Arts Appliqués
L'espace Louis Vuitton.
A Mad Woman
par Rina Banerjee
Niché sous les toits existe un endroit à part, coupé de la frénésie marchande. On y accède par un ascenseur conçu comme une oeuvre par l’artiste de renom Olafur Eliasson et intitulée Votre Perte des sens. Treize secondes dans le noir pour changer d’ambiance, prendre de la hauteur et se rendre disponible à la découverte. Bienvenue à l’Espace Culturel Louis Vuitton.
Sur l’avenue mythique des Champs-Élysées est amarré l’imposant navire amiral de Louis Vuitton. Vendeurs et clients de toutes nationalités s’affairent sur les différents ponts. On s’exprime en français comme en russe, anglais ou mandarin. On se surprend à rêver devant une malle aux tiroirs secrets, on feuillette la dernière édition colorée du City Guide de São Paulo ou de Séoul. Assurément, la marque française cultive le goût de l’ailleurs... au point d’embarquer, à la même adresse, pour un voyage d’un autre genre.
Explorer de nouveaux territoires de création
Ce lieu voué à la création contemporaine internationale est ouvert à tous. Ni galerie, ni fondation, il organise trois expositions collectives et thématiques par an, ainsi que de nombreuses activités satellites pour petits et grands. Ouvert en 2006, sous l’impulsion de Yves Carcelle - alors PDG -, l’Espace devait raconter les aventures de Louis Vuitton dans le monde. Cette année-là, Icônes est présentée avec la complicité de Marc Jacobs. En 2007, les photographies de Winds and Sails racontent la légende de l’America’s Cup et de la Louis Vuitton Cup. Au fil du temps, les propositions se font plus radicales. Travelling, La Tentation de l’espace, Turbulences ou encore Ailleurs explorent des territoires artistiques tant réels et lointains qu’imaginaires et intérieurs. Chaque automne, l’Espace invite aussi la jeune garde d’un pays étranger à investir les lieux. L’Inde, le Chili, la Turquie et, dernièrement, la Roumanie, ont notamment été mis à l’honneur. La directrice, Marie-Ange Moulonguet, et le commissaire de l’exposition se rendent sur place pour visiter ateliers, galeries et écoles d’art en quête des talents les plus fougueux. Un axe central est alors défini. Moscopolis, par exemple, interrogeait la place de l’homme dans la ville. Lorsque les artistes sélectionnés n’ont pas d’oeuvre adaptée au thème, il arrive qu’ils réalisent in situ des pièces souvent spectaculaires. C’est ainsi que Mihut Boscu Kafchin, armé d’une tronçonneuse, est venu à Paris sculpter des blocs de polystyrène pour en extraire... un vaisseau spatial !
Plongée dans les mystères de la création
L’Espace, circulaire et lumineux, avec une vue imprenable sur les toits de Paris, se transforme au gré des projets. Pour l’exposition Astralis, inaugurée en février, les artistes eux-mêmes ont mis en scène leurs oeuvres. Un cerf de maille de fer ( Cerf transfiguré de Jean-Luc Favéro) côtoie un singe moqueur ( A Mad Woman de Rina Banerjee), de grands anges blancs ( La Galerie du masque de David Altmejd) tournent le dos à une forme de squelette enveloppée de brume ( Via Lactea de Basserode). L’atmosphère, quelque peu fantastique, a de quoi plaire aux enfants ! Progressant d’une micro scénographie à une autre, le visiteur pénètre dans des univers personnels et étonnants, et peut ainsi comprendre ce qui sous-tend le processus créatif de chacun. Un souvenir est-il à l’origine de telle sculpture ou serait-ce plutôt une vision céleste, un fait scientifique ou simplement un rêve ?
Un laboratoire des sens
Autant d’interrogations que la petite équipe de l’Espace aime approfondir avec son public. Car pour Marie-Ange, Gilles, Aurélia, Juliette et Catherine, l’art contemporain, loin d’être réservé à une élite, se nourrit d’échanges. Ici, on regarde, on discute, on expérimente. “C’est un laboratoire des sens !” enchérit la directrice. Les expositions, toujours à taille humaine, s’accompagnent d’une panoplie d’outils à partager à tout âge, sans préjugés ni complexes.
Initiation tous azimuts
Une guide experte et souriante accueille la famille pour lui apporter un éclairage utile sur le concept global, la vie des artistes, les procédés employés, le tout nourri d’anecdotes. Des fiches explicatives sont aussi disponibles. Bonus pour les enfants pour qui de jolis coffrets pédagogiques, mêlant quiz, jeux et activités •••
Tous en cuisine !
manuelles, ont été conçus. Ainsi initié, on est plus confiant, moins perplexe face à certaines oeuvres. Plus original, le parcours dansé imaginé par l’Espace permet d’aborder l’art contemporain à travers le corps. À côté des salles, la Cuisine est l’autre coeur qui bat de l’Espace. De nombreuses rencontres s’y déroulent. À commencer par les ateliers et stages pour enfants et ados souvent animés par les artistes exposés. Construire une ville imaginaire, s’essayer au mail art, à l’action painting ou à la B.D., confectionner une marionnette ou réaliser en groupe un cadavre exquis, tout est possible ! À chaque fois, une voire plusieurs techniques sont privilégiées : craie, peinture, photographie, collage... Certains projets impliquent même l’usage de l’informatique, des jeux de mise en scène ou la réalisation d’une composition musicale ! Ce printemps, dans le cadre d’Astralis, les plus jeunes pourront fabriquer un mobile en s’inspirant du ciel et des étoiles, créer la maquette d’un monde onirique ou inventer un moyen de locomotion extraordinaire. Quant aux ados, ils questionneront l’invisible... Lors du stage de février, les enfants se sont rendus au musée de la Chasse et à la Gaîté Lyrique pour y voir le travail singulier d’un duo - Art Orienté Objet - également présenté à l’Espace. Une manière de les inciter à toujours plus de curiosité. Si les bambins en redemandent, on peut souffler l’idée à l’école car l’Espace a aussi pour mission d’accueillir les classes dès la maternelle. Eh oui ! Papa, maman, mamie et papi sont encouragés à mettre la main à la pâte. Le week-end, toutes les générations peuvent librement, et ensemble, faire une courte halte ou passer l’après-midi dans la Cuisine pour un atelier en lien avec l’exposition en cours. Le thème changeant tous les mois, on peut en profiter régulièrement sans se lasser. Chacun s’installe autour de la grande table, se sert du matériel de qualité mis à disposition et crée à son rythme, en toute décontraction, sous l’oeil bienveillant d’une médiatrice qui distille ses conseils avisés. “Ça m’a donné une bouffée d’oxygène”, s’étonne presque Amélie, en montrant son dessin bigarré à son fils de 8 ans. D’autres activités sont d’ailleurs réservées aux grandes personnes, comme des performances, des lectures et des conversations avec les artistes.
Fait assez rare pour être souligné, tout est gratuit, de l’entrée aux ateliers ! Un catalogue est offert en souvenir de ce moment privilégié. Un vrai luxe... ou plutôt une invitation à reprendre l’ascenseur de cette tour de Babel pour un nouveau voyage. Dans le livre d’or, un témoignage résume : “Une approche intelligente et subtile pour les enfants, et passionnée pour les adultes. On aurait dû venir il y a des années ! Continuez...”•
Pas que pour les enfants
"Les expositions, toujours à taille humaine, s’accompagnent d'une panoplie
d’outils à partager à tout âge, sans préju
gés ni complexes."