Les Journées européennes des métiers d’art
Luc Lesénécal, président de l’Institut national des métiers d’art (Inma) et président des Tricots Saint-James, évoque avec nous Les Journées européennes des métiers d’art (Jema) qui, du 3 avril au 3 mai, rendent hommage au processus de création d’artisan
Quelles sont les missions de l’Institut national des métiers d’art ?
Elles sont nombreuses ! [Rires.] L’Inma produit et diffuse une information qualifiée sur les métiers d’art. Il apporte une expertise pour développer le secteur. Il accompagne la transmission des savoir-faire rares, avec notamment le dispositif « maîtres d’art-élèves ». Et il sensibilise le jeune public. L’Inma soutient aussi les jeunes talents : il organise chaque année depuis quatorze ans le Prix Avenir métiers d’art, seul prix national à destination des jeunes en formation métiers d’art. Les candidats peuvent concourir dans trois catégories : niveau V (CAP), niveau IV (BMA, bac pro), niveau III (DMA, bac+2). Enfin, l’Institut fait la promotion des professionnels, notamment à travers le pilotage des Journées européennes des métiers d’art (Jema).
Vous venez d’être nommé président de l’Inma. Quelles sont vos ambitions pour cette institution ?
Réunir au sein d’une même agence les métiers d’art et les entreprises du patrimoine vivant – dont le point commun est l’excellence des savoir-faire –, autour de trois grands axes : former, fédérer et informer.
Qu’est-ce que l’Inma met en oeuvre pour maintenir vivants les métiers d’art ?
Chaque année depuis 2002, l’Inma pilote l’organisation des Jema, avec le soutien de la Fondation Bettencourt-Schueller, que je remercie. Les Jema sont un moment clé à l’occasion duquel le grand public peut découvrir les métiers d’art et rencontrer les professionnels aux savoir-faire exceptionnels. Pour les professionnels, c’est une opportunité de communication, de valorisation de leurs métiers, mais aussi de développement de clientèle, puisque près de 20 % des visiteurs achètent lors de leur visite. En 2021, elles deviendront les Journées européennes des métiers d’art et du patrimoine vivant.
Comment sensibilisez-vous le jeune public aux métiers d’art ?
Grâce à des actions de sensibilisation telles que le programme « À la découverte des métiers d’art », qui a lieu chaque année en janvier et permet à des centaines de collégiens de visiter des ateliers et de découvrir des lieux culturels sous le prisme des métiers d’art. Depuis le début de l’année, cet événement a offert à des jeunes l’occasion de découvrir les ateliers de dorure du château de Versailles, les ateliers d’ébénisterie du musée des Arts décoratifs, ou ceux de céramique à la Manufacture de Sèvres.
Vous gérez l’instruction des candidatures au label des Entreprises du patrimoine vivant (EPV). De quoi s’agit-il ?
C’est un label de l’État, attribué pour cinq ans, qui distingue des entreprises françaises aux savoirfaire artisanaux et industriels d’excellence.
Quel est le pourcentage d’entreprises liées à la construction et à l’habitat parmi les sociétés labellisées EPV ?
Les entreprises labellisées EPV sont réparties au sein de sept catégories : « Patrimoine bâti », « Décoration », « Arts de la table », « Gastronomie », « Mode et beauté », « Équipements professionnels », « Culture et loisirs ». Les entreprises du Patrimoine bâti représentent 14 % des EPV, celles de la décoration, 20 %.
Qu’est-ce que ce label apporte aux entreprises ?
Le label constitue un appui opérationnel au développement. Il facilite leur médiatisation à l’échelle nationale et internationale ; il permet de créer et de saisir des opportunités internationales d’affaires, d’innover, de conforter leur croissance, d’assurer le développement de l’emploi et de favoriser la transmission.
Où en est la création de l’Agence française des métiers d’art et du patrimoine vivant qui doit voir le jour après la fusion de l’Inma et de l’Institut supérieur des métiers ?
Sa création est en cours, elle verra le jour courant 2020. Rapprocher les savoir-faire d’excellence des métiers d’art et des EPV est essentiel aujourd’hui pour leur permettre de se développer dans les meilleures conditions. Ils ont énormément de choses à s’apporter, de liens à créer pour faire rayonner nos savoir-faire.
Du 3 avril au 3 mai, dans le cadre des Jema, l’Inma organise une exposition autour de la matière. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Nous organisons, en partenariat avec le Mobilier national et avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, l’exposition « Matières à l’oeuvre », à la Galerie des Gobelins du Mobilier national. Cette année, nous avons choisi le thème de la matière pour valoriser le processus de création des artisans d’art. Mettre en lumière la matière, c’est revenir à l’essence des métiers d’art, le travail de la main pour sublimer cette matière et en faire une oeuvre. Cette exposition permettra au public de découvrir et d’interroger la matière autour de trois parcours : « Matières sources et ressources », « Matières hybridées, recyclées, augmentées » et « Matières à rêver ».
Comment avez-vous sélectionné les artisans et artistes à découvrir lors de cet événement ?
Le choix s’est fait avec Henri Jobbé- Duval, commissaire de l’exposition, qui avait déjà participé à l’exposition des Jema 2019, au Mobilier national : « Métiers d’art, signatures des territoires ». Ensemble, nous avons voulu montrer une création et des métiers d’art français
à l’image des Jema : divers, représentatifs des territoires, avec des talents émergents comme des professionnels confirmés, notamment des maîtres d’art, des EPV ou des « meilleurs artisans de France » (MOF).
Quels savoir-faire se donneront à voir lors des « Démonstrations de savoir-faire » du samedi ?
Nous avons proposé à ces artisans de venir à la rencontre du grand public, pour partager sur leur métier, leur démarche, leur création. Ils ont envie d’aller vers les amateurs, les curieux, comme les personnes plus sensibilisées, car cet élan de transmission est indissociable de la pérennisation et du développement des savoirfaire d’excellence.
Pourquoi avoir choisi de donner carte blanche à l’artiste textile Sheila Hicks ?
Depuis le XVIIe siècle, les manufactures nationales du Mobilier national tissent leurs tapis et leurs tapisseries avec de la laine. Inviter Sheila Hicks était une évidence dans une exposition consacrée à la matière, un haut lieu des savoirfaire français. Cette « carte blanche » raconte une histoire de la laine française, depuis la matière brute jusqu’au fil, tissé, qui devient art. C’est une histoire de fibre, mais c’est avant tout une histoire de paysage et de territoire, de femmes et d’hommes, d’animaux et de filatures qui, avec patience et savoir-faire, élaborent une matière qui devient une oeuvre. En tant que président des Tricots Saint-James, qui viennent de fêter leurs 130 ans, je ne peux que cautionner cette belle histoire de laine !
Est-ce que les métiers d’art, comme les autres professions, sont influencés par les nouvelles technologies, notamment digitales ?
Il est indispensable aujourd’hui, pour les métiers d’art et les EPV, de se mettre à l’heure des nouvelles technologies. Les entreprises et les artisans le comprennent, notamment en se servant des réseaux sociaux et de sites internet comme de vraies vitrines pour leur savoir-faire et pour la vente de leurs créations. C’est essentiel pour exister, et nous les encourageons à le faire à travers la sélection des participants aux Jema, qui doivent avoir un site et des réseaux sociaux actifs. Concernant la production, de plus en plus d’ateliers et de centres de formation se dotent d’imprimantes 3D, un grand nombre de professionnels rejoignent des fablabs… Nous avons aussi parmi les EPV de nombreuses entreprises à la pointe de l’innovation : par exemple, Supa Monks, qui réalise des films d’animation. Pourquoi l’avoir labellisée ? Car cette entreprise fait cohabiter huit métiers aux savoir-faire d’exception, des métiers artistiques et rares. Parmi eux, le textureur modélise les textures, ombres et lumières ; le setupeur crée le squelette du personnage ; le « lighting-renderer » réalise la scénarisation de la lumière et des couleurs (aspects humides/secs, saturation des teintes…).
Ils ont tous été formés dans des écoles françaises d’animation, qui perpétuent ces savoirfaire depuis les années 1940 !
Quelle est la particularité des métiers d’arts made in France ?
Premièrement, leur nombre : nous avons 281 métiers répertoriés, plus de 60 000 entreprises qui représentent 120 000 emplois. 1 500 entreprises sont labellisées EPV, et 70 % des EPV ont des métiers d’art. Ils sont aussi une grande part de notre histoire, et ont contribué à la richesse de notre patrimoine, à notre rayonnement, et sont aujourd’hui un atout pour notre pays. Des grandes entreprises du luxe aux petits ateliers, tout le monde a envie de découvrir ces savoir-faire !
Dans quels domaines leurs savoir-faire sont-ils sollicités ?
Dans les entreprises du luxe, comme la maroquinerie, les savoir-faire techniques liés à la mode et à la bijouterie. Les métiers du patrimoine sont aussi en expansion, dynamisés par la reprise récente du bâtiment et l’intérêt renouvelé pour le patrimoine.
À quelles difficultés les métiers d’arts sont-ils confrontés ?
Les entreprises du secteur de l’ameublement et de la décoration peinent à recruter de la maind’oeuvre qualifiée, notamment en ébénisterie et menuiserie.
Ces métiers ont-ils un avenir ?
Bien sûr, à condition de se donner les moyens de les faire exister ! Il faut, pour cela, renforcer leur présence et celle des EPV à l’international, en consolidant, par exemple, des accords avec Business France et Atout France. Les EPV et les métiers d’art doivent renforcer leurs liens avec l’économie du tourisme et des territoires, du patrimoine à l’univers du luxe et à la sphère des industries créatives et culturelles. La question de leur transmission est fondamentale pour préserver leur avenir. Le tourisme de savoir-faire, avec les visites d’entreprises aux talents et techniques d’exception, dont les demandes augmentent sans cesse, est aussi une opportunité aujourd’hui pour les faire connaître et les pérenniser.
Quid de la formation des jeunes ?
Elle est évidemment essentielle pour l’avenir des métiers d’art et du patrimoine vivant. Des campus des métiers et des qualifications se mettent en place sur le territoire pour perpétuer les métiers, et, surtout, permettre aux offres de formation de se structurer. Nous organisons aussi, pendant les Jema, du 3 au 5 avril, un week-end de la formation, « village des savoir-faire », au Mobilier national : le public y découvrira les formations métiers d’art des lycées professionnels qui constituent le vivier du Campus des métiers d’art et du design, Paris-Manufacture des Gobelins. Ce Campus met en réseau les formations aux métiers d’art et au design de 29 établissements de Paris et d’Île-de-France. Les métiers du bois, de la pierre, du vitrail, du bronze ou, encore, de l’horlogerie seront présentés par les écoles qui les enseignent