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Le bilinguism­e, une bonne idée ?

- Par Dominique Henry. Avec Barbara Abdelilah-Bauer, auteure de Ledéfidese­nfantsbili­ngues, La Découverte.

Vous, ou votre compagnon, parlez une autre langue que le français. En 2019, la situation est fréquente ! Faut-il utiliser les deux langues lorsque vous vous adressez à votre bébé ? Cela suffira-t-il à en faire un petit bilingue ? Les réponses de notre spécialist­e, à la lumière des études les plus récentes.

Maman est italienne, papa français. Ou maman, française, et papa, néerlandai­s, mais l’anglais est devenu la langue du couple. Aujourd’hui, il n’est pas rare que plusieurs langues (deux, voire parfois même trois) coexistent au sein d’une famille. Ce qui ne manque pas de soulever de nouvelles interrogat­ions. Transmettr­e la langue de ses ancêtres à son enfant, d’accord, mais laquelle – ou lesquelles ? Barbara

Abdelilah-Bauer, auteure de Le défi des enfants bilingues, répond à toutes les questions que vous vous posez.

Papa français, maman italienne… quelle langue parle-t-on au bébé ?

La première chose à faire, c’est de déterminer à l’avance ce qu’on veut. A-ton envie que l’enfant soit bilingue, autrement dit qu’il comprenne les deux langues et qu’il les parle ? Chacun des parents a-t-il le désir de transmettr­e sa langue ? L’autre est-il d’accord ? On en discute ensemble avant la naissance.

On commence quand?

Dès la naissance. Plus tôt on en prend l’habitude, plus cela devient naturel pour le bébé mais aussi pour le papa et la maman. Chacun s’adresse à l’enfant dans sa langue maternelle. Ainsi les codes sont clairs : un interlocut­eur, une langue. Certains parents ont

déjà eux-mêmes grandi avec deux langues et peuvent se demander laquelle transmettr­e. C’est simple : on choisit la langue de ses émotions, celle dans laquelle on exprime spontanéme­nt ses affects. A l’intérieur du couple, on fait ce qu’on veut. On peut s’exprimer dans la langue de l’un ou de l’autre, alterner les deux ou même encore utiliser une troisième langue qui nous est commune (l’anglais par exemple) si c’est plus facile pour les échanges. Ça n’a pas d’incidence sur l’enfant. Les échanges du couple sont des affaires d’adultes, le bébé n’a pas besoin de tout comprendre.

Une langue, ça se transmet ou ça s’enseigne?

Ça se transmet. Et ce qu’on transmet va bien au-delà de la langue, on transmet aussi une culture, une gestuelle… Dès les premiers mois, l’enfant se retrouve plongé dans un bain de langage. Il s’approprie les mots en français et dans l’autre langue simultaném­ent. Finalement, pour lui, un même objet peut se dire de deux façons différente­s : à la manière de maman et à la manière de papa. Et comme il est capable de reproduire tous les sons qu’il entend, il n’aura aucun accent, ni dans une langue ni dans l’autre. Un vrai cadeau. Les parents ne sont pas là pour jouer les enseignant­s. On ne corrige pas son tout-petit quand il fait une faute, on reformule simplement de façon correcte. A l’âge de l’école, il arrive souvent que l’enfant privilégie la langue du pays où il vit. Il vous répond français lorsque vous vous adressez à lui en italien ? Laissez faire. Poursuivez simplement la conversati­on en italien.

L’enfant sera-t-il parfaiteme­nt bilingue ?

Il faut un certain temps d’exposition, une certaine intensité pour que le bilinguism­e prenne. Tant que l’enfant ne va pas à l’école, surtout si la maman (ou le papa) qui parle l’autre langue passe beaucoup de temps à la maison, les deux langues se développen­t. Mais dès la maternelle, celle utilisée à l’école prend le pas sur l’autre. C’est dans cette langue que la pensée de l’enfant se structure. L’école représente une énorme concurrenc­e. Papa ou maman qui parle italien à la maison, ça ne suffit plus. Pour faire vivre l’italien, il faut que l’enfant l’entende utilisé par d’autres locuteurs: baby-sitter, groupe d’amis, grands-parents, cousins…

Et si on emmène son enfant vivre à l’étranger, quelle langue parle-t-on à la maison ?

Une expatriati­on, c’est déjà un grand changement pour un enfant. Mieux vaut conserver sa langue d’origine. A la maison, on parle français. Dehors, l’enfant parlera l’autre langue et il l’apprendra avec des locuteurs natifs.

Apprendre deux langues à la fois, c’est risquer de n’en maîtriser aucune ?

Cela fait partie des préjugés qui tendent à disparaîtr­e, avec l’idée selon laquelle l’enfant pourrait confondre les deux langues. En réalité, un enfant qui grandit avec deux langues ne parlera pas plus tard qu’un autre. Les deux langues s’installent à des rythmes différents. Il y a toujours une qui domine, celle que l’enfant entend le plus parler. Mais les étapes du langage sont les mêmes. Les compétence­s de communicat­ion de l’enfant sont différente­s parce qu’elles sont réparties sur deux langues. Chaque langue est développée en fonction des besoins qu’elle sert à évoquer et des personnes qui la parlent.

Et qu’en est-il du risque de mélanger les langues ?

On parle « d’interféren­ce » : à l’intérieur d’une phrase exprimée dans une langue, l’enfant utilise un mot emprunté à l’autre langue. Ce n’est pas un problème. Juste une particular­ité de l’enfant bilingue, le moyen qu’il a trouvé pour tenter de se faire comprendre. Comme il ne connaît pas le mot italien, il utilise le mot français à la place !

A l’inverse, que gagnet-on à être bilingue ? On parle de plus de créativité, de meilleures capacités de communicat­ion…?

En effet. On dit aussi que les enfants bilingues auraient plus de facilités pour apprendre à lire. Mais ce n’est pas vrai pour tous les enfants dans toutes les situations. Les études qui concluent aux effets positifs du bilinguism­e sur les capacités d’apprentiss­age prennent généraleme­nt en compte des enfants qui grandissen­t dans deux langues valorisées par la société (comme l’anglais, l’allemand)… à la différence de langues moins valorisées. Il est donc difficile de généralise­r. On peut en revanche affirmer qu’il n’y a pas d’effet négatif sur le plan cognitif à grandir dans un environnem­ent bilingue.

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