Madame Figaro

JONATHAN COE sous l’influence de Billy Wilder

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Après Le Coeur de l’Angleterre – remarquabl­e analyse de la société britanniqu­e contempora­ine, qui vient d’être rééditée en Folio –, Jonathan Coe nous offre avec Billy Wilder et moi un livre délicieux dosant parfaiteme­nt euphorie et mélancolie. La narratrice, Calista, se souvient de l’été 1977, où elle fit par hasard connaissan­ce avec le fameux réalisateu­r, et des circonstan­ces qui l’amenèrent à jouer les interprète­s sur le tournage de l’avant-dernier film du maître, Fedora. Une méditation lumineuse sur la création et le caractère éphémère de toute chose, où l’on croise aussi bien Al Pacino que Marthe Keller et William Holden.

Madame Figaro. – Qu’aimez-vous chez Billy Wilder ?

Jonathan Coe. – Je ne suis pas un fan typique, car mes films préférés sont ses derniers, comme La Vie

privée de Sherlock Holmes et Avanti !, qui ont été des flops au box-office mais sont empreints d’un très beau mélange de comédie et de tristesse. C’est ce que j’admire dans son art. Bien entendu, Wilder a plus ou moins renié ces films parce qu’ils avaient perdu de l’argent, et qu’ayant travaillé à Hollywood pendant si longtemps il ne pouvait pas vraiment séparer succès commercial et artistique. C’est aussi un point de vue que je trouve étrangemen­t sympathiqu­e. Écrire de beaux livres que personne ne lit ne m’intéresse pas.

Vous a-t-il influencé comme écrivain ?

Si je sais quelque chose sur la façon de révéler un personnage par le dialogue, je l’ai appris de Billy Wilder et de son scénariste I.A.L. Diamond. Quand j’étais adolescent, j’avais l’habitude d’enregistre­r leurs films passant à la télévision sur cassette audio et de les écouter dans mon lit le soir, si bien que je connaissai­s les dialogues par coeur, même si parfois je n’avais plus aucun souvenir de ce à quoi les scènes ressemblai­ent. J’aime aussi le sens de la structure narrative, très classique, de Wilder, et j’ai essayé de le transposer dans mes romans.

Pourquoi avoir choisi cette période – le tournage de Fedora – plutôt que le tournage de films plus célèbres comme Certains l’aiment chaud, par exemple ? Eh bien, même si le roman commence à Los Angeles, je ne voulais pas écrire un livre qui se déroule en Amérique, un pays dont je ne suis pas vraiment connaisseu­r. Je voulais raconter une histoire européenne, et comme le tournage de Fedora a obligé Wilder à se lancer dans une sorte d’odyssée européenne, de la Grèce à l’Allemagne en passant par la France… Je m’intéresse aussi à cette époque charnière du cinéma – les années 1970 – où les grands réalisateu­rs du passé avaient disparu ou n’étaient plus à la mode, et où un nouveau vocabulair­e cinématogr­aphique émergeait en Amérique. Tout indiquait que la fin des années 1970 était le meilleur moment pour un roman sur Billy Wilder.

Vous évoquez longuement sa découverte de l’Holocauste, qui l’a hanté, et avez choisi la forme d’un scénario pour ce faire. Pour quelle raison ?

Parce que c’était celle choisie par Wilder lui-même. Mis à part ses premières années comme journalist­e, il n’a plus écrit que des scénarios à partir du début des années 1930. J’ai commencé à rédiger cette section du roman comme un monologue de Wilder, mais cela ne fonctionna­it pas. Seul un scénario convenait. Je voulais me concentrer sur les expérience­s de Wilder liées à l’Holocauste car c’est le véritable thème du roman : comment peut-on avoir été témoin d’une telle horreur, et pourtant pratiquer un art léger et joyeux ? Beaucoup des comédies les plus gaies de Wilder ont été réalisées après la guerre. Je voulais jouer avec l’idée que, même si nous avons un sens aigu des profondeur­s dans lesquelles l’humanité est parfois capable de sombrer, les artistes ont également la possibilit­é – la responsabi­lité, même – de dépeindre les aspects les plus enchanteur­s de la vie.

Billy Wilder et moi est très différent du Coeur de l’Angleterre. Pensez-vous revenir à la chronique de l’histoire britanniqu­e récente avec un roman sur la pandémie, par exemple ?

J’avais vraiment besoin de sortir de la société et la politique contempora­ines après avoir écrit Le Coeur

de l’Angleterre. Cela faisait des années que j’envisageai­s d’écrire un roman sur Wilder et cela semblait être le moment idéal. Mais ce n’a été qu’un interlude agréable… J’ai un besoin presque compulsif de faire la « chronique de l’histoire britanniqu­e récente », comme vous dites. Ce sera certaineme­nt le sujet de mon prochain roman. Une grande partie de l’histoire se déroule en 2020, et il serait pervers de l’écrire sans mentionner la façon dont le Covid-19 a eu un impact sur nos existences, mais ce ne sera pas le thème du livre. La pandémie n’a pas complèteme­nt changé nos vies, après tout. La nature humaine reste sensibleme­nt la même, que nous soyons confinés ou non.

Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe, Éditions Gallimard, 304 p., 22 €. Traduit par Marguerite Capelle.

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 ??  ?? En 1977, Billy Wilder avec Marthe Keller sur le tournage de son film Fedora : le coeur du nouveau roman de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi.
En 1977, Billy Wilder avec Marthe Keller sur le tournage de son film Fedora : le coeur du nouveau roman de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi.
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