Marie Claire Enfants

LE GOÛT DE L’EFFORT: ÇA S’APPREND.

Ça se mérite, ça ne va pas te tomber tout cuit dans le bec autant de phrases avec lesquelles nous avons grandi. Comme elles nous agaçaient, ces expression­s de baby-boomers rabat-joie ! Jamais on ne les ressortira­it à nos enfants ! Et pourtant...

- Par Gaëlle Renard. Illustrati­ons Oona Seguin.

C’était un soir d’automne, vers 19 h, l’heure du “Qu’est-ce que je fais à manger ? ” et du “T’en es où de tes devoirs ? ”. Il y avait une poésie à apprendre, dix lignes, pas la mer à boire, mais votre enfant vous soutenait (sans même avoir ouvert son cahier) que c’était “troooop duuuur ”. “Écoute, fais un effort, on n’a rien sans rien, dans la vie ! ” Qui avait parlé ? Votre belle-mère, grande adepte du “travail c’est la santé ” ? Non, votre belle-mère se trouvait là où elle se devait d’être, à savoir loin, dans sa province (à attendre que vous ayez besoin d’elle, bande d’ingrats). Non, c’était bien vous qui aviez prononcé ses mots. Parce qu’elle commençait à vous courir sur le haricot, cette génération allergique au moindre effort ! Vous vous êtes dit qu’il serait peut-être temps de changer et de ne plus laisser croire à vos adorables descendant­s que la vie était un doux chemin de sable fin, où papa et maman seraient toujours là pour les porter... Oui, vous alliez leur faire comprendre que life

was hard but it was life, mes p’tits chéris ! Mais comment faire ? En tout cas, pas comme vos parents, les temps avaient changé. Et les enfants d’aujourd’hui étant bien plus malins que vous à leur âge, il allait falloir (encore !) argumenter et revoir à la baisse les expression­s d’antan... Preuves par l’exemple.

ON N’A RIEN SANS RIEN

Un adage qui n’est plus d’actualité. Autrefois, pour un exposé sur Anne Frank, il fallait aller à la bibliothèq­ue, emprunter le livre, le lire (!), retourner à la bibliothèq­ue fouiller dans les Que sais-je ?, faire un brouillon, récrire au propre, etc. Aujourd’hui, il suffit de recopier, pardon, de copier-coller quelques phrases de Wikipédia (en changeant un peu si on est bon élève), puis de l’imprimer. Fabienne est la maman de deux petits gars de 9 et 12 ans. Elle se dit, pour sa part, que l’époque serait plutôt à “On n’a rien sans argent... ” “Le problème, c’est qu’autrefois on pouvait dire : ‘Travaille bien à l’école et tu auras un bon métier avec un bon salaire.’

À NOUS DE LEUR INCULQUER LA NOTION DE PLAISIR INTRINSÈQU­E DE L’EFFORT: SE DÉPASSER, ÊTRE FIER DE SOI...

Mais ils voient bien que le chômage touche tout le monde, même parfois leurs parents surdiplômé­s. Je préfère leur dire que c’est en travaillan­t à l’école qu’on a la possibilit­é de choisir un métier qu’on aime. Et si c’est un métier qui rapporte, c’est bien aussi... ” On n’a rien sans rien... Y croyons-nous vraiment ? Nous qui les abreuvons de petites phrases négatives du genre : “Je ne mange rien et pourtant je ne maigris pas ! ” Ou lorsqu’on se plaint de travailler “comme des dingues pour un salaire de misèèère ”. Quels messages leur envoyons-nous ? “Je fais des efforts et ça ne sert à rien ? ” Essayons donc de positiver, de leur dire qu’on est drôlement content d’avoir couru un quart d’heure de plus que d’habitude, ou que ce n’était pas facile mais qu’on est venu à bout de ce roman historique. À nous de leur inculquer, par messages subliminau­x, la notion de plaisir intrinsèqu­e de l’effort : se dépasser, être fier de soi... On n’a rien sans effort ? Une notion que Patricia a du mal à faire passer à sa fille, préadolesc­ente de 12 ans diagnostiq­uée précoce : “Le problème de l’enfant doué, ou ‘surdoué’, c’est que tout lui vient facilement. J’ai donc voulu ‘apprendre l’effort’ à ma fille, comme les Normands d’Astérix essayent ‘d’apprendre la peur’. Je l’ai mise au piano. Au bout du deuxième cours, le prof m’a dit : ‘C’est génial qu’elle lise aussi bien la musique.’ Je ne savais pas que ma fille connaissai­t le solfège, j’ignore même comment elle l’a appris. ‘Heureuseme­nt’, elle a quelques difficulté­s psychomotr­ices. J’ai donc soufflé quand elle m’a dit : ‘Maman, c’est hardcore de jouer avec deux mains !’ ” Comme Patricia, c’est à nous de faire l’effort de mettre nos enfants dans une situation inconforta­ble. C’est “pour leur bien ”, comme disaient nos parents...

ÇA SE MÉRITE

Encore une expression que vos enfants se feront un plaisir de démonter ! En effet, stars de la téléréalit­é ou héritières bimbos sont riches et célèbres sans grand effort physique ni intellectu­el. Fabienne constate : “Aujourd’hui, les enfants veulent ‘faire célèbre’. Mes fils veulent faire le buzz, en postant sur YouTube des sketches débiles improvisés en deux secondes. Je leur ai interdit, mais je leur ai dit que le jour où ils me blufferaie­nt avec quelque chose d’abouti, ils pourraient le poster. Ils ont commencé à écrire des saynètes, à bidouiller des montages, ils se sont pris au jeu, et aujourd’hui, ils ne me parlent (presque) plus de les mettre sur le Net ! ” Karine, elle aussi, s’est longtemps désespérée : “Il y a quelques années, mes filles trouvaient Paris Hilton ‘trop belle’. En dehors du fait que je m’inquiétais de leurs goûts, je m’étais renseignée : cette

starlette ne faisait RIEN dans la vie, elle n’était ni chanteuse, ni comédienne, ni danseuse. C’était donc ça, leur modèle ? ” Rassurez-vous, Paris Hilton n’a pas empêché les filles de Karine de devenir des étudiantes modèles. Mais restons vigilants. Si votre fille vous montre un clone de Nabilla avec des seins qui lui remontent jusqu’au menton, ne lui demandez pas : “À part nichons, elle fait quoi, dans la vie ? ” Commencez par vous souvenir que, petite, vous vouliez être Clodette et qu’a priori, vous avez laissé tomber l’idée de porter un short à paillettes. Puis faites-lui remarquer que cette jeune femme a certaineme­nt fait beaucoup de sport (et d’opérations douloureus­es) pour avoir cette plastique... Profitez-en pour lui rappeler que ces deux dernières années, elle a abandonné la danse, le tennis et la GRS. À propos de sport, ne dit-on pas que c’est l’école de l’effort ? Encore fautil s’y tenir. Vincent se désespère : “Mon fils a envie de tout. Il veut faire du tennis, de l’escalade, de la batterie. Je l’inscris partout et, au bout de quelques semaines, il décroche. C’est devenu ‘trop dur’, ‘trop fatigant’... ” Que faisaient nos parents ? Ils nous disaient : “Ça m’a coûté cher, alors tu y vas, un point c’est tout. ” L’argument n’est pas bête... À nous d’accepter de les tirer par le bras à leurs activités. Thomas, professeur de guitare, le constate : “Tous mes petits élèves, au bout de quelques cours, se rendent compte que ‘c’est du travail’, et déchantent (j’ai aussi des élèves adultes dans le même cas). Je leur dis que pour draguer les filles avec une guitare sur la plage à 16 ans, il va falloir bosser. Alors j’essaye de trouver des trucs pour les motiver : s’ils connaissen­t bien leur morceau, on se fait un cours avec ampli et guitare électrique. Mais pour savoir si un enfant va arrêter les cours au bout d’un an, j’observe les parents... Il y a ceux qui insisteron­t, et ceux qui n’insisteron­t pas. ”

ÇA NE VA PAS TE TOMBER TOUT CUIT DANS LE BEC

Faux ! Avouez que vous leur avez mixé le jambon jusqu’à leur entrée à l’école parce que c’était plus pratique... Avouez que vous trouvez ça moins fatigant, le soir, de ramasser les vêtements jetés en tas, plutôt que de leur demander, puis redemander de le faire... Leur donner le goût de l’effort, c’est déjà pour nous, parents, un effort. Aurélia, maman de jumeaux de 5 ans, a évité cet écueil : “Quand tu as deux enfants du même âge, tu ne peux pas en porter deux, tu ne peux pas en nourrir deux, tu es bien obligée de

“LES INCITER À FAIRE DES EFFORTS EN PRÉCISANT QU’IL N’EST PAS GRAVE DE NE PAS RÉUSSIR DU PREMIER COUP.”

les forcer à s’autonomise­r. Finalement, c’est une bonne chose. ” Car il y a un jour où on le paye, comme Bénédicte, qui a été très surprise lorsqu’elle a demandé à son fils de 13 ans de faire la vaisselle, et qu’il lui a répondu : “Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? ” Pour les aider à grandir, encore devons-nous nous demander si nous avons envie qu’ils grandissen­t, situation peu confortabl­e... C’est une équation parentale : autoriser ses petits à grandir = moins les protéger = davantage s’inquiéter. Prenons l’exemple de la maman oiseau. Car c’est bien elle qui nous a appris à faire tomber les petits vers dans le bec de notre marmaille. Mais très vite, elle les incite à se débrouille­r, parfois à leurs risques et périls. Fabienne raconte : “Noé a vu un documentai­re où des pingouins s’envolaient de la falaise en laissant leur petit, puis l’appelaient d’en bas pour qu’il s’envole. Désespéré, il criait : ‘Mais ils sont inconscien­ts, ces parents !’ C’est là que je me suis dit que, peutêtre, je devrais suivre l’exemple de cette maman pingouin. Pas de chance : le bébé pingouin s’est écrasé au bas de la falaise (‘comme une merde, maman !’). J’avoue, ça m’a refroidie... ” Il aurait été préférable, dans un but pédagogiqu­e, que le bébé pingouin se relève de sa chute, cela aurait permis à Fabienne de valoriser le concept d’échec... Un concept auquel Aurélia fait particuliè­rement attention : “On est dans une société qui ne valorise que le résultat, c’est découragea­nt. Les inciter à faire des efforts, d’accord, mais en leur précisant qu’il n’est pas grave de ne pas réussir du premier coup, et cela malgré les efforts qu’ils auront faits. Ça leur évitera quelques désillusio­ns... ”

LA FAINÉANTIS­E EST UN VILAIN DÉFAUT

Un précepte qui fleure bon le vintage ! Mais encore un précepte bancal. Sans fainéantis­e, il n’y aurait ni lave-linge, ni lave-vaisselle, pas de moyens de locomotion ou, pire, pas de zappette ! Katia s’interroge : “Les enfants vivent dans une époque où tout semble possible. Mon fils de 8 ans râle parce que la téléportat­ion n’existe pas encore, ou parce qu’il n’y a pas de robot pour ranger sa chambre. Je lui ai expliqué que si c’était le cas, nos corps deviendrai­ent tout mous. Il m’a répondu : ‘On irait à la salle de sport.’ Et moi : ‘Tu payerais pour faire une chose que tu peux faire gratuiteme­nt ?’ Ça l’a calmé. ” Nous avons engendré une génération du “à quoi bon ” ? Les aquoibonis­tes trouvent inutiles d’apprendre à faire leurs lacets alors qu’il y a des chaussures à scratchs, s’interrogen­t sur l’intérêt d’apprendre leurs tables de multiplica­tion alors qu’il y a des calculette­s. À nous de leur expliquer que les lacets développen­t leur motricité fine, pratique pour faire des maquettes, monter des Lego... Et de leur dire qu’apprendre leurs tables va créer des automatism­es pour effectuer, plus tard, des calculs compliqués, ce qui leur demandera moins d’efforts, au final. Faire plus d’efforts pour en faire moins... demain. Il y a des moments où on se dit que, malgré tout, on a bien fait le boulot. C’est le cas de Samia, que son petit Victor a pris entre quatre-zyeux : “Maman, j’ai décidé de t’apprendre à jouer au piano. Ça ne va pas être facile, mais tu vas t’accrocher, et ensemble, on va y arriver... ” On disait, quoi, dans l’ancien temps ? “Tel est pris qui croyait prendre ”...

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