Maison Côté Sud

ORAISON SILENCIEUS­E

- PA R Marie-hélène Balivet

L’artiste Eva Jospin invente des mondes imaginaire­s ciselés dans le carton. Elle investit Montmajour et offre une stèle au passé de l’abbaye.

À LA CROISÉE DE LA SCULPTURE ET DE L’ARCHITECTU­RE, EVA JOSPIN INVENTE DES PAYSAGES ET DES MONDES IMAGINAIRE­S, FINEMENT CISELÉS DANS LE CARTON. INVITÉE PAR LE CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX À INVESTIR MONTMAJOUR DANS LE CADRE DE LA BIENNALE MANIFESTA 13, ELLE OFFRE UNE STÈLE SAISISSANT­E AU PASSÉ DE L’ABBAYE.

Elle est d’abord connue pour les forêts profondes et mystérieus­es qu’elle fait surgir de son matériau de prédilecti­on, le carton. La plasticien­ne Eva Jospin avoue d’ailleurs volontiers son « obsession » pour la forêt, lieu de quête et de connaissan­ce où l’on peut se confronter à ses peurs d’enfant, se perdre ou se retrouver… Ses installati­ons sylvestres, souvent monumental­es, sont créées à partir d’un élément lui-même issu du bois, une façon pour l’artiste de « redonner vie à ce qui a été détruit » . Sculpté, découpé, élagué, poncé, collé, au fil d’un lent processus tenant de l’artisanat, le carton devient la matrice d’où jaillissen­t arbres et pavillons, formes végétales ou minérales, organiques ou architectu­rales. Se promener dans une exposition d’eva Jospin équivaut donc à s’enfoncer dans une jungle rêvée, où, comme à Angkor, la nature, lentement, reprend ses droits sur la culture. Invitée par le Centre des monuments nationaux à s’exprimer dans la majestueus­e abbaye de Montmajour, l’artiste a dû cette fois se confronter à la très longue histoire du lieu. Cette acropole sacrée, joyau de la chrétienté provençale, s’élève sur un pic rocheux dominant la plaine de la Crau, à 4 kilomètres d’arles. Ici, un monastère roman, en partie troglodyte, accueillai­t dès le Xe siècle une communauté de bénédictin­s dédiés à la prière pour l’âme des morts. Eva Jospin a donc dressé, au centre de l’église abbatiale, une tour de trois étages faite de carton stratifié, un cénotaphe, monument élevé à la mémoire des défunts dans un lieu où leurs corps sont absents. Cette architectu­re hybride, à la fois minérale et végétale, résonne puissammen­t sous les voûtes de Montmajour, telle une prière venue d’un lointain passé rupestre et funéraire. Elle est accompagné­e de deux autres oeuvres, « Capriccio » et « Grotte Folie », évoquant les éléments qui ornaient jadis les palais et les temples. Plein d’un bruissemen­t d’âmes évaporées, ce parcours fervent, entre décor ancestral et constructi­on imaginaire, nous invite à écouter la parole des pierres.

 ??  ?? 1. L’artiste Eva Jospin devant son oeuvre « Cénotaphe », créée spécialeme­nt pour l’exposition éponyme, à l’abbaye de Montmajour. Ce haut monument évoque la nature troglodyti­que de l’abbaye originelle. À l’issue d’un long processus créatif, le carton dont il est composé a pris l’apparence de la pierre, de la roche, et du végétal. 2. « Capriccio – Cénotaphe, 2020 ». Posée dans une abside de l’église, cette oeuvre est elle aussi « pensée comme une chimère » , à la fois minérale et végétale.
1. L’artiste Eva Jospin devant son oeuvre « Cénotaphe », créée spécialeme­nt pour l’exposition éponyme, à l’abbaye de Montmajour. Ce haut monument évoque la nature troglodyti­que de l’abbaye originelle. À l’issue d’un long processus créatif, le carton dont il est composé a pris l’apparence de la pierre, de la roche, et du végétal. 2. « Capriccio – Cénotaphe, 2020 ». Posée dans une abside de l’église, cette oeuvre est elle aussi « pensée comme une chimère » , à la fois minérale et végétale.

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