Sacrés Caractères !
L’apprentissage de l’écriture cursive (dite en attaché), chouchoute en France, deviendra facultative dans 45 États américains à la rentrée 2015. Et ce, en faveur de l’écriture en caractères d’imprimerie, la script, premier pas vers la saisie au clavier d’ordinateur... Alors, quelle méthode est la meilleure pour nos bambins ? A, B, C... Partez !
Vers la simplification ?
Nous en entendons parler depuis des mois, les petits Américains n’apprendront bientôt plus à écrire en attaché. Du moins, ils n’y seront plus obligés. Grand nombre de parents et professeurs estiment que l’on écrit de moins en moins à la main, mais principalement à l’ordinateur ou par SMS. Certains jeunes jugent les lettres attachées trop difficiles à mémoriser. Parfois même, ils n’arrivent pas à relire l’écriture de leurs parents ! Et la reconnaissance de lettres telles que le T et le C majuscules, presque similaires, leur pose problème... Il est vrai que les lettres d’imprimerie sont plus lisibles. C’est pour cela, par exemple, qu’il nous est demandé d’écrire en lettres capitales lorsque l’on remplit des formulaires administratifs. Et pour cause, il s’agit là d’une simplification de l’écrit, de “formes essentielles”, sans boucles et sans chichis. On devrait en glisser deux mots à notre médecin traitant... Et comme le disent les Américains, bientôt, on n’écrira plus qu’à l’ordinateur. Alors, me direz-vous, autant enseigner aux enfants à écrire les mêmes lettres qu’ils apprennent à lire sur les manuels et sur les claviers.
La pensée en mouvement
Les mêmes lettres pour l’écriture que pour la lecture... À première vue, cela peut sembler logique. Mais les nouvelles technologies d’investigation du cerveau telles que l’IRM ont révélé que les zones cérébrales activées pendant la lecture sont les mêmes qui sont sollicitées lorsque l’on écrit en attaché. Le cerveau identifie les lettres en reproduisant mentalement les mouvements faits pour les écrire. Pour bien apprendre à distinguer les lettres, et donc à bien lire, il est indispensable de développer la perception des mouvements de la main. En clair, un automatisme doit se mettre en place. Et pour ce faire, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture doit être simultané. Il doit y avoir gymnastique entre la technique manuelle de l’écriture et le processus cérébral activé pendant la lecture pour créer l’habitude du geste chez l’enfant. C’est ce que l’on appelle la mémoire sensori-motrice du scripteur.
Le modèle québécois
Au Québec, les élèves apprennent à écrire en script la première année (C.P.), puis en cursive la deuxième (C.E.1), et ce depuis des siècles. “Ce choix a été fait à une époque où l’on méconnaissait les aspects cognitifs liés au processus de l’écriture ainsi que le rôle très important des habiletés graphomotrices dans cet apprentissage”, justifie Isabelle MontésinosGelet, professeure en didactique du français à l’Université de Montréal. Isabelle, en collaboration avec les professeures Marie-France Morin, de l’Université de Sherbrooke, et Natalie Lavoie, de l’Université du Québec à Rimouski, a mené une étude auprès de 718 enfants de 54 classes de C.E.1. Elle a pu nous démontrer l’influence des trois modalités d’enseignement sur l’acquisition de la vitesse du geste, l’orthographe et les qualités rédactionnelles. Les résultats, parus en 2012 dans la revue Language and Literacy, révèlent que les élèves n’ayant appris que les lettres en attaché sont avantagés : ils obtiennent de meilleurs résultats en orthographe et syntaxe, et leur calligraphie est mieux formée. Ceux qui ont suivi la formation script/cursive feraient plus de fautes, la mémorisation des caractères ayant été entravée du fait du changement d’apprentissage en cours de route. Enfin, les enfants n’ayant appris à écrire qu’en script ont tendance à écrire certaines lettres en miroir, c’est-à-dire inversées (le d devient b, le p devient q...). Cette dernière méthode peut aboutir, à long terme, à des calligraphies renversées vers la gauche, avec certaines lettres mal formées voire illisibles ! L’avis d’Isabelle Montésinos- Gelet est sans appel : seul l’enseignement exclusif de la cursive mènerait aux meilleures performances.
Question de rythme
D’après Céline Colombani, graphologue-graphothérapeute, les difficultés en orthographe et syntaxe que rencontrent les élèves écrivant en script sont une histoire de rythme. Un enfant écrit plus rapidement en cursive puisqu’il n’y a pas d’espace entre les lettres : les points sur les i, les barres sur les t se traçant après que le mot est posé. “En détaché, le scripteur sera plus lent, il se concentrera plus sur la forme de ses caractères et moins sur le sens de l’écrit, la ponctuation et les fautes d’orthographe”, affirme Céline Colombani. Savoir taper au clavier viendra bien assez vite. Pour que les enfants maîtrisent bien l’orthographe et la syntaxe, mieux vaut continuer de leur donner un crayon et leur enseigner l’écriture en lettres attachées seulement.
Vers le numérique ?
En Suède, les tablettes numériques font, depuis quelque temps, partie intégrante de l’enseignement. Les enfants tracent de leur doigt sur l’écran dès la maternelle et ne commencent à écrire à la main qu’en C.E.1. Cela peut être un bon compromis entre l’écriture cursive traditionnelle et la script : garder l’écriture attachée en cours, et, en parallèle, apprendre à utiliser un clavier tout en se familiarisant avec l’outil informatique. En revanche, on estime que l’élève doit apprendre à tenir son stylo et à s’en servir avant le C.E.1. Les contraintes imposées par l’écriture manuscrite sont une aide précieuse à l’activité intellectuelle. Celle-là fait appel à des capacités motrices infiniment plus complexes que la saisie à l’ordinateur : trajectoire horizontale, orientation de la gauche vers la droite, sens des boucles... Écrire à la main sollicite la partie la plus intuitive de notre cerveau et nous force à nous investir davantage dans le sens du texte : les mots sont inscrits sur la page et nous ne pouvons pas les changer, sauf en barrant. Il nous faut composer la phrase mentalement, ce qui donne des phrases plus courtes, plus claires. Et rien n’est plus paralysant qu’un écran blanc, justement à cause de ses possibilités infinies... Notre manière d’écrire a une incidence sur ce que nous écrivons. Que l’on écrive avec une plume, un stylo, sur une tablette d’argile ou à l’ordinateur, nous pensons différemment.