Au pays du Cognac
Une architecture sous influence
Une architecture sous influence
Véritable trait d’union entre l’océan et l’arrière-pays, le fleuve Charente a joué un rôle essentiel dans le développement du vignoble cognaçais. Mi-Saintongeais, mi-Angoumois, le terroir du cognac porte la marque de son riche passé. Aux alentours de la ville qui a donné son nom à la précieuse eau-devie, les terres qui produisent les meilleurs crus restent ponctuées de très belles propriétés, d’harmonieuses maisons bourgeoises et de fermes devenues cossues à la faveur du précieux liquide. Une histoire à découvrir dans la pierre !
Texte : Élisabeth Delaigue. Photos : Antonio Duarte.
Étroitement liée à l’exploitation viticole, l’architecture traditionnelle du pays du cognac décrit l’histoire d’une région largement ouverte aux échanges commerciaux internationaux. Si de récentes découvertes archéologiques confirment l’importance de la vigne en Saintonge et en Angoumois dès le Haut-Empire romain, c’est au Moyen Âge, grâce aux divers aménagements réalisés pour améliorer la navigabilité du fleuve Charente, que le pays va connaître un important essor économique.
Du vin au cognac
Les navires hollandais viennent régulièrement charger le sel de la côte charentaise et la belle pierre de taille extraite de carrières exploitées depuis les Romains. Ils se remplissent aussi de barriques de vin produit par un vignoble qui s’étend progressivement vers l’intérieur du pays. Ces vins, d’un degré alcoolique peu élevé, sont très appréciés dans les pays du nord de l’Europe, mais ils souffrent du transport et arrivent parfois un peu « piqués ». Les marchands hollandais ont alors l’idée de le transformer en « vin brûlé », le « brandewijn », qui donnera le brandy. Ils installent donc leurs alambics en Charente pour transformer les vins en eau-de-vie, un produit plus concentré, donc moins
onéreux à transporter. Les vignerons charentais ne vont pas tarder à maîtriser la technique et à l’améliorer en mettant au point la double distillation, un procédé qui va assurer la renommée du cognac et la prospérité de sa région jusqu’à 1875. Apparaît ensuite le phylloxéra qui détruira la plus grande partie du vignoble et stoppera l’élan des bâtisseurs.
Une prospérité gravée dans la pierre
À partir du XVIe siècle, les propriétés évoluent progressivement en fonction de l’essor économique. Mais c’est surtout au cours du XIXe qu’elles dévoilent tous leurs fastes. Anciennes fermes agricoles ou constructions plus récentes, toutes veulent arborer, en façade, la fortune de leur propriétaire, qu’il soit vigneron, distillateur, négociant ou armateur. Les demeures, autrefois modestes, s’embellissent, s’allongent et s’entourent de bâtiments d’exploitation où se cachent la distillerie et les chais. Dans les villages, les bâtiments sont souvent perpendiculaires à la rue et délimitent une cour centrale accessible par un grand portail ouvragé qui laisse apercevoir la propriété. La maison d’habitation présente une façade bien ordonnée, percée d’ouvertures plus hautes que larges, les fenêtres de l’étage étant plus petites que celles du rez-dechaussée. Des oculi ou de petites
La façade en dit long sur le propriétaire
fenêtres carrées peuvent éclairer un dernier niveau sous combles. Quand les murs sont en moellons, ils sont toujours recouverts d’un enduit à la chaux qui met en valeur les pierres taillées des encadrements, la corniche ouvragée, les bandeaux moulurés soulignant les étages et la porte d’entrée souvent coiffée d’un linteau sculpté. Quand la façade est en pierre de taille, c’est qu’à l’instar des grands domaines viticoles, le propriétaire a pu faire construire une habitation plus prestigieuse, réservant l’ancienne au logement des ouvriers agricoles.
Pierre majestueuse
Une opulence affichée dès l’entrée
Dispersés dans la campagne, les domaines viticoles s’entourent de hauts murs. Ils s’organisent autour d’une cour où le logis du maître offre au sud- est sa façade d’architecture classique, réalisée en pierres de taille et élégamment ornementée. On y retrouve les cordons de pierre séparant les étages, les petites fenêtres éclairant les combles et, parfois, des encadrements d’ouvertures sculptés. S’y ajoute un perron devant la porte d’entrée rehaussée d’un élégant fronton et une toiture à
quatre pans avec épis de faîtage qui lui donnent une allure majestueuse. Tout autour, les bâtiments agricoles reliés par des murs forment une enceinte parfaitement close, protégeant l ’ensemble des regards indiscrets. Seuls un ou deux porches d’entrée (le second étant plutôt réservé à l’activité viticole) permettent d’accéder à cette cour intérieure. Généralement accompagné d’une porte piétonne, le porche principal peut donner lieu à une véritable surenchère ornementale : frontons, accolades, pilastres cannelés, clés de voûte sculptées, etc., et ses grandes portes en bois sont souvent équipés de spectaculaires pentures en fer forgé. Symbole de l’opulence du domaine, cette riche ornementation cherchait aussi, on s’en doute, à impressionner le visiteur... une façon d’en imposer et un sérieux avantage lors de délicates négociations ! l
Une beauté bien gardée