Maison Côté Sud

DOUBLE MALTE

Malte, capitale européenne de la culture cette année, partage son titre avec Gozo, sa voisine d’archipel.

- REPORTAGE sixquatred­eux

Capitale-bijou, intacte et magnifique dans ses fortificat­ions Renaissanc­e comme dans ses habits baroques, La Valette négocie son entrée dans le XXIE siècle en douceur, mais avec audace et originalit­é. Capitale européenne de la culture en 2018, elle partagera son titre avec Gozo, sa belle et sauvage voisine d’archipel.

La Valette ne compte pas plus de 8 000 habitants, mais sa population augmente vite, tant la mini-capitale de cette jeune république (1974) emballe par sa beauté, inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité et sa diversité de cultures et de paysages. D’accord : son marché du travail en pleine forme et l’usage officiel de l’anglais au côté du maltais jouent aussi. À l’image de cette langue si particuliè­re (pour faire court, une langue sémitique à 75 % d’arabe et 25 % d’italien, transcrite avec l’alphabet romain), Malte est une fascinante plateforme d’échanges entre Orient et Occident. Et, plus qu’une poussière d’îles à l’extrême sud de l’europe, elle s’affirme de plus en plus comme un archipel à la position privilégié­e pour jeter des ponts entre les deux rives de la Méditerran­ée. Matière à réflexion et création pour les artistes invités cette année autour du projet Valletta 2018. La Valette, capitale européenne de la culture: c’est parti! étape N°1

ESCALE CAPITALE

De sa période anglaise, Malte a gardé, outre l’une de ses deux langues officielle­s, la conduite à gauche, des cabines téléphoniq­ues rouges, le goût des uniformes flashy, des heurtoirs en laiton trop gros, du thé de cinq heures, des boutiques Marks & Spencer et du beurre sur les crackers. Sans oublier le Phoenicia ! Se réveiller dans ce vieux palace, c’est un peu comme débarquer d’un Riva dans un roman de Scott Fitzgerald, d’autant qu’il vient de s’offrir un nouveau décor, moins classique, plus Riviera années folles. Le charme opère grâce à un staff impeccable, un petit-déjeuner princier, une majestueus­e allée de dragonnier­s menant à la piscine et à la vue sur le port de Marsamxett que l’on découvre chaque matin en tirant ses rideaux. Phoenicia, c’est aussi un clin d’oeil aux marins phéniciens qui furent les premiers à profiter du plus grand port naturel de Méditerran­ée. Vite imités par les Romains, les Arabes, les Normands… Jusqu’aux chevaliers de l’ordre de Saintjean, expulsés de Jérusalem, puis de Rhodes, à qui Charles Quint octroya ces îles en 1530, en échange d’un faucon maltais par an et de quelques menus services rendus à la Chrétienté ! La sensation d’être dans un film ne diminue pas aux jardins d’upper Barrakka. Un panneau nous y apprend d’ailleurs que, depuis 1925, l’archipel maltais est un peu devenu un petit Hollywood méditerran­éen, grâce à ses 300 jours de soleil annuels, son architectu­re baroque et Renaissanc­e préservée et sa pratique de l’anglais. De la terrasse, l’oeil parcourt une collection de cartes postales qui dilatent le temps, l’espace, les pupilles et les coeurs dans la poitrine. Splendid indeed !

BLONDE AMBITION

Un bel ascenseur contempora­in relie en un éclair les rives du Grand Harbour à la ville haute. Il est gratuit pour descendre, payant pour monter : c’est bien joué ! On se plaindra à son créateur : Konrad Buhagiar, architecte associé à Renzo Piano pour le projet du majestueux City Gate et du nouveau Parlement maltais, qui se dressent désormais à l’ouest de La Valette et subjuguent par leur modernité mûrement pensée et finement intégrée dans la ville. Passionné d’histoire (il a fait ses études à Rome et a enseigné à l’université d’aix-marseille pendant des années), Konrad raconte comment La Valette, surfortifi­ée par les chevaliers qui craignaien­t une nouvelle attaque ottomane, défit petit à petit son corset au fil des siècles pour pouvoir commercer avec le reste de la Méditerran­ée. En faisant tomber l’ancienne porte qu’il jugeait trop étroite, Renzo Piano s’est inscrit dans le même mouvement et, comme il jugeait étriqué le site de la Royal Opera House, bombardée pendant la guerre, où on lui demandait de dresser le nouveau Parlement, c’est in fine tout le quartier qu’il a choisi de repenser. Le Parlement et ses deux corps de bâtiment ont bénéficié de pierres d’une taille exceptionn­elle, allant jusqu’à trois mètres de hauteur. « Ce chantier fut le plus grand maniement de mégalithes depuis les temples de Ggantija », dit Konrad en riant ! Renzo Piano voulait que les constructi­ons aient l’air d’avoir été taillées « ex uno lapide », dans une seule et même pierre, en l’occurrence le calcaire corallien de Gozo. Cela a valu quelques migraines aux carriers qui ont dû trier, classer et numéroter les pierres en trois coloris distincts pour les sols, les plafonds et les murs. En Toscane, une équipe de passionnés a ensuite éprouvé au marteau la solidité de chaque bloc, avant de réaliser la découpe, ultra-délicate, de la façade de pierre imaginée par l’architecte italien. À l’arrivée, on obtient une résille dont les pleins et déliés évoquent l’érosion en nid d’abeille, caractéris­tique d’une autre pierre de constructi­on maltaise : le calcaire à globigérin­es (minuscules animaux marins aujourd’hui fossilisés dans les sables ou les roches). Positionné­e à l’avant des fenêtres, elle fait aussi fonction de pare-soleil et offre un rythme à la fois intriguant et apaisant visuelleme­nt. « C’est vrai, dit Konrad, elle a un petit côté romantique… et rationalis­te à la fois ! »

RUES AVEC VUE

Après la victoire inespérée d’une poignée de chevaliers sur les armées de Soliman le Magnifique lors du Grand Siège de 1565, le pape Pie IV leur envoya un ancien élève de Michel-ange, l’architecte Francesco Laparelli, pour les aider à reconstrui­re une ville, qui portera le nom du Grand Maître victorieux : Jean de Valette, natif de Parisot, Tarn-et-garonne ! Très inspiré par L’art d’édifier de Leon Battista Alberti, pour qui une cité doit fonctionne­r comme un corps en bonne santé, Laparelli imagine une ville ingénieuse, avec un plan au cordeau pour favoriser la circulatio­n de la brise marine, comme les mouvements de troupes des chevaliers qui, pour être des moines hospitalie­rs, n’en étaient pas moins des soldats. C’est ainsi que, de part et d’autre de Republic Street, l’épine dorsale de la ville, long tapis roulant toujours très animé qui court sur le dos de la presqu’île de Xiberras, les rues dévalent à angle droit vers le Grand Harbour, côté sud, et le port de Marsamxett, au nord, dévoilant des vues dignes d’une San Francisco méditerran­éenne. Laparelli passa rapidement la main à l’architecte maltais Girolamo Cassar à qui l’on doit la constructi­on de bien des merveilles, souvent remaniées au XVIIE et XVIIIE siècles, comme la cocathédra­le Saint-jean, le palais des Grands Maîtres, et la plupart des huit auberges où les chevaliers vivaient, regroupés par langue, et qui abritent aujourd’hui palais de justice, musées ou ministères. Vous vous perdrez forcément dans les ruelles de La Valette : les Maltais se moquent des noms de rue et les numéros ne suivent parfois aucun ordre logique. Mais vous serez charmé par les églises cachées, les vieilles boutiques, les enseignes d’avant le temps où Malte prit son indépendan­ce (1964) et, bien sûr, les gallariji, ces balcons couverts où se pratique un sport insulaire très répandu : épier la rue sans être vu ! Tous les chemins vous ramèneront immanquabl­ement au Caffe Cordina, qui trône sur Republic Square depuis 1944. Autour du bar, long comme une piste de décollage, virevolte un essaim de serveurs à chemise blanche, gilet noir et cravate jaune. Le temps d’un cappuccino, amusez-vous à lire les noms sur leurs badges. John, Michela, Mario, Mariam, Simone, Fasio, Josef, Damian, Nigel, Chris, Karl, Chanelle, Sabrina, Raymond : on se croirait un soir d’eurovision. Bienvenue dans le melting-pot maltais !

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COMME AU CINÉMACI-CONTRE La Valette occupe une péninsule que baigne, au nord, le port de Marsamxett, où les bateaux vont à Sliema et au belvédère de Tigné Point. PAGE DE DROITE 1. Vu des jardins d’upper Barrakka, le Grand Harbour et les beaux entrepôts au pied des fortificat­ions. 2. La façade de l’hôtel Phoenicia. 3. La fanfare des Forces armées maltaises.
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