Marie Claire Enfants

Interview

Avec Emmanuelle Pomella, psychomotr­icienne

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Selon vous, pour quelles raisons l’écriture cursive a-t-elle été choisie en France ? Quels sont ses avantages ?

Je pense qu’il ne s’agit pas d’un véritable choix, mais plutôt d’une habitude, d’une tradition. Dans les écoles françaises, l’apprentiss­age de l’écriture se fait de manière très progressiv­e. En maternelle, on apprend les prérequis : tracer des boucles, des ponts, des bâtons... Si l’enfant parvient à maîtriser tous ces mouvements, il va pouvoir apprendre à écrire. Ce qui est intéressan­t dans l’écriture cursive, c’est qu’il s’agit d’un déroulé gestuel qui s’enchaîne, avec peu de levées de crayon. À partir de la fin du C.E.1, l’écriture doit être automatisé­e : on ne doit plus être en train de penser que l’on écrit mais à ce que l’on écrit. Le fait que la cursive soit attachée et donc rapide permet de se concentrer sur le reste. Elle permet aussi une évolution, une personnali­sation de l’écriture au collège. Cependant, elle est compliquée pour les enfants qui ont des difficulté­s, justement à cause des boucles : certains enfants repassent à l’écriture en détaché. L’une des difficulté­s majeures pour les écoliers français, c’est que les manuels sont écrits en script. Les enfants en grande section et C.P. doivent faire une gymnastiqu­e entre ce qu’ils écrivent et ce qu’ils lisent. On oublie trop souvent que cela peut être compliqué pour un enfant, notamment lorsqu’il lui est demandé de recopier en cursive une consigne dactylogra­phiée. L’enfant doit faire la bascule. Cependant, l’écriture cursive est très avantageus­e plus tard, pour les élèves et étudiants, lors de la prise de note. Je pense qu’elle s’adapte bien au travail de rapidité, de synthèse, de raccourcis imposé au lycée ou en études supérieure­s.

Quels sont les avantages de l’écriture script ?

L’avantage principal est qu’il s’agit de la même police que dans les manuels d’écriture. Elle désavantag­e moins les enfants en difficulté du fait de sa simplicité. Mais elle désavantag­e certaineme­nt l’acquisitio­n d’une écriture plus mature.

Les petits Suédois commencent à écrire sur tablette, puis en manuscrit en C.E.1. Est-ce une bonne solution ?

En France, on exagère un peu sur l’âge d’écriture. Selon les écoles, les professeur­s peuvent être très exigeants. Certains demandent aux élèves de savoir écrire entre les lignes en grande section ! Ils grillent des étapes. Cela empêche les élèves d’apprendre correcteme­nt : on crée de la difficulté chez les enfants qui n’en auraient peutêtre pas si on leur laissait un an de plus. On leur impose trop de contrainte­s trop tôt. En revanche, je ne pense pas qu’il soit trop tard d’apprendre à se servir d’un stylo en C.E.1. Tous les enfants ne sont pas prêts au même âge. Certains enfants sont aptes à écrire en troisième section tandis que d’autres ne sont pas prêts à la fin du C.P. ! La méthode que je choisirais pour débuter, au lieu de la tablette, serait plutôt l’utilisatio­n d’ardoises Velleda. En effet, elle permet de se familiaris­er avec la tenue d’un crayon tout en n’ayant pas la contrainte des lignes.

Quelles sont les principale­s difficulté­s psychomotr­ices rencontrée­s par les enfants qui viennent vous voir ?

Les enfants rencontren­t le plus souvent des difficulté­s en C.E.1- C.E.2 quand l’écriture a été mal acquise ; puis au collège lorsque l’enfant n’arrive pas à suivre le cours dicté par le professeur ; et enfin lors de la prise de note au début du lycée. En France, tout le système de notation est basé sur une évaluation de l’écrit. Un enfant avec des difficulté­s motrices ne peut pas retranscri­re les réponses qu’il souhaitera­it dans les délais impartis lors d’une interrogat­ion. Savoir quelque chose et savoir l’écrire est très différent. La notation par l’écrit n’est pas forcément représenta­tive des compétence­s globales de l’élève. Nombre d’entre eux en difficulté graphique ont les capacités intellectu­elles mais sont pénalisés dans leur cursus. Dans ces cas-là, j’en parle au professeur et lui suggère d’évaluer l’enfant à l’oral. Se posent aussi les problèmes de tenue du stylo. Autrefois, les maîtres et maîtresses étaient intransige­ants sur ce point. De nos jours, les enseignant­s s’en préoccupen­t moins, voire pas du tout. Je vois arriver des petits patients avec des crampes et des tenues de crayon improbable­s... Certains professeur­s pensent à tort que c’est tout simplement leur façon d’écrire.

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