On ose en parler Et si accoucher à domicile était (au moins) aussi sûr qu’à l’hôpital ?
Très souvent décrié, l’accouchement à domicile apporterait pourtant autant de sécurité que donner naissance à l’hôpital. Les résultats d’une récente étude française le montrent. Et si on révisait notre jugement ?
Des études sur la sécurité de l'AAD – accouchement accompagné à domicile – paraissent régulièrement à l'international puisque cette pratique est courante dans certains pays comme les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse, etc. Et ces études sont positives. La dernière en date – une métaanalyse sur environ 1000000 naissances (500000 AAD versus 500000 à l'hôpital) dans huit pays – ne fait pas exception et confirme une fois de plus la sécurité de ce mode d'enfantement. En France, il a fallu attendre fin 2019 pour qu'une enquête* sur le sujet voie le jour. Elle porte sur plus de 1 000 naissances programmées à la maison et qui s'y sont déroulées avec une sage-femme – sur un total de 1 347 naissances dont le travail a effectivement débuté à domicile. Les résultats obtenus ont été comparés aux données d'une population générale des accouchements à bas risque en maternité de niveau 1. Ils sont on ne peut plus explicites !
TOUS LES VOYANTS SONT AU VERT
Qu'apprend-t-on dans cette étude française ? Que le taux d'hémorragie sévère est de 0,55 %, soit 3,5 fois moins qu'en population générale. Que le taux d'épisiotomie est de 0,3 %, soit 67 fois moins qu'en population générale. Que 65,6 % des femmes ayant accouché à domicile ont un périnée intact à l'issue de la naissance, soit plus de deux fois plus que chez celles ayant accouché en maternité. Les transferts à l'hôpital ont concerné 1,05 femme sur 10 pour pathologie ou suspicion de pathologie du travail, ce chiffre étant semblable aux accouchements accompagnés à domicile dans les pays industrialisés. « Comparativement, les femmes ayant accouché à l'hôpital ont été plus nombreuses à présenter une complication de l'accouchement », observe Floriane Stauffer, sage-femme à Lunéville, qui a participé à la création de Apaad – Association pour l'accouchement accompagné à domicile – et en est la présidente. Côté bébé, on relève que
seulement 1 % des nourrissons ont eu besoin d'une réanimation néonatale, soit 6 fois moins qu'en population générale, et leur état a été stabilisé par la sage-femme au domicile de la mère. 100 % avaient un score d'Apgar d'au moins 7 à 5 minutes de vie. Et 97,8 % ont été exclusivement allaités au sein, soit près du double de la population générale… Un bon démarrage dans la vie, non ? « En France, on n'ose pas dire qu'il y a un bénéfice à accoucher chez soi, or, c'est le cas», assure notre sage-femme.
100 % DES SAGES-FEMMES ONT ANTICIPÉ UN ÉVENTUEL TRANSFERT PENDANT LE TRAVAIL
Les très bons résultats de l'étude n'étonnent pas Floriane Stauffer, car, explique-t-elle, «la pratique des sages-femmes est rigoureuse et en accord avec les données actuelles de la science pour la majorité d'entre elles ». 93,5 % des sages-femmes ayant participé à l'étude offrent un accompagnement global à la naissance, dont on sait par ailleurs qu'il favorise un bon déroulement du travail. En effet, la même sage-femme accompagne le couple pendant la grossesse et l'accouchement jusqu'aux suites de couches : la mère est en confiance avec la professionnelle qu'elle connaît bien, elle ne perd pas ses repères puisqu'elle reste chez elle, va à son rythme, etc. En outre,
100 % des sages-femmes ont anticipé un éventuel transfert pendant le travail avec l'ouverture d'un dossier anesthésie dans un hôpital référent. De même, elles sont toutes équipées pour la gestion des principales urgences obstétricales et pédiatriques et, faut-il l'ajouter, participent à des formations médicales continues, etc.
L'AAD est un accouchement programmé et accompagné à domicile par une professionnelle. Les futures mères sont dûment sélectionnées par la sage-femme pendant la grossesse, qui doit impérativement se dérouler ➥
➥ physiologiquement. Et certaines conditions médicales contre-indiquent formellement l'accouchement à domicile – jumeaux, siège, diabète sous insuline, placenta recouvrant, etc. Toutes ces données montrent que la sécurité de la mère et de l'enfant est assurée et qu'on est bien loin de la représentation que beaucoup de personnes – y compris certains professionnels – se font (et propagent) d'un accouchement à la maison, «entre musique planante et encens chez un couple de hippies, ce qui envoie une image de manque de sérieux, voire de dangerosité et de marginalité» souligne Floriane Stauffer.
DES COUPLES SE VOIENT REFUSER L’AAD CHAQUE SEMAINE
Se pourrait-il que cette étude change la donne en France? «Sur le long terme, peut-être », estime notre sagefemme. Mais dans l'inconscient collectif, l'accouchement accompagné à domicile n'est pas sûr (il est même stigmatisé), sinon les études internationales auraient déjà commencé à faire changer les mentalités… Pour que les choses avancent, « il faudrait intégrer l'AAD au parcours périnatal classique et aux réseaux périnataux, que ce soit une option comme une autre pour les femmes, avance Floriane Stauffer. Pour cela, le gouvernement et les instances de santé doivent avoir une position claire sur le sujet. » Autre problématique, plus aucun assureur français à l'heure actuelle ne couvre les risques d'activité d'accouchement à domicile dans ses contrats de responsabilité civile professionnelle (RCP). Ce n'est pas que l'assurance est trop chère, elle n'existe tout simplement pas! Les sages-femmes ne sont donc pas assurées, ce qui n'est pas normal, l'AAD n'étant pas dans notre pays une pratique interdite !
Du côté des familles, l'AAD est peu accessible aujourd'hui, pourtant, la demande augmente chaque année. «Chaque semaine, des couples se voient refuser leur demande d'AAD faute de sages-femmes disponibles, remarque Floriane Stauffer. Et pour cause… Moi-même, je suis la seule sage-femme à le pratiquer sur huit départements… » On en arrive alors à des extrémités telles que certains couples, à qui on a fermé la porte au nez, choisissent un accouchement à la maison non assisté (Ana), c'est-àdire sans sage-femme aux côtés de la future mère.
LA FEMME DOIT AVOIR LE CHOIX D’ACCOUCHER OÙ BON LUI SEMBLE
La problématique de l'AAD est sociétale. En ne permettant pas aux professionnels d'accompagner l'accouchement à domicile, et aux couples d'y accéder, c'est en fait un des droits fondamentaux des femmes que l'on bafoue : celui de disposer de leur corps. « La France ne respecte pas la Charte européenne des droits de la parturiente, dans laquelle le Parlement européen recommande plusieurs mesures afin d'intégrer l'accouchement à domicile au système de soins », informe Floriane Stauffer. De plus, l'Institut de recherche et d'actions pour la santé des femmes (IRASF) a défini les violences obstétricales en neuf points. Le deuxième est l'absence de choix et de diversité dans l'offre de soins. ✪
* Réalisée par l'Apaad, Association professionnelle de l'accouchement accompagné à domicile, sur l'année 2018. Etude non randomisée. Le rapport complet se trouve sur le site www.apaad.fr et sera réactualisé chaque année.