EN TERRE DE FEU
Élargir l’horizon, changer de perspectives, sortir de sa zone de confort. Noé Duchaufourlawrance, architecte d’intérieur et designer plébiscité, largue les amarres, loin de la capitale et d’un système en perte de sens. Il initie à travers Made In Situ une reconnection du design avec l’artisanat et ses pratiques ancestrales. Ici, la Soenga, magie noire de la céramique.
C’est le Portugal que Noé Duchaufourlawrance élit pour cette quête autant spirituelle que physique. « J’envisageais déjà de partir de Paris quand, de retour du Brésil où je m’adonne au kitesurf, je suis resté en escale à Lisbonne. J’ai senti la possibilité d’une destination, dans un pays en mouvement, très résilient, se réinventant sur des bases solides. J’ai eu envie d’essayer, de partir à la découverte des paysages, des savoir-faire … les rencontres ont fait le reste, de manière très organique, l’une amenant l’autre. » Partageant un bureau avec Fatima, initiatrice d’un Wikipédia des artisans portugais, Passa ao Futuro, il est intrigué par sa description de la Soenga, pratique séculaire de cuisson de poteries très ritualisée. « Un cercle de terre fine est formé, au centre duquel sur un lit de pommes de pin et de branchages les pièces en argile sont disposées, serrées. D’abord le feu est ouvert, puis il est recouvert de tourbe et de bûches. La cuisson atteint 1 200 °C et dure douze heures. Ensuite, la cheminée du monticule est bouchée par la terre du premier cercle. Le manque d’oxygène provoque l’oxydation, donnant cette teinte noire particulière. » Noé Duchaufour-lawrance décide de rencontrer les maestros de cette céramique nommée Barro Negro :
Xana Monteiro et Carlos Lima, à Molelos. « Ils se moquaient de savoir d’où je venais. D’échanges en dessins – je n’avais rien dans mes cartons avant de les connaître –, des pièces se sont esquissées. » Le designer s’imprègne des roches granitiques de la Serra de Caramulo, qu’il traduit dans ses croquis de lampes ou dans le mouvement donné aux sphères encore meubles. Il renoue avec ses gestes de sculpteur, acquis lors de sa première formation à l’école nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art, avant les Arts-déco en design. « Je ne suis plus dans une relation fantasmée qui passait par la technologie, même si les deux démarches relèvent du même désir de créer un lien émotionnel avec les objets. Made In Situ est une question d’exploration, de matériaux, de territoire, d’artisanat. Nous allons travailler avec le liège brûlé par les incendies de 2017, que j’ai vu en arrivant ici, puis ce sera le bronze, le marbre… Ce projet insuffle un dialogue entre le design et l’artisanat, dans le respect de la tradition et l’enrichissement constant de la réflexion menée sur le design. Lorsqu’elle est débridée de cette manière, la créativité s’épanouit. » Rendez-vous dans son espace lisboète, plus expérience que galerie.