Education Quand les jouets s’invitent à l’école
Trop longue, la journée de classe ! Pour beaucoup de petits écoliers, c’est un tunnel sans fin. Afin de leur perme re de décompresser, plus de 1 500 écoles ont ouvert des « espaces ludiques » où ils peuvent venir jouer à leur guise. Un petit coin de chez
C’est le rapport Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) qui le dit : 37 % des enfants ont mal au ventre en partant à l’école. A l’âge du primaire, ce n’est pourtant pas la peur des mauvaises notes qui leur noue les tripes… Alors quoi ? « Si tant de petits appréhendent d’aller en classe, c’est parce que les journées passées loin de chez eux sont trop longues, assure Sylvie Linder, coordinatrice nationale de la mission Espaces ludiques. La France est le seul pays de l’OCDE où l’on encadre les enfants du matin au soir pour que les parents puissent travailler. Le résultat, c’est qu’un tout-petit passe entre huit et dix heures par jour à l’école. C’est long, beaucoup trop long. Avec les espaces ludiques, nous leur offrons un petit coin de chez eux à l’école. Un endroit où ils peuvent redevenir des enfants, où on n’exige rien d’eux, où ils sont libres.» Un espace ludique… mais c’est quoi exactement ? Tout simplement une salle vacante (ou un palier, un couloir – selon les possibilités de chaque
école) où les enfants peuvent venir se détendre et s’amuser plusieurs fois par jour (jusqu’à cinq fois) avec les jouets mis à leur disposition. Avant et après la classe, pendant la pause déjeuner, sur le temps de récré… à eux de choisir. Validé par l’Education nationale, le dispositif est développé depuis septembre 2012 dans les écoles primaires qui le souhaitent et il a été étendu aux maternelles depuis septembre 2014.
UN PETIT COIN DE CHEZ EUX POUR SOUFFLER
Des jouets à l’école – lieu par définition dédié à l’enseignement – est-ce bien sérieux ? Absolument, affirme Sylvie Linder. « Les capacités de mémorisation d’un enfant sont limitées à quatre-cinq heures par jour. Au-delà, il n’intègre plus rien. Entrecouper la journée de moments de jeux permet aux enfants de s’apaiser, de se rééquilibrer… et de retourner ensuite aux apprentissages dans de meilleures conditions. » Et de raconter : « Il faut voir avec quel bonheur les tout-petits arrivent et s’emparent d’un jouet ! On les voit s’illuminer et s’absorber dans leur jeu. Poupées, personnages, dînette, cuisinière, voiture, etc. leur permettent de se reconnecter avec leur vie intime, de replonger dans l’ambiance de la maison, de compenser le manque de papa/maman.» On sait depuis longtemps que le jeu a une valeur thérapeutique. Jouer permet à l’enfant de « remailler » sa vie, autrement dit de revivre des situations personnelles, soit telles qu’il les a vécues (et ce faisant, il les accepte), soit telles qu’il aurait aimé les vivre (et alors il se répare). Envolées, les émotions négatives : colère, tristesse, frustrations… « Tout ce qui fait une boule dans l’estomac, tout ce qui pèse, l’enfant s’en libère en jouant », poursuit Sylvie Linder. Autre intérêt des espaces ludiques: ce sont des bulles de liberté. Ici, pas de consignes, pas de directives, pas de conseils. L’adulte n’est
là que pour assurer la sécurité des enfants. Il n’intervient pas – ni sur le choix des jouets, ni sur l’usage qui en est fait. Seule règle à respecter : on n’abîme pas les jouets et on range lorsqu’on a fini.
DES JOUETS OUI, MAIS PAS N’IMPORTE LESQUELS
Si tous les jouets sortent régulièrement de l’armoire, certains sont plus demandés que d’autres. Les préférés des enfants, filles et garçons confondus ? « Les poupées, les personnages, la voiture de Barbie et les dînettes, parce que ce sont des jouets qui permettent les projections affectives », observe Sylvie Linder. Alors, ruée sur le cabriolet rose et bousculades autour de la petite cuisine dès l’ouverture des portes ? Même pas. Les jouets proposés aux enfants sont en effet suffisamment nombreux (une soixantaine) pour que chacun y trouve son bonheur. Ils font partie d’une combinaison indivisible, soigneusement évaluée, testée et choisie par un comité d’experts pour répondre à tous les besoins des enfants. Outre les jouets symboliques (poussettes, peluches, robots, dînette, déguisements) qui permettent de rejouer la vie, la combinaison comprend des jeux d’imagination et de construction (univers, voitures, circuits auto et train, bateaux) qui stimulent la créativité. Et des jeux de règles (jeux de société, d’adresse, de mémoire) basés sur le principe du « gagnant-gagnant ». « Même s’il perd, l’enfant gagne le droit de rejouer… et de gagner. C’est la vie même », explique Sylvie Linder. Le coût de cette combinaison extraordinaire ? Modique grâce à un partenariat noué avec la Fédération française des industries du jouet : environ 1 500 €
(taxes incluses) pour la combinaison destinée au cycle primaire, 1 200 € pour la maternelle. Un kit de réassort (500 €) est proposé aux écoles pour leur permettre, tous les deux ou trois ans, de renouveler la vingtaine de jouets usés par trop de passages entre les petites mains.
ET ÇA MARCHE !
Dans les 1 500 écoles en France qui accueillent déjà le dispositif, le constat est unanime. Les élèves sont plus calmes, plus détendus. Il y a moins d’agressivité dans l’air. Mieux : on observe des progrès dans l’autonomie, la confiance en soi, le respect des règles, l’intégration. Et surtout, les enfants sont plus heureux d’aller en classe. L’école est redevenue un lieu de vie, et même de plaisir. Les espaces ludiques ? « C’est génial, on a des VRAIS jouets – comprendre : sans visée éducative – et on peut faire tout ce qu’on veut… sauf des bêtises », s’enthousiasme une petite Léa de 5 ans. Tout est dit.