On ose en parler
De la remarque déplacée lors d’un examen gynécologique jusqu’à l’intervention non désirée à l’accouchement, ces femmes racontent ce qu’elles ont vécu, comme Marine Gabriel, à l’origine du compte Instagram Balance ton utérus.
Les violences obstétricales et gynécologiques
Au printemps 2019, Marine Gabriel lance son compte Instagram baptisé « Balance ton utérus » afin de dénoncer les violences obstétricales et gynécologiques (VOG). Derrière ce terme se cachent toutes les agressions que peuvent vivre les femmes lors d'examens gynécologiques de routine, au cours d'un suivi de grossesse, pendant l'accouchement ou au cours de la période post-partum. Les violences obstétricales concernent ainsi les actes ou propos abusifs qui sortent du cadre de l'intérêt de la patiente au cours de sa grossesse et de la délivrance, tandis que les violences gynécologiques englobent tout le suivi de la femme.
Après seulement quelques semaines, Marine, elle-même victime de VOG, a reçu sur sa page d'innombrables témoignages. Elle en a tiré un livre, La Vérité au bout des lèvres (éd. Kiwi), dans lequel elle explique ces pratiques qui dépassent le cadre médical. Elle rappelle ainsi que selon le Haut conseil de l'égalité entre les femmes et les hommes, on recense six grands types d'actes inopportuns durant le suivi obstétrical et gynécologique (non prise en compte de la gêne de la patiente, propos porteurs de jugement, injures sexistes, actes non consentis, actes non justifiés médicalement, violences sexuelles), mis en lumière par des témoignages de nos lectrices.
PATIENTE MAL À L’AISE
L'examen gynécologique est pour beaucoup de femmes un moment gênant. Se mettre nue, jambes écartées devant un inconnu… Cela a de quoi mettre mal à l'aise. C'est le cas de Tiffany, qui avait donc demandé à son médecin l'examen dit « à l'anglaise ». Il s'agit d'une auscultation allongée sur le côté et les médecins peuvent même fournir un drap. « Elle est pudique ou quoi la demoiselle ? », lui avait alors répondu son gynécologue. Cette jeune femme a insisté, car elle savait qu'elle avait le droit de l'exiger… « Presque aucune femme ne le sait. Aucun médecin ne le propose naturellement, on pense donc que c'est comme ça, qu'on doit mettre
les pieds dans les étriers et en avant… Mais non ! », insiste-t-elle.
PROPOS PLEINS DE JUGEMENTS…
Les mots qui dérangent, les propos homophobes, grossophobes ou porteurs d'un jugement quel qu'il soit sont également fréquents, à en croire les nombreux retours à ce sujet, comme celui de Charlotte. Après avoir fait un test de grossesse positif, elle se rend chez un nouveau gynécologue, le sien ayant cessé de travailler. « Quand je lui ai dit que j'étais maman d'un bébé de 7 mois, il n'a trouvé rien d'autre à me rétorquer que : “Mais vous allez en faire combien ? Jusqu'à ce que ça devienne trop petit chez vous et qu'on vous reloge ?” », raconte-t-elle. Choquée, elle n'était pas au bout de ses surprises. Quand elle lui explique qu'elle avait pris 14 kilos lors de sa première grossesse, il s'en est pris à elle, en lui disant qu'elle était inconsciente et que c'était beaucoup trop. «En rentrant chez moi, j'ai regardé les avis sur ce praticien sur Google: grossophobe, pas aimable, à fuir… et bien d'autres ! », nous dit-elle. Une autre maman se souvient de sa première grossesse. Elle avait 22 ans, n'était pas très sûre d'elle et avait fait une dépression qui avait conduit à la prise de plus de 30 kilos. Le jour de l'accouchement, lorsque la sage-femme l'a installée en salle, elle a entendu l'obstétricien dire à ses collègues : « Mais ça va jamais passer avec tout ce gras ! »
… QUI FONT CULPABILISER
Certains estimeront qu'il n'y a rien de si grave là-dedans. Pourtant, ces blessures morales ont un impact. Ces remarques, parfois moralisatrices, peuvent faire culpabiliser les femmes. C'est le cas de Julie. Elle a 31 ans quand elle se rend chez le gynécologue pour demander à procéder à une IVG : pourtant sous pilule contraceptive, elle est tombée enceinte. Sa grossesse n'est pas désirée, elle est en couple depuis peu avec son compagnon et ils ne se sentent pas prêts à devenir parents. « Vous avez bien réfléchi ? On ne sait jamais ce qui peut arriver après 30 ans… Vous pourriez le regretter plus tard ! », a-t-elle eu pour premier retour de son médecin, qui a fini par accepter sa décision. Une jeune femme, enceinte à 18 ans, nous raconte avoir, elle aussi, subi de nombreux commentaires négatifs quant à son âge. « Vous êtes vraiment sûre de vouloir le garder ? » est une question à laquelle elle a souvent eu droit au cours des premiers mois de suivi. Mais elle a surtout été outrée au moment de l'accouchement, quand elle indiquait avoir très mal à son obstétricien, qui lui a rétorqué : « Vous l'avez fait rentrer, ma petite, eh bien maintenant il faut le faire sortir. »
CHOIX NON RESPECTÉS
Camille a également été victime d'une gynécologue peu encline au dialogue. Elle souhaitait un patch comme contraception. Une décision qui n'était pas au goût de la praticienne : « Il n'y a rien de mieux que la pilule », lui indique-t-elle. Après une mauvaise expérience avec la pilule, la jeune femme évoque alors le stérilet sans hormone, une alternative qui lui conviendrait également. « Attendez de voir si c'est sérieux avec ce garçon et on verra pour le stérilet. En attendant, prenez la pilule ou mettez des préservatifs, je vois rien d'autre comme solution », lui répond la praticienne. Malgré ses efforts pour faire entendre son choix, la jeune femme repart avec une ordonnance de pilule « au cas où vous changeriez d'avis ». Or, ne pas écouter la patiente quant à son choix et lui prescrire autre chose, c'est une VOG.
INTERVENTIONS MÉDICALES SANS CONSENTEMENT
Parfois, les violences dépassent les mots. Par exemple, enfoncer un speculum dans le vagin d'une femme n'a rien d'anodin. Ni un toucher vaginal. Ni une échographie endovaginale. Chaque praticien a ainsi l'obligation pour ces interventions de demander l'autorisation à la patiente. Faute de quoi la pratique peut s'apparenter à un viol, car tout objet inséré sans le consentement est considéré comme tel. Nina se souvient ainsi son premier examen gynécologique à 16 ans: «Le gynécologue m'a demandé si j'avais eu des rapports sexuels. Ce n'était pas le cas. Avec sa sonde à la main, il m'a alors répondu : “Ça va te donner une idée de ce que ça fait, alors!” avant de l'enfoncer dans mon vagin. » Cette expérience lui a longtemps fait redouter sa première fois. Lydia, de son côté, se rendait à un examen prénatal de routine. Quand elle arrive en salle, une dizaine de personnes sont présentes. « “Ce sont des étudiants, ils vont s'exercer à l'échographie interne !” m'impose ainsi le médecin, mon accord ne semblant pas indispensable selon lui. Je me suis donc retrouvée devant dix inconnus qui m'ont fait un examen tour à tour. Certains m'ont fait mal. J'en suis sortie les larmes aux yeux », raconte-t-elle péniblement.
ACTES OU REFUS D’ACTES NON JUSTIFIÉS MÉDICALEMENT…
Au moment de l'accouchement, les actes médicaux sont courants et parfois nécessaires au bon déroulé de la naissance. Parfois pas. Par exemple, un accouchement sur cinq donne lieu à une épisiotomie en France, alors que cette pratique n'a de nécessité que dans certains cas d'urgence. « J'avais bien spécifié que je ne voulais pas d'épisiotomie au cours de mon suivi de grossesse, mais le jour J, le médecin a tenu à en faire une… J'ai appris plus tard qu'il était de garde depuis 72 heures d'affilée et que cet acte lui a permis de partir plus tôt», se souvient Christelle, qui dit en vouloir plus au système dans lequel évoluent péniblement les
médecins qu'à son obstétricien. Agnès Ledig, auteure et sage-femme, avait également dénoncé une pratique appelée communément « le point du mari », qui consiste, lors de la suture d'un périnée déchiré ou d'une épisiotomie, à réaliser plus de points que nécessaire afin de resserrer le vagin de la femme… dans le seul but d'accentuer le plaisir de son compagnon lors des futures pénétrations, malgré les souffrances que cette pratique peut occasionner pour la jeune maman.
… JUSQU’AUX AGRESSIONS SEXUELLES
Parfois, les VOG se transforment en agressions sexuelles. Ainsi, d'après le rapport consacré aux violences dans le suivi gynécologique et obstétrical remis en juin 2018 au gouvernement, 3,4 % des plaintes déposées auprès de l'Ordre des médecins en 2016 concernent des agressions sexuelles et des viols commis par des médecins. Certaines de ces affaires ont été relayées dans les médias. C'est le cas du gynécologue André Hazout, radié de l'Ordre des médecins après avoir été jugé coupable pour viols et agressions sexuelles aggravés sur quatre anciennes patientes, et pour agressions sexuelles sur deux autres. Une autre affaire dans la ville d'Alès a éclaté en septembre 2014, où le Dr Z. a été mis en examen pour cinq viols aggravés. À Arras, un gynécologue contre qui une plainte a été déposée par deux soeurs, et dont l'Instruction a relevé plus de 60 victimes potentielles, est toujours en activité… comme endocrinologue. Ces cas restent rares, mais ils existent. «Face à la blouse blanche, l'autorité qu'elle confère, la vulnérabilité parfois dans laquelle ces femmes se trouvent, quand elles sont enceintes par exemple, ou tout simplement l'impuissance physique, des agressions comme celles-là se produisent et les victimes se taisent », se désole une médecin souhaitant rester anonyme.
L’AVIS DES MÉDECINS
Bien évidemment, il existe une majorité de médecins compétents et sensibilisés à ces questions, pour qui ces témoignages sont durs à entendre, surtout quand on se rappelle le serment d'Hippocrate : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions […] J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences […] et ma conduite ne servira pas à corrompre les moeurs […] J'entretiendrai et perfectionnerai [mes compétences] pour assurer au mieux les services qui me seront demandés [...]». Tout est dit. Marine Gabriel n'entend d'ailleurs pas, avec son ouvrage, s'en prendre aux médecins, mais simplement rappeler que certaines pratiques acceptées ne doivent plus l'être: « Beaucoup font du très bon travail. Mais certains, par faute de moyens, de temps ou de formations, dépassent leurs droits en tant que médecins », souligne-t-elle. Un point de vue partagé par notre médecin, sous couvert d'anonymat: «En tant que professionnel de santé, être confronté à ces témoignages et à la publication du rapport remis au gouvernement interpelle violemment. Cependant, j'ai déjà entendu des patientes se plaindre ou des collègues tenir des propos aberrants… Il faut que ça cesse », s'insurge la professionnelle qui déplore le manque de formation: «Les gynécologues et les médecins, à la différence des sages-femmes, ne sont pas formés à l'écoute des patientes. Ceux qui y sont formés le font de leur initiative. » « Vu tous les témoignages reçus, libérer la parole sur ces questions semblait essentiel », conclut Marine Gabriel, en espérant une prise de conscience de la part du corps médical et beaucoup plus d'informations pour toutes. ✪