L’esprit pionnier
« Mieux vaut être à l’extérieur qu’à l’intérieur. » Où l’échappée belle prônée par Jeffrey Bowman – coéditeur du
sublime The Great Wide Open consacré aux grands espaces, édité chez Gestalten –, a-t-elle plus de sens qu’en montagne? L’air alpin aurait-il un pouvoir annihilateur contre « le brouillard
de la civilisation urbaine » ? Rien de mieux en effet selon l’auteur, qu’un voyage initiatique sur les sommets pour révéler sa créativité et éprouver sa liberté. Bien sûr, il n’est pas besoin de se retirer du monde pendant deux ans dans une cabane au fond des bois comme Bowman – ou Thoreau avant lui –, ni d’aller flirter avec l’extrême dans un improbable refuge, mais il est certain que la présence irradiante de la nature ne peut que nous faire prendre conscience de notre place sur Terre. Et de l’essentiel. De ce qui compte vraiment. Voyage initiatique pour les uns, révélateur de liberté pour les autres, la montagne est un écosystème à la fois évident dans sa beauté et terriblement exigeant. Source d’inventivité par excellence, aussi bien pour la nature que pour l’homme qui rivalise de courage et d’intelligence pour survivre en milieu hostile, la haute montagne est un formidable théâtre d’expérimentation. À l’instar de la réinterprétation par les architectes de l’habitat vernaculaire – maison troglodyte, raccard, buron… –, qui permet de mettre en résonance les modes de vie d’autrefois avec la quête de pertinence d’aujourd’hui. À l’image aussi de Jean Sulpice, dont la cuisine multi-étoilée est portée par l’égopode, le serpolet, la fleur de prunelle et l’oxalys de son enfance savoyarde. Ou des passeurs de passion, ceux qui ont réussi à transmettre à leurs enfants leur amour de la montagne en même temps que l’entreprise familiale. Sans oublier l’architecte Heinz Julien qui, en faisant cohabiter architecture traditionnelle et contemporaine à Zermatt, est devenu « l’enfant terrible » de la romantique station du Cervin. Un numéro en panoramique, pour avoir les yeux grands ouverts sur la vie et sur le monde.