ARCACHON ÉMOTION
RARE MOMENT DE POÉSIE QUE LE DERNIER RÉCIT DE CHANTAL THOMAS, QUI REND UN HOMMAGE TOUT EN FINESSE AUTANT À SA MÈRE, LA LUNATIQUE ET FANTASQUE JACKIE, QU’À ARCACHON ET À SA DOUCEUR DE VIVRE – EN TOUTE SAISON.
Ces Souvenirs de la marée basse sont aussi captivants qu’une miniature : on s’y abîme avec plaisir, entraîné par la précision des détails, la justesse ciselée des transcriptions, la richesse des sensations. Les nuances étudiées ici par Chantal Thomas ne sont pas celles de la carnation d’un visage mais celles, aussi mystérieusement changeantes, des eaux du Bassin et des variations mélancoliques de sa mère qui choisit la nage, ce « ramper aquatique » sensuel et jouissif, pour échapper à l’ennui de sa condition de femme au foyer. Mais c’est bien la même magie troublante du détail qui opère, distillé par une écrivaine, spécialiste du XVIIIe, qui connaît sur le bout des doigts ces portraits de l’infiniment petit... Un monde merveilleux qu’il faut apprendre à saisir, en résonance parfaite avec l’Ouest des marées et des ciels fluctuants, cet Atlantique fugace et éphémère, qui est aussi celui de Chantal Thomas. « Je suis une fille de l’Ouest » , revendique-t-elle avec bonheur. En le disant, un rayon de soleil s’invite dans le bleu extraordinairement clair et transparent de ses yeux. Une fille de l’Ouest, assurément… Son pays d’enfance,
c’est Arcachon. « Arcachon, tout le monde descend. Le train ne va pas plus loin. Après, c’est le sable et l’Océan. » L’horizon de son monde, son Neverland à elle, qu’elle emmène partout, jusqu’à New York et dont elle n’éprouve même pas la nostalgie, puisque « c’était par les paillettes de lumière et de beauté qui continuaient à en irradier que se
dessinait toute chose » . Petite Lyonnaise, elle découvre le Bassin avec ses grands-parents, qui y vivent une retraite paisible. Ses parents les rejoindront vite. Sa mère s’y évade en faisant ses longueurs, sa grande évasion personnelle inaugurée enfant dans le bassin du château de Versailles. Arcachon, avec l’Océan libératoire en seul point de mire : on laisse derrière soi la forêt et son univers inquiétant pour ne suivre qu’une seule trajectoire, celle qui mène à la plage. Fabuleux terrain de jeu que les longues plages de sable rassurant sur lesquelles la petite fille apprend à marcher, écrit des histoires fabuleuses et passe des heures à apprendre aux « enfants
d’ailleurs » , ceux qui ne connaîtront pas la douceur de l’après-saison, « la culture et les mille et un secrets de la plage des couteaux et des crabes » . Et lorsque les volets des belles maisons de villégiature se ferment, quand l’hiver s’installe, d’autres secrets à découvrir, de nouveaux ressorts intimes à activer : « Cela implique que l’on sache vivre de rien, cela suppose que l’on réussisse à garder, au fil des jours, l’insouciance des vacances, la capacité à jouir de l’instant. » Ce pouvoir de la contemplation, cette capacité de vivre le moment présent, la petite fille, l’adolescente puis l’adulte les entretiendront précieusement. Face à la puissance de l’environnement, « les personnes, au fond, ont un rôle secondaire. Ce sont les éléments qui nous dictent nos conduites. Le soleil ou la pluie, le vent, le sable, les marées ». Ce beau roman tout en grâce a la beauté des « images du monde flottant » , ces estampes japonaises chères à Chantal Thomas. À l’image de son auteur qui lâche prise en nageant, on s’y abandonne avec bonheur. « J’ai appris à perdre pied. Jubilation en mode nageur. »