L’anglais à 4 ans, so what ?
Processus complexe
Apprendre une deuxième (ou troisième !) langue avant le CP, c’est conseillé ? Oui, répondent les scientifiques… à condition que les parents s’impliquent… sans pour autant devenir professeurs de leur(s) enfant(s).
Tous les jours de la semaine depuis septembre dernier, Valentine, 5 ans et Timothée, 2 ans, rentrent de l’école et de la crèche avec une baby-sitter anglaise. Ensemble, ils goûtent, jouent à la marchande, chantent des comptines, le tout en anglais, jusqu’au retour des parents à 19 heures. « Nous cherchions à faire garder les enfants. Comme nous avons de la famille installée à Londres, nous souhaitions qu’ils puissent se débrouiller en anglais, jouer avec leurs cousins anglais, être autonomes. En France, l’enseignement de langues à l’école ne démarre pas assez tôt et ne semble pas être une priorité ; c’est la raison pour laquelle nous avons pris contact avec Agency Speaking* afin de trouver une nounou anglophone. Elle parle exclusivement en anglais, dans la rue lors des trajets ou à la maison. Nous pensons que commencer une deuxième langue le plus tôt possible, dès la première année, est très positif, et si, en plus, c’est fait d’une manière rigolote et ludique, c’est encore mieux ! » , raconte leur mère, Pauline.
Un an après avoir démarré, elle note déjà les performances de ses enfants : « Valentine ne construit pas encore de phrases, mais elle a un petit vocabulaire, celui de la vie de tous les jours, et un bon accent, poursuit Pauline, cadre bancaire à Paris. Timothée, lui, a démarré à 1 an à peine et il comprend tout ce que la nounou lui dit. Evidemment, ils ne parlent pas couramment, on savait bien qu’ils ne seraient pas bilingues à 4 ans… mais ils sont tout de même sur la bonne voie ! » Rien d’étonnant à cela. L’assimilation d’une nouvelle langue est un processus complexe. Il est fait d’allers-retours, de connexions neuronales, d’avancées puis de retours en arrière. Il n’est jamais linéaire, lisse et constant dans le temps. « Gardons en tête les mois et les années qu’il a fallu à un tout petit enfant avant de s’exprimer correctement en français, alors qu’il l’entend tous les jours » , souligne la psycholinguiste Maria Kihlstedt, qui forme des enseignants de langue à l’université et qui a participé à l’élaboration des programmes d’Agency Speaking. Depuis le babillage à quelques mois, il utilisera
Bénéfices tous azimuts
50 mots à 18 mois pour atteindre une protosyntaxe à 2 ans et demi (« maman-gâteau », « doudou-dodo »).
« Le cerveau de l’enfant est un disque dur non formaté, la façon dont il se développe dépend de l’environnement, des langues au contact desquels il vit, poursuit Maria Kihlstedt. Tout enfant apprend à parler comme il s’initie à la marche et il est naturellement prédisposé à étudier plusieurs langues, parce qu’il a une capacité de stockage importante et qu’il peut aisément les différencier. »
Fragile le cerveau de votre bambin ? Pas du tout, s’exclament les spécialistes. Tout au contraire ! La surcharge n’est pas à craindre… tout simplement parce qu’il aime (le cerveau) s’amuser à faire danser ses petits neurones. Les synapses présentes dans ces circuits ne demandent qu’à être sollicitées. Non stimulées, elles se ferment et se sclérosent… Ce serait dommage de s’en priver. « L’acquisition de plusieurs langues augmente la mobilité conceptuelle générale, sollicite la mémoire de travail et la pensée créative est plus prononcée » , indique Maria Kihlstedt. Lors de récentes études, les chercheurs ont demandé à des enfants monolangues ou non monolangues ce qu’on pouvait faire avec, par exemple, un bout de brique, image à l’appui. Résultat, les premiers ont donné des réponses basiques (construire un mur) et moins élaborées que les seconds. Ces derniers ont eu des réponses plus vastes, plus ouvertes, plus créatives (poser un pot de fleurs dessus, l’envelopper de papier). Explication de notre psycholinguiste : « Lorsqu’un enfant a l’habitude d’utiliser une autre langue, le bénéfice est pragmatique, il emploiera son énergie à élargir ses points de vue parce qu’il sait intimement que tout le monde ne comprend pas toujours ce qu’il dit. Cette façon d’aborder le monde est ancrée en lui. »
Le plus tôt est-il le mieux ?
Les bébés apprennent une langue en action, en jouant, en échangeant avec les personnes qui s’occupent de lui. « Anaïs a été gardée par des nounous anglophones depuis toujours, les soirs de semaine et le mercredi toute la journée, elle a 10 ans et elle est très à l’aise maintenant, raconte Elise, sa mère, hôtesse de l’air. Certes, nous avons mis les moyens nécessaires, nous voyageons énormément grâce à mon travail et elle est en contact quotidien avec d’autres langues. Pour elle, le multilinguisme est la norme, pas le contraire. »
Démarrer tôt, avant 7 ans – lorsque la première langue est acquise – est conseillé par les chercheurs. « Puisqu’il a déjà bien acquis sa première langue, un enfant, après 7 ans, aura tendance à comparer les langues entre elles, le chemin sera plus long mais pas impossible ! » , explique Barbara Abdelilah-Bauer, psychosociologue. Les enseignants, eux, ne semblent plutôt pas d’accord.
Et l’école dans tout ça ?
A part quelques écoles privées bien ciblées et dotées de moyens, on ne peut pas dire que ce soit une priorité de l’Education nationale. Le sujet sur l’apprentissage précoce des langues est parfois évoqué, au gré des gouvernements… depuis 1989 ! C’est en effet cette année-là qu’a été lancée une expérimentation qui consistait à initier les élèves de l’école primaire à une langue vivante. Les groupes de pression furent nombreux, parents les premiers, comprenant bien que l’anglais permettrait d’être davantage « bankable » sur le marché du travail. La Commission européenne avait même lancé un programme ambitieux, nommé « Evlang » (Evaluation du programme didactique européen d’éveil aux langues) en 1997. Mais se posa rapidement la question des modalités : qui irait enseigner les langues dans les écoles, alors même que la formation des étudiants aspirants professeurs des écoles entrait dans un grand tumulte ?
Aujourd’hui, les langues sont enseignées quelques heures par semaine (voire moins…) dans les cycles 2 et 3 (cours élémentaire et cours moyen). La nouvelle loi de refondation de l’école prévoit même d’avancer au cours préparatoire… mais nullement à l’école maternelle. Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp, premier syndicat enseignant du primaire, n’est pas forcément hostile à cette idée. « On peut imaginer la sensibilisation aux langues étrangères sous la forme de jeux ou de comptines à l’école maternelle, mais pas plus que cela. »
Reste donc la question de la formation des maîtres. Un rapport mené à l’échelle européenne indique que parmi les facteurs de réussite de cette initiation, on note d’abord ceux qui se réfèrent aux compétences des professeurs. « C’est le point névralgique, poursuit Sébastien Sihr. Les enseignants ne se sentent pas armés et sont sur le fil, l’institution doit prendre ses dispositions et ses responsabilités. »
Témoignage
David, gérant de société, papa de Sophia, 6 ans et demi et Elyas 4 ans et demi. « Mes enfants ont une baby-sitter écossaise depuis un an. Ça se passe très bien. Elle s’en occupe tous les jours, au moins deux heures. Elle les accompagne aux activités, puis les garde à la maison. Elle ne s’adresse à eux que dans sa langue. Pour moi, l’apprentissage de l’anglais me semble indispensable, ça ne se discute pas. C’est le minimum. Je mets mes enfants en situation de réussite, d’abord intellectuellement et plus tard professionnellement. Ils seront amenés à voyager, ils ne vivront peut-être pas en France. Moi-même je passe au moins la moitié de mon temps à parler anglais. Mais attention, cette proximité avec une langue étrangère se fait en douceur, de façon ludique. »
Interview de Barbara Abdelilah-Bauer, psychosociologue et auteure du livre : Défi des enfants bilingues, éd. La Découverte.
Un enfant né d’un couple mixte sera-t-il automatiquement bilingue ?
S’il grandit naturellement dans deux langues, qu’il est baigné dans ce bain linguistique, il apprendra sans problèmes simultanément ces deux langues. Il ne s’en rendra d’ailleurs même pas compte. Ce qui demande réflexion est la façon dont on conserve la deuxième langue, non parlée à l’extérieur de la famille. Dans ce cas, ce sera peut-être plus difficile. Si on n’y prend pas garde, l’autre langue va se perdre. Tout l’enjeu est donc de la conserver. Et pour atteindre ce but, elle doit être nécessaire, utile et quotidienne. Participer à un atelier une fois par semaine ne suffit pas ! •••
Il arrive fréquemment qu’un enfant comprenne seulement une deuxième langue sans la parler. Que faire dans ce cas ?
C’est ce que nous appelons le bilinguisme passif. Même si on lui en parle et qu’on lui explique la situation – le désir des parents qu’il devienne bilingue – l’enfant n’est pas dans cette optique : il est dans l’immédiat et quand il veut parvenir à ses fins, il communique comme il peut. La compréhension se développe toujours plus tôt que la pratique. Mais ce n’est pas grave : plongé dans un environnement de cette autre langue, il développera vite sa capacité à parler.
Est-il possible de devenir bilingue alors que les deux parents parlent uniquement français ?
Oui, si on s’en donne les moyens ! Si une personne, nounou, baby-sitter, peu importe, parle régulièrement une autre langue, il va l’acquérir. Il suffit que cette personne s’adresse à l’enfant, commente ce qu’elle fait, accompagne les gestes par la parole. L’interaction est indispensable. Bien sûr, ces interactions doivent être précoces, nombreuses, régulières et durer dans le temps… Après l’école primaire, il faut continuer avec des séjours à l’étranger par exemple. Quand on vit dans un pays monolangue, le bilinguisme ne va pas de soi : il est le résultat d’une adhésion de toute la famille. Pour apprendre une langue, être en relation avec elle, il est indispensable que la personne s’adresse directement à l’enfant dans cette langue. Evidemment, il aura quand même un lien avec cette langue, ce sera comme une mélodie… mais il ne la parlera pas. On n’attrape pas une langue parce qu’elle circule !
Il n’y a donc aucun problème d’initier les enfants à plusieurs langues ?
Absolument aucun, au contraire. Je n’y vois que des avantages ! Les deux tiers de la population mondiale sont multilangues ! •
Contacts –
cafebilingue.com. L’association organise des rencontres, groupes de paroles et ateliers dans plusieurs villes. Informations et inscriptions sur le site. Speaking agency : Service de garde d’enfants et cours en langue étrangère. Tél. 0 811 465 747. speaking-agency.com Babylangues. Service de garde d’enfants et ateliers en langue étrangère. Tél. 0 811 620 812. babylangues.com
A lire et à écouter –
Pour les grands : Guide à l’usage des parents d’enfants bilingues, de Barbara Abdelilah-Bauer, éd. La Découverte, 2012. L’Ecole et les langues. De l’apprentissage au bilinguisme, de G. Perio, éd. Fabert, 2011.
Dans le cas où les enfants sont gardés par une nounou qui ne leur parle pas dans sa langue…
Ecoles bilingues –
babelkids.com : site et boutique en ligne pour les (futurs) enfants bilingues : livres, dvd, jeux, comptines, en anglais, allemand, arabe, chinois, italien… Incontournable ! Pour les petits : 2-5 ans : Oops & Ohlala, de Mellow et Amélie Graux. Une collection d’albums en anglais et en français sans traduction. Ohlala parle français et Oops lui répond en anglais. Versions audio téléchargeables gratuitement, éd. Talents hauts, 7,30 €. 6-10 ans : Filou & Pixie, Mellow / Pauline Duhamel. Des mini BD bilingues anglais-français, sans traduction. Avec une version audio gratuite, éd. Talents hauts, 7,90 €. A partir de 7 ans : Ma Méthode d’@nglais, de Geneviève Waite. Elle associe un livre et un site internet. Scolaire et ludique, pour les enfants qui aiment apprendre, éd Hatier, 11,20 €. Comptines pour chanter en anglais, Illustrations Cécile Hudrisier. Un livre et un cd, éd Didier jeunesse, 12,90 €. Abécédaire insolite français et anglais, de Florence Guiraud. De A comme Arbre ou A like Apple à Z comme Zèbre ou Z like Zoo. nous plonge dans un monde onirique où on circule à dos d’éléphant, éd. Actes Sud Junior, 13,20 €. Ecole active bilingue Jeannine Manuel. eabjm.org Lille et Paris . Tel : 01 44 37 00 80. Bilingual Montessori School of Paris (Paris VIIe, VIIIe, XVIIe). Tél. 01 45 55 13 27 montessori-paris.com Ecole internationale bilingue Paris (ex-école active bilingue, eab). Tel : 01 45 63 62 22 eibparis.fr British School of Paris : Senior School (Croissysur- Seine, Yvelines), Junior School (Bougival) Tél : 01 34 80 45 96 International School of Paris (Paris XVIe) Tel: 01 42 24 09 54 isparis.edu