Pédagogie
Cantine et apprentissage
“C’était pas bon, j’ai mangé du pain et le yaourt ”, raconte Mathilde en se jetant sur son pain au chocolat à 4 heures. Du haut de ses 8 ans, Mathilde poursuit le récit de sa pause-déjeuner. “La viande était dure et il n’y avait plus de place à la table de mes copines. ” Christine, sa mère, cadre dans l’hôtellerie, compatit et chuchote pour ne pas être entendue : “J’en ai un souvenir exécrable : le bruit, l’ambiance, le mobilier, le contenu de l’assiette. J’ai beau me dire que nous ne sommes plus en 1990, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle a raison. Mais je ne lui en dis rien, je ne veux pas l’influencer. ” L’avis de la pétillante Jeanne, 9 ans, scolarisée en CM1 dans une école du Vaucluse, est tout autre : “J’adore ma cantine, notre cuisinière a gagné un prix parce qu’elle est trop forte ! ” Agnès, sa mère, est ravie : on y mange bio deux fois par semaine et sa fille en redemande. “Je lui propose de rentrer déjeuner à la maison quand je suis là, eh bien non, elle préfère rester à l’école ! ” Entre les deux récits, quel est le plus authentique ? La réalité est multiple. Et la vérité se loge dans les nuances. L’association de consommateurs UFC-Que Choisir a analysé les menus de 600 communes et établissements scolaires 1. Le constat : ça s’améliore ! Les familles sont plus exigeantes et moins intimidées face à l’institution, les associations de parents, plus lobbyistes et politiques. La loi votée en 2010 et son décret de 2011 ont aussi fait bouger les lignes. Pour la première fois, un article de loi impose le respect des règles sur la qualité nutritionnelle. Jusque-là, seule une circulaire ministérielle donnait des recommandations... applicables selon le bon vouloir des villes. L’étude de Que choisir souligne “une impressionnante montée en qualité ”. Largement critiquées par le passé par l’association de consommateurs, les écoles primaires publiques obtiennent un très honorable 15,2 sur 20. La cantine n’est plus ce qu’elle était. “C’est indéniable, elle a changé, surtout au cours de ces dix dernières années, explique Marie Bordmann, diététicienne consultante. Pendant 30 ans, nous avons vécu sur des textes basés sur des quantités, les enfants devaient en avoir dans l’assiette ! Il est désormais obligatoire de proposer des menus équilibrés, bons et intéressants. Les enfants qui mangent à la cantine ont une alimentation plus variée qu’à la maison. ” D’après une étude du Crédoc, Consommation et modes de vie 2, la cantine est le lieu de “nombreuses découvertes gastronomiques ”. Rien que ça ! Ainsi sur 38 groupes alimentaires constituant l’ensemble de l’alimentation, 8 sont plus consommés à la cantine qu’à la maison : soupes, pâtisseries, légumes, sauces, poissons et crustacés, pain, fromage, fruits, et les plats composés. À midi, les repas à la maison sont plus basiques. De plus, nous avons la fâcheuse tendance à toujours mitonner les mêmes petits plats.
LIEU D’APPRENTISSAGE ET CLASSES DU GOÛT
Le bio fait son entrée dans les écoles, sur la pointe des pieds. De 4 % en 2006, la part d’établissements proposant du bio est passée à 56 % en 2012 3. Un développement lent qui suppose une volonté politique. Dans le deuxième arrondissement de Paris, l’équipe municipale vise les 100 % (86 % aujourd’hui). Elle accompagne cette petite révolution d’une série de mesures : animations avec présence de producteurs, traitement acoustique, revalorisation des salaires des cantinières, un repas végétarien hebdomadaire... avec explication sur les protéines végétales. “L’objectif n’est pas uniquement de nourrir les élèves mais de les éduquer ”, dit Olivia Hicks- Garcia, adjointe au maire en charge de l’éducation et de la petite enfance. “Le temps du repas est l’occasion de les éveiller au développement durable. Non, ils ne sont pas obligés de manger de la viande tous les jours ! ” La pause méridienne est de moins en moins coupée du reste de la journée. Cela se traduit par des ateliers de cuisine, d’éveil sensoriel, des concours, des classes du goût et la participation à la semaine du goût en octobre 4. Les initiatives sont nombreuses. Pour les élèves de cours moyen, les professionnels des métiers de bouche donnent des leçons de goût. L’an passé, près de 5 000 leçons ont été organisées. On voit aussi des chefs étoilés invités à concevoir des menus hyperélaborés pour les enfants. Guy Martin intervient tous les ans à l’école Louvois à Paris. “Il passe quelques 1
Enquête publiée en mars 2013 : quechoisir.org/alimentation/nutrition 2
Crédoc : Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie - Consommation et modes de vie, N° 253, juin 2012 : credoc.fr/pdf/4p/253.pdf 3
Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique : agencebio.org 4 legout.com
‘‘ LA CANTINE A UN RÔLE ÉDUCATIF
ET DOIT RESTER CONNECTÉE À L’ÉCOLE. ’’
jours avec les CM2, il anime des leçons de goût sur le salé, le sucré, l’acide ou les aromates ”, raconte Danielle Berrebi, directrice. “C’est très intéressant. ” À Yzeron dans le Rhône, la cantine de l’école du Ronzey est en lien étroit avec les classes. Sébastien Blanc, son chef, cultive un potager de 100 m2. Les élèves s’y rendent régulièrement. “Puis, pendant le service, je les informe sur la provenance de ce qu’ils ont dans l’assiette et je leur pose la question du mode de culture ”, dit ce cuisinier passionné et diplômé en herboristerie. “Ils savent pas mal de choses, maintenant, et ils mangent bien ! ” La coupure avec les apprentissages scolaires n’a pas lieu d’être. C’est une continuité... pédagogique. “L’enseignante de maternelle a mis sur pied un projet sur le thème des aliments en lien avec le potager ”, explique Adeline Proust, directrice de l’école qui compte 65 enfants répartis dans trois classes. “Cette année, le thème est le Moyen-Âge, et nous créerons des passerelles avec la cuisine. ” Les petits Yzeronnais prépareront et goûteront à la cantine des plats médiévaux... à base d’herbes aromatiques qu’ils auront plantées. Les chanceux.
REPORTAGE À SAINT-ÉTIENNE 100 % BIO, C’EST POSSIBLE ! EN VOICI LA PREUVE.
“- Voici l’entrée. Qui se souvient comment poussent les betteraves ? ”, demande Jérôme, 22 ans, animateur et volontaire en service civique. Une petite main se lève. C’est celle de Lucien, 6 ans et demi. - “Moi, je sais ! C’est sous la terre. - Oui. Et quelle forme ont-elles ? ”, interroge le jeune homme. - “Elles sont rondes et cabossées ”, dit Mathilde, 7 ans. À la table de Jérôme, 5 enfants de cours préparatoire attendent la suite du repas dans le calme. Ils viennent de l’école Soleysel de Saint-Étienne. Comme les 3 000 élèves demi-pensionnaires, ils mangent bio. La ville a été l’une des premières à l’instaurer en 2009. Une expérience unique dans une ville si importante : elle compte 170 000 habitants, dont 11 500 enfants scolarisés. “La précédente équipe municipale a démarré à 50 % de bio puis s’est engagée à augmenter de 10 % chaque année. Aujourd’hui, l’objectif est atteint ”, explique Samy Kefi-Jérôme, maire adjoint. “Il faut s’adapter, les volumes sont importants, les légumes doivent être de saison et il n’est pas évident de trouver du poisson bio et sans arêtes, par exemple. C’est un casse-tête permanent. ” Surtout quand on sait que l’objectif est de proposer des repas bio et si possible à base de produits locaux ! Trouver une tonne de courgettes bio, ce n’est pas trop compliqué, mais pour qu’elles viennent de seulement quelques kilomètres à la ronde, le challenge se corse. La logistique est énorme. La ville s’approvisionne auprès d’une coopérative agricole bio, Bio A Pro. Cette plate-forme rassemble 50 associés dans le Rhône et la Loire. Elle assure l’enregistrement, l’étiquetage et la livraison à la cuisine centrale. “C’est un travail en commun qui se fait toute l’année ”, explique Damien Issertial, direc- teur de la restauration à la ville auprès de la société Elior, détentrice du marché. “Nous mettons au point les menus en fonction des productions. Vous ne verrez jamais de tomates en hiver, mais plutôt des choux crus en entrée. ” Pas facile, les choux crus, non ? Il n’est pas question d’imposer aux enfants un nouveau mode d’alimentation sans les accompagner. “Nous avons mis en place un travail de sensibilisation, grâce aux interventions des animateurs et des producteurs ”, poursuit le responsable de la cuisine. “Les producteurs sont passionnés, ils viennent avec leurs carottes et les photos de leur ferme, ils expliquent aux enfants et font partager leur passion, alors les petits ont envie d’y goûter ! ”