SCULPTURES À VIVRE
Les cheminées de plâtre de Valentine Schlegel, remises dans la lumière par l’artiste Hélène Bertin.
Longtemps méconnue, l’artiste sétoise Valentine Schlegel, aujourd’hui nonagénaire, est revenue dans la lumière grâce à l’enquête patiente de la sculptrice Hélène Bertin. Celle-ci a notamment répertorié un étonnant ensemble de cheminées de plâtre, évoquant l’éclat de la Méditerranée antique. Retour sur l’itinéraire d’une singulière créatrice-ouvrière.
CHEMINÉES PAYSAGES PAGE DE GAUCHE
Cheminée, tablette, plaque en métal, pilier, encadrement de fenêtre de toit, Paris, 1977. Table, contreplaqué peint, mosaïque en pâte de verre, 1984.
PAGE DE DROITE 1.
Cheminée, tablette, lampe intégrée, banc, coffre à bois, plaque en métal, Arles, 1981.
2. Valentine Schlegel et son assistant Frédéric Sichel-dulong, après la réalisation d’une cheminée à Théoule-sur-mer, en 1966.
«Valentine, c’est un couteau suisse.» Ainsi parle Hélène Bertin, la jeune artiste qui a consacré cinq années de sa vie à exhumer l’oeuvre oubliée de Valentine Schlegel, répertoriant ses créations, lui dédiant un livre et deux expositions. Née en 1925, Valentine Schlegel, esprit libre et atypique, a développé une pratique plastique quotidienne entre Paris et Sète, sa ville natale. « À l’image d’un couteau suisse, elle maîtrise plusieurs techniques pour réaliser des objets usuels d’une beauté sculpturale: vases en céramique, couverts en bois, sandales en cuir, cheminées de plâtre.» Après un passage aux Beaux-arts, Valentine Schlegel travaille comme costumière et régisseuse pour le Festival d’avignon, dont le créateur, Jean Vilar, est son beau-frère. Puis la voici à Paris, où elle découvre l’art de la céramique et enseigne le modelage aux Ateliers des moins de 15 ans du musée des Arts décoratifs. «Son accent du Sud, ses cheveux courts, sa carrure, ses vêtements de travail empruntés aux gardians ou aux marins en font alors un personnage exotique », raconte Hélène Bertin. De 1959 à 2002, Valentine Schlegel réalise aussi, pour de nombreux commanditaires, des éléments architecturaux en plâtre: couchettes, étagères et, surtout, cheminées (plus d’une centaine éparpillée de la Normandie aux Baléares). «C’est un art privé qui disparaît dans les intérieurs, ce qui explique qu’il soit resté méconnu.» Pourtant, ces «sculptures
d’usage » frappent par leur esthétique immaculée : débordant du foyer, elles se répandent dans la pièce, y ménageant des niches, des aplats, des recoins, la transformant en grotte cycladique, en refuge troglodyte au suave modelé. L’époque est celle de Jacques Tati, du chauffage central et de la télévision reine, mais qu’importe! Valentine Schlegel va à contre-courant, restaure la magie du feu, le droit au rêve et à la contemplation. «Pour elle, dit encore Hélène Bertin, la maison est un territoire de liberté et de réinvention. » Dans ce nouvel espace, elle fait renaître ce qui s’est éloigné: sa vie sétoise de soleil et d’embruns, de cabanes éphémères et de poissons dégustés avec ses amis pêcheurs. Au mur de son appartement parisien, sa collection de couteaux évoque un banc de sardines, tandis que ses cheminées racontent un univers de voiles déployées et de dunes façonnées par le vent. N’ayant bénéficié que de trois expositions monographiques, « l’oeuvre de Valentine Schlegel, indique Hélène Bertin, questionne la frontière entre artisanat, design, architecture et art. Elle interpelle aussi sur la possibilité de créer en dehors d’un circuit artistique normé. Et, en fin de compte, sur la décision de faire de sa vie un art. »
« JE DORS, JE TRAVAILLE »
— Monographie de Valentine Schlegel par Hélène Bertin. Les Presses du réel, 2017.