CYRIL BRUN
CHEF DE CAVES DE LA MAISON CHARLES HEIDSIECK
Difficile d’échapper à son destin. Celui de cet enfant d’Ay, né il y a cinquante ans dans une famille de vignerons négociants et de tonneliers, était tout tracé. Son diplôme d’oenologue en poche, il intègre les équipes de Veuve Clicquot, où il restera quinze ans. Jusqu’à ce que Cécile Bonnefond, qui dirigea longtemps la filiale Moët Hennessy, lui propose de devenir le chef de caves de Charles Heidsieck, en mai 2015, maison dont elle avait pris la tête après le rachat par le groupe de luxe EPI (Weston, Figaret, Bonpoint…), quatre ans auparavant. « En arrivant, j’ai découvert les très importantes quantités de vins de réserve qui sommeillent dans les fameuses crayères : un vrai trésor », raconte le Champenois pur jus. Les caves recèlent quelque 56 000 bouteilles de vin de plus de dix ans, dont 5 000 de très vieux millésimes (plus de trente ans) non destinés à la vente. « Pour le reste, j’ai tout goûté, poursuit Cyril avec gourmandise. On ne va pas tout garder, le champagne est d’abord fait pour être bu. » Ceux qui ont dégusté les derniers flacons de la Collection Crayères, qu’il a initiée, soit un 1979 (en bouteille) et un 1989 en trois contenants (bouteille, magnum et jéroboam) ne diront pas le contraire… Cette ressource permet surtout d’assurer le style inimitable, l’étoffe du brut sans année, fruit de l’assemblage de vins d’un âge plus que respectable. Le Brut Réserve en vente actuellement est composé pour moitié de la vendange 2015, avec un tiers de chacun des trois cépages champenois, et de vins de réserve des années 2002 à 2006. L’ensemble, vieilli quatre années en cave, se distingue par « l’alliance de fraîcheur et de complexité qui constitue la signature de la maison », remarque le chef de caves. Plébiscitée par les amateurs, cette cuvée représente 80 % des ventes de la marque. Depuis qu’il est en fonctions, Cyril Brun a aussi concrétisé la création d’un blanc de blancs non millésimé : « On perçoit la dimension pointue, anguleuse du chardonnay. Un vin minéral, salin, un peu iodé. » Cette nouveauté prend place au côté du fameux Blanc des Millénaires, « la » cuvée de prestige de la maison. Mais Cyril Brun nourrit aussi le rêve de relancer le mythique « Charlie », champagne haut de gamme, créé en 1976 et arrêté neuf ans plus tard. « Une carte blanche donnée au chef de caves, précise-t-il avec enthousiasme. Chacun des cinq millésimes sortis était le fruit d’un assemblage particulier.» On devine que « Charlie » pourrait bien opérer un come-back prochainement. « C’est le vin qui décide, confie Cyril. Il n’est pas prêt. »
TRÈS CHERS RAISINS
L’échelle des crus est un système complexe mis en place au XVIIIe siècle par les Champenois pour hiérarchiser leur production. Afin de déterminer la notion de cru, tout est pris en compte : la géologie, les microclimats, les vents dominants, l’exposition et l’altitude des parcelles. Le cépage et l’âge des vignes peuvent également intervenir. Ce classement a vite prouvé son utilité dans la fixation des prix du kilo de raisin lors des transactions entre les maisons de champagne et les vignerons. Pour chacune des parcelles de l’aire de production, on applique un pourcentage au prix de base arrêté, chaque année, avant les vendanges. On compte ainsi 17 grands crus (100 %), 44 premiers crus (de 99 à 90 %) et 237 crus (de 89 à 80 %). Aujourd’hui, le prix du raisin est libre, mais l’échelle des prix continue de s’en inspirer fortement. Cette année, par exemple, les chardonnays des grands crus se sont échangés en moyenne à 7,15 euros (les plus chers), tandis que les meuniers des crus périphériques n’ont pas dépassé les 6,50 euros. Le rendement maximum a été fixé à 10 200 kilos par hectare. Et il faut 1,2 kilo de raisin pour confectionner une bouteille de champagne.