas un objet qui sort d’une machine automatique. Il a fallu du temps pour le réaliser et il est donc aussi fait pour durer dans le temps… Une valeur de durabilité de plus en plus importante pour les consommateurs.