HOMO FABER L’ÉTHIQUE DU GESTE
PENDANT QUE LA BIENNALE D’ARCHITECTURE BAT SON PLEIN, UNE EXPOSITION PÉPITE SE PROFILE À L’HORIZON VÉNITIEN. LA MICHELANGELO FOUNDATION FOR CREATIVITY AND CRAFTSMANSHIP ORGANISE « HOMO FABER », UNE EXPÉRIENCE À VIVRE RÉUNISSANT ARTISANS EUROPÉENS POINTUS
À Venise, sur l’île de San Giorgio Maggiore, la Fondazione Cini accueille depuis les années 1950 le meilleur du design et de la création contemporaine internationale dans une enveloppe patrimoniale d’une rare beauté. La façade de la basilique San Giorgio Maggiore, projetée par Andrea Palladio, n’est que la face la plus apparente du monastère qui renferme un ensemble architectural monumental. Aller à la rencontre du Tintoret ou de Véronèse y est aussi naturel que de fréquenter le port de plaisance, les jardins de buis ou l’immense bibliothèque Nuova Manica Lunga réinterprétée par l’architecte et designer Michele De Lucchi. Du 14 au 30 septembre, l’île fête les métiers d’art européens avec des rencontres et des ateliers reconstitués autour de la beauté du geste. Duos d’excellences où s’harmonisent savoir-faire et design, pensées d’architectes et logiques de conservateurs… À la croisée des talents, pendant quinze jours et pas un de plus, une plongée inhabituelle dans les profondeurs de la création. Pour cette vitrine singulière, riche d’échanges de vues qui traversent le temps, le modus operandi
est suffisamment rare pour être souligné. « Homo Faber », ce sont 4 000 m2 d’exposition sous la forme d’ateliers de maîtres artisans en activité et d’espaces scénographiés qui prennent vie dans les murs de la Fondation. À tout juste dix minutes de vaporetto de la place Saint-marc, jardins, cloîtres et bibliothèques s’ouvrent à cette manifestation d’un type nouveau. La main est au coeur du projet. Et c’est aussi main dans la main que se créent les conditions d’une rencontre naturelle entre des techniques artisanales sophistiquées, des designers en chair et en objets, des passeurs de savoir faire, dans des domaines aussi différents que le verre soufflé, la mosaïque, la marqueterie, la gravure, l’orfèvrerie, le bois, la broderie, le cuir… Dans les espaces-ateliers conçus pour favoriser l’observation, les gestes complexes et précis des maîtres artisans sont à l’oeuvre. Les collaborations avec des designers se nouent dans le secret des ateliers. Et, au-delà des objets créés, il s’agit bien chaque fois d’une aventure humaine. Une installation d’india Mahdavi met en lumière tout le potentiel de l’artisanat d’art contemporain dans la décoration
intérieure en valorisant les matériaux et les techniques qui lui sont chers : la marqueterie, le travail de la laque, de la soie ou du rotin. Michele De Lucchi invite huit designers européens – parmi lesquels Ingo Maurer, Martine Bedin, Adam Lowe, Ugo La Pietra, Oscar Tusquet Blanca et Marcel Wanders… – à collaborer avec des maîtres pour produire des pièces uniques. L’imagination est au pouvoir. De la haute joaillerie aux bicyclettes sur mesure, de la restauration navale aux techniques du plissé éventail, des compétences rares unissent des duos artisan-designer. Un workshop fertile et ouvert pour ces paires aux affinités électives dont le vocabulaire est si proche et si différent. L’histoire des lauréats du prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main fait l’objet d’une scénographie où l’on retrouve les Pyramides des âges en céramiques réalisées à Vallauris par Claude Aïello sur un projet du designer Mathieu Lehanneur. Tandis que des moments plus intimement vénitiens ouvrent un pan de vie sur des ateliers et entreprises artisanales nichées à Venise et dans la lagune, le télescopage de compétences européennes ancestrales et de la réalité virtuelle et augmentée entraîne les visiteurs dans l’intimité des ateliers. Mais qu’ont donc en commun un restaurateur de Ferrari virtuose et une brodeuse de Burano ? Le dénominateur commun à ces métiers rares est bien l’éthique du geste et les valeurs de la transmission. L’ouverture au monde contemporain les rend plus précieux encore, car artisans et designers interprètent des matières vivantes. Venise reflète dans ses eaux des histoires d’hommes et de femmes pour qui l’amour du beau est un trésor. Guidée par sa conviction que la pérennisation des métiers d’art est une mission de sauvegarde essentielle, la Michelangelo Foundation for Creativity and Craftsmanship est à l’initiative de cette manifestation qui rend vivants et combinatoires les héritages, l’excellence et la maîtrise des compétences. À l’unisson, la fondation Bettencourt Schueller affirme vouloir « donner des ailes au talent » . Avec un regard neuf sur des pratiques qui ont su traverser le temps et l’histoire, la création artisanale s’affirme comme une valeur superlative. Aux sources de l’innovation se niche la capacité à savoir faire et faire savoir. Le choix de Venise comme laboratoire d’idées ne pouvait être plus juste. Patrimoine immatériel de gestes d’une richesse infinie, les métiers d’art méritaient bien cet écrin.