Maison Côté Sud

MANHATTAN MÉDITERRAN­ÉE

Sur la Costa Blanca, Benidorm mobilise architecte­s, urbanistes et sociologue­s.

- PHOTOS ET TEXTE sixquatred­eux

Ne cherchez plus: l’une des plus belles skylines d’europe vous attend sur la Costa Blanca, entre Valence et Alicante. Fruit d’un mariage arrangé, mais heureux, entre village de pêcheurs méditerran­éen et ville américaine, Benidorm grandit toujours selon son plan directeur de 1956 auquel s’intéressen­t de plus en plus architecte­s, urbanistes et sociologue­s.

Bienvenue à Benidorm! Levez-vous à l’aube, c’est important. Zigzaguez, même mal réveillé, dans les lacets de la Cruz, doublez le petit monsieur qui monte là tous les matins et qui vous saluera puis, au moment où le soleil pointe derrière la montagne, savourez cette image: Manhattan à la plage! Une poignée de gratte-ciel dressés à la verticale des champs d’orangers pour former, si l’on rapporte le nombre de ses tours à celui de ses 65 000 résidents, la troisième ville d’europe la plus densément peuplée après Londres et Milan! En Espagne, il n’y a que Barcelone et Madrid qui comptent plus de gratte-ciel qu’elle, mais ces villes ont des banlieues, des périphérie­s, des transition­s. Benidorm fait plutôt songer à ces villes de sciencefic­tion bâties aux confins de la galaxie par des terriens condamnés à quitter en urgence la planète bleue. Historique­ment, il y a un peu de ça. « Dans les années 1950, explique José Luis Camarasa, l’architecte municipal, Benidorm était un village de 3000 pêcheurs, marins, agriculteu­rs, des gens à la vie rude, mais qui avaient voyagé. Ils savaient qu’ils avaient un site exceptionn­el, des plages magnifique­s tournées vers le Sud, un climat stable et doux… Ils ont pensé que c’était la clef de leur reconversi­on, que tenir un hôtel serait plus facile, plus prévisible que la pêche, qui battait de l’aile, ou l’agricultur­e. Alors, en bons marins, ils ont changé de cap et viré de bord ! » Le tout pour le tout. Un pari très audacieux pour l’époque, qui plus est dans l’espagne de Franco. Mais Benidorm convainc Madrid de la laisser devenir un laboratoir­e en matière de tourisme balnéaire. Un premier plan directeur est tracé en 1956, visant à créer une cité-jardin, comme sur la Côte d’azur ou autour de Barcelone, avec des hôtels de quatre-cinq étages perpendicu­laires au rivage pour que toutes les chambres aient une vue mer. En 1963, un nouveau choix s’impose, comme lorsqu’on pose un paquet de cigarettes sur une table. Horizontal ou vertical? Contrairem­ent à Mykonos, qui préféra croître à l’horizontal­e et rester un village, Benidorm choisit de grandir à la verticale, avec un coefficien­t d’occupation des sols comparable à celui de Manhattan, Chicago ou Miami. « Benidorm, conclut Camarasa, c’est un village méditerran­éen avec un ADN de ville américaine. » La station est fière d’être une ville du XXE siècle singulière. Fière au point d’avoir demandé à un groupe de dix-huit universita­ires et experts en matière d’urbanisme, d’architectu­re, de tourisme et d’environnem­ent de monter un dossier en vue de son inscriptio­n par l’unesco au Patrimoine mondial de l’humanité. Comme « bien mixte », à la fois culturel et naturel, titre qui distingue seulement vingt-cinq sites dans le monde, dont le Tassili, les Météores, le secteur Pyrénées-mont Perdu ou encore Ibiza ! D’ici-là, Benidorm continue à suivre religieuse­ment son plan directeur qui fixe des règles claires, empêche les surprises ou la spéculatio­n, garantit une croissance lente et une densité raisonnabl­e, presque villageois­e, de cinquante logements par hectare. Le modèle vertical, c’est moins d’emprise au sol, de grandes avenues, des espaces naturels intacts à quelques minutes du centre-ville et des besoins réduits en voitures et transports publics puisqu’au final tout le monde vit à dix minutes à pied de la plage. Pour certains architecte­s et sociologue­s, ce n’est pas loin d’être un modèle de station raisonnée sur un littoral

méditerran­éen férocement colonisé. Du coup, la ville joue à fond cette carte du développem­ent durable. Elle collection­ne les Pavillons Bleus et les normes ISO pour ses plages, fait partie des rares villes d’espagne dont L’OMS a distingué la qualité de l’air et son réseau d’eau potable, réemployée pour un tiers dans l’arrosage municipal, a reçu un prix du ministère espagnol de l’environnem­ent. C’est vrai qu’il fait bon se promener le nez en l’air dans ce méli-mélo de gratteciel dégingandé­s qui ont poussé droit vers le soleil. Autour de la plage du Levante, la plus touristiqu­e et festive de Benidorm, on trouve les tours des années 1970 les plus spectacula­ires. Un doux délire rétrofutur­iste, les codes de l’espagne éternelle – azulejos, jalousies, bannes à rayures et pots de géraniums – en plus. Le résultat est étonnant, touchant, bon enfant, comme sa clientèle en panne de vitamine D, prête à tout pour oublier qu’elle vit au nord du 50e parallèle. L’été, cinquante plagistes se chargent d’aligner chaque jour sur le sable de petites colonies de chaises longues et d’ouvrir quelque 2 000 parasols bleus. Ici, la plage est une chose sérieuse, organisée, avec une concierger­ie, une bibliothèq­ue de prêt et, près des bouquets de palmiers, de petits jets pour les pieds ensablés. Trait d’union entre le sable et la ville, le Paseo marítimo de l’architecte Carlos Ferrater (agence OAB à Barcelone) déroule sa longue vague de béton blanc couverte de céramique arc-en-ciel. Belle comme une sculpture, elle est aussi utile et abrite du soleil et du vent dans ses pleins et déliés. La vague vient mourir au pied des palmiers du parc d’elche, et sur la promenade de marbre noir et blanc qui, avec un petit air de Copacabana, mène à la vieille ville. Entre Levante et Poniente, ses rues fraîches convergent vers la plaza de la Señoría, avec sa belle église du XVIIE siècle coiffée de tuiles bleues vernissées, et la plaza Castelar, où les élégantes du XIXE siècle venaient se promener entre gloriette et pergola. Les guides de l’époque recommanda­ient les bains de mer dans la crique de Mal Pas, aux cinquante nuances de bleu, et de « parfaire sa connaissan­ce de la pêche au thon ou à la sardine ». En ce temps-là, la vie était bien réglée. Qui pouvait imaginer que, cent ans après, la face du monde serait bouleversé­e par deux inventions majeures : la SEAT 600 et les filles en bikini ! Les vacances, les vraies, allaient enfin pouvoir commencer… Merci à Visit Benidorm de nous avoir conté, et fait toucher du doigt, l’aventure verticale de sa cité. Carnet d’adresses page 224

 ??  ?? GRATTE-CIEL CI-CONTRE Si l’on rapporte le nombre de ses gratte-ciel – rascacielo­s, en espagnol – à celui de ses 65000résid­ents permanents, Benidorm est la troisième ville d’europe la plus densément peuplée après Londres et Milan! Sauf qu’ici, ce sont les vacances, avec un soleil qui brille 300 jours par an et l’air et la mer à 20 °C en moyenne toute l’année.
GRATTE-CIEL CI-CONTRE Si l’on rapporte le nombre de ses gratte-ciel – rascacielo­s, en espagnol – à celui de ses 65000résid­ents permanents, Benidorm est la troisième ville d’europe la plus densément peuplée après Londres et Milan! Sauf qu’ici, ce sont les vacances, avec un soleil qui brille 300 jours par an et l’air et la mer à 20 °C en moyenne toute l’année.
 ??  ?? 1. 2. LA BELLE VIE !CI-CONTRE1. Un belvédère, souvenir du temps des bains de mer de la Vierge du Suffrage.2. Lire les news sur le Paseo marítimo. PAGE DE DROITE D’anciennes jeunes filles qui venaient à la plage en SEAT 600 dans les années 1960 ? Possible. La clientèle de Benidorm lui est fidèle et revient d’année en année.
1. 2. LA BELLE VIE !CI-CONTRE1. Un belvédère, souvenir du temps des bains de mer de la Vierge du Suffrage.2. Lire les news sur le Paseo marítimo. PAGE DE DROITE D’anciennes jeunes filles qui venaient à la plage en SEAT 600 dans les années 1960 ? Possible. La clientèle de Benidorm lui est fidèle et revient d’année en année.
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