SONGE DE PIERRE
Elle s’étend de Perros-Guirec à Trébeurden, mais à Ploumanac’h, la Côte de Granit rose est à son apogée. Tout au long du sentier des douaniers, d’énormes blocs de pierre créent un décor unique et cuivré, de formes étranges et spectaculaires, sculptées par les éléments. Un paysage à couper le souffle !
« L’art, c’est la nature vue à travers un tempérament », a écrit le peintre Maurice Denis, amoureux de Perros-Guirec, où il possédait une villégiature, et pour lequel la Côte de Granit rose fut un motif récurrent et inspirant dans son oeuvre.
On l’imagine inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce n’est pas encore le cas, et, comme pour les mégalithes de Carnac, cela surprend. C’est ici, entre Perros-Guirec et Ploumanac’h, qu’il faut suivre les sentiers côtiers pour approcher au plus près de la beauté grandiose et sauvage de la Côte de Granit rose, chaos granitique né d’une roche magmatique cristallisée il y a trois cents millions d’années. Sa couleur unique provient de la combinaison de trois minéraux : le mica, qui lui donne sa teinte noire, le feldspath pour le rose, et le quartz. Cette association rare ne se retrouve qu’à deux endroits, en Chine et à Scandola, en Corse. Savez-vous que c’est ici qu’est né le GR34, ce tour de Bretagne à pied long de 1 700 kilomètres, qui suit le tracé de l’ancien sentier des douaniers, du Mont-Saint-Michel jusqu’au pont de Saint-Nazaire ? Si le premier chemin de grande randonnée a été créé en 1947, le Lannionais Émile Orain s’aperçoit que la Bretagne n’en compte aucun vingt ans plus tard. Il défriche le tronçon initial à Trébeurden en 1968, faucille et serpe à la main, avec les hôtes des auberges de jeunesse dont il s’occupait... Depuis, des millions de promeneurs empruntent chaque année le plus grand parcours balisé d’Europe. Dès le milieu du XIXe siècle, cette zone côtière, pierres sculptées par les vents d’ouest et la galerne, les pluies et la mer en vagues incessantes, influence les peintres, auxquels le musée Ar Skol de Ploumanac’h rend hommage. Ne lit-on pas sur l’enceinte de la villa du peintre Maurice Denis « Jamais la nature ne m’a paru plus belle qu’à Perros » ? La moisson picturale suscitée par ce littoral est impressionnante. Les falaises enchantent le peintre Ferdinand Gueldry, qui les représente dans une palette néo-impressionniste, baignée de lumière. Pour l’artiste Emmanuel Lansyer, c’est le gigantisme des roches vues en contre-jour, par rapport aux minuscules figures, voiles et architectures, qui importe. Dans Rochers granitiques de Ploumanac’h, Mathurin Méheut insiste, lui, sur l’équilibre surprenant de la Tête de bélier, une de ces roches évocatrices de forme animale. Mais c’est certainement Maurice Denis, le « nabi aux belles icônes », qui célébra le plus poétiquement cette muse minérale, avec des compositions mythologiques et balnéaires inspirées de ce décor flamboyant.