GRAINS DE SEL

À Gozo, ce sont les oiseaux qui vous réveillent. Il y en a peu à Malte, mais ils sont tous ici, planqués dans les arbres. De la terrasse de l’hôtel Duke, l’aurore aux doigts de rose, chère à Homère, prend tout son sens. Nous serions d’ailleurs sur l’île de Calypso. On l’imagine sous les traits d’angelina Jolie, puisqu’elle et Brad ont tourné ici Vue sur Mer (By the Sea), leur film, et un peu leur histoire aussi. Forcément, ils sont venus manger les plats rustiques et 100 % gozitans de Ta’ Philip, à Ghajnsielem. Mais la plus grande fierté du chef Victor reste son four, à bois et à chaleur tournante, où il met à dorer gratins, aubergines, courgettes farcies et d’adorables petits cochons de lait, qu’il glisse sur un lit d’oignons et de feuilles de laurier et protège d’une couverture en papier sulfurisé. On regarde attendris cette nature morte à la van Dijk, quand déboule Philip. Philip s’agite, parle fort, sert des Camparis « pour ouvrir l’appétit » ! Et c’est parti pour un festival, où l’on fait de rapides progrès en maltais : Ful bil-kusksun, la soupe aux fèves, Gbejniet tal-bzar, les petites brousses fraîches au poivre, Qaqocc Mimli, les artichauts farcis au pain, aux anchois, à l’ail nouveau et au basilic ! Après la parmigiana et les courgettes farcies, on capitule. Alors Philip raconte : son enfance à la ferme, ses jeunes années sur les marchés. Et les pique-niques que sa mère confectionnait quand ils allaient à la plage : une grande salade d’oignon et d’aubergine cuits au four, et des sandwiches thon/ olives/anchois. Le paradis sur les sables roux de Ramla ! Quand on oubliait le sel, on regardait vers l’ouest, du côté de Marsalforn. Là, des bassins salants taillés dans la pierre par les Romains apportent un peu d’ordre et de géométrie sur ce littoral capricieux, tout en concrétions et circonvolutions sableuses. C’est beau, tous ces miroirs d’eau. Des amoureux se promènent et s’embrassent comme si leur vie allait être illuminée par cette journée. Quelques vieux déambulent. Un homme écoute la radio en regardant la mer. À quoi rêve-t-il ? À ce Nicky Farrugia qui, le 28 juillet 1985, battit le record de traversée à la nage entre Marsalforn et la Sicile, que l’on devine en face ? Franchement : aller nager trente heures et dix-sept minutes, alors que l’on est si bien ici !