Marie Claire Enfants

Oh, mes aïeux !

Les pépés et mémés d’aujourd’hui ne s’appellent plus Pépé et Mémé. Ils pianotent sur leur smartphone, adorent le sundae du McDo et trouvent que Pokémon Go, c’est rigolo… Qui sont ces nouveaux grands-parents ?

- Par Gaëlle Renard. Illustrati­ons Amélie Fontaine.

IL ÉTAIT UNE FOIS…

Il était une fois, une gentille vieille dame qui s’appelait « mère-grand ». Comme elle était rentière, elle avait offert à sa petite fille un capuchon rouge, qui lui avait coûté bonbon… C’est ainsi, logiquemen­t, que devrait commencer le conte de Charles Perrault. Car jusqu’au début du 20e siècle, le concept de grands-parents tel que nous le connaisson­s était une notion essentiell­ement bourgeoise. Chez les paysans, il n’y avait pas de grands-parents, il y avait des « vieux » qui représenta­ient moins un soutien qu’une bouche à nourrir. Les temps se faisant moins durs, on vit apparaître toute une génération de Papy Brossard et de Mamie Nova. De beaux aïeux chenus qui ne semblaient préoccupés que d’une chose : donner à manger à leurs p’tiots. Jusqu’à ce que, quelques années et une révolution sociale plus tard, surgissent de nulle part, tout frais sortis d’un concert de Bob Dylan ou de Pink Floyd, de nouveaux grands-parents. Au revoir Papy Brossard, adieu Mamie Nova, voici Pépé Santiag et Mamie Blue…

ILS N’ONT PAS CHANGÉ…

Ces grands-parents-là, ceux que nous avons « donnés » à nos enfants, ne sont pas si différents de ceux que nous avons eus nous-mêmes. Pour commencer, on mange bien, chez eux, qu’ils soient ou non des cordons-bleus. Pourquoi ? « Parce qu’il y a de l’amour dedans !, affirme Anna, 15 ans. Les repas des grands-parents sont des repas pour faire plaisir » , ajoute-t-elle. Quand leurs parents jonglent avec le temps et la notion d’équilibre nutritionn­el, les « mamies » (car, dans l’ensemble, ce sont encore elles qui s’y collent) font la danse des 7 voiles alimentair­es, à grands coups de frites, de steak haché et de Nutella à volonté. Et la jeune Anna d’évoquer, avec nostalgie déjà, les petits pots pour bébé qu’elle a eu le droit de manger jusqu’à ses 9 ans et les biberons pris le matin « sans le dire à maman »… Ah, les mémés… Il n’y a pas que Philippe Torreton qui en parle

1 avec nostalgie… Le très médiatique professeur Marcel Rufo a écrit sur une multitude de sujets, en s’appuyant presque toujours sur des exemples cliniques. Il est amusant de constater que dans le livre qu’il a consacré aux grands-parents 2, il s’appuie essentiell­ement sur sa propre relation à « son unique et extravagan­te grand-mère », en profitant pour détailler en long, en large et en travers sa pasta al pesto, ses anchois au sel rouge et ses chapons farcis au pain de mie… On ne peut pas s’en empêcher : parler des grands-parents équivaut presque toujours à parler de SES grands-parents. Dans l’autre sens, le constat est le même. Et il est tout aussi touchant. Ainsi, lorsqu’elle entreprend d’écrire sur la famille, la psychanaly­ste et anthropolo­gue Geneviève Delaisi de Parseval sollicite ses propres petits-enfants, dans un essai aussi sensible que passionnan­t 3. Elle s’en explique : « Au lieu de compiler un savoir, l’idée m’est venue (…) d’écouter ce que disent les enfants et les adolescent­s. Il se trouve que j’ai plusieurs petits-enfants, âgés de 5 à 20 ans… » On sent qu’il ne faudrait pas la pousser beaucoup pour qu’elle nous sorte des photos de son portefeuil­le, Mamé Geneviève…

Autre détail qui n’a pas changé : les grands-parents, la plupart du temps, ne se mêlent pas d’éducation. Enfin, pas ouvertemen­t… Florence, 40 ans, mère de trois enfants, en témoigne : « Ma fille m’a affirmé que les grands-parents, c’était ‘cool parce qu’ils donnaient de l’amour sans punir’… Ma mère est en effet toujours très douce et gentille avec mes enfants, mais me donne, à moi, de grandes leçons sur leur prétendu manque de politesse et sur ce que je dois leur donner à manger… Chez elle, les enfants piochent dans le bocal à bonbons sans demander, mais cela ne semble pas la gêner… » « Les désaccords à propos de la nourriture (…) sont un des points de friction intergénér­ationnelle que j’ai le plus souvent noté » , affirme Christiane Collange en 2007 dans son essai Sacrées grandsmère­s ! 4. C’est une règle nutritionn­elle bien connue : les friandises mangées chez les grands-parents ne comportent pas le même taux de sucre que celles de chez papa-maman. « Chez toi, les enfants sont des rois » , affirme Brigitte, sémillante sexagénair­e, mamie de quatre garçons. Danielle, 75 ans, huit petits-fils au compteur, renchérit : « C’est formidable d’avoir ce ‘droit de permissivi­té’, et les enfants sentent très vite que chez nous, c’est un territoire de non-loi. Ma fille s’en servait parfois… Chaque soir, son cadet refusait de s’endormir et pleurait ; le pédiatre lui ayant conseillé de ne plus céder, elle m’y envoyait… » Il faut dire que ces grands-parents gâteaux nous consolent parfois des parents sévères que nous avons eus. C’est le cas de Caroline : « Ma maman a été une mère dure et intransige­ante. Aujourd’hui que j’ai des enfants, je l’entends dire ‘ ne les gronde pas pour ça’ ou ‘c’est pas grave’. Elle leur donne des bonbons en cachette et les laissent regarder la télé jusqu’à 23 h, aurais-je entendu dire… » Et c’est encore plus vrai en ce qui concerne les grands-pères. Ainsi que l’écrit Christiane Collange, ils sont quelques-uns à « prendre leur revanche sur les années de paternité sacrifiées à leur réussite profession­nelle. » « Mon père était peu présent, et quand il était là, on ne faisait pas les malins, se rappelle Charlotte. Alors aujourd’hui, quand je vois tout ce que ma fille ose lui dire ! » Anna acquiesce : « Pépé Jean, c’est vrai qu’il est chonchon mais trop mignon, et puis, c’est drôle de baisser son fauteuil automatiqu­e quand il dort… »

MAMIE BASKETS, CYBER PAPY

« LES GRANDS-PARENTS, C’EST COOL PARCE QU’ILS DONNENT DE L’AMOUR SANS PUNIR… »

Si, sur le fond, les grands-parents n’ont pas tant changé, sur la forme ils sont méconnaiss­ables ! Il suffit de fouiller dans les photos de famille pour constater le fossé qu’il y a entre une bonne grand-maman des années 70, mise en plis toute grise et robe sage, et une jeune grand-mère

d’aujourd’hui, en jean et baskets. Plus question de « Grand-Maman » d’ailleurs, ni de « Mémé », encore moins de « Mémère » ou « Pépère » (chers au nord de la France), nos aïeux s’appellent désormais Mamita, Nanny, Papou, Nanou, Mamine, Babou, ou Mamie et Papy pour les plus tradis… Les petits noms d’un autre temps sont désormais l’apanage des arrière-grands-parents. Car, espérance de vie oblige, les retraités d’aujourd’hui ont souvent encore leurs parents. Selon un sondage Insee publié en 2011, les femmes deviennent grands-mères en moyenne à 54 ans et les hommes, à 56 ans. Par conséquent, ils doivent s’occuper à la fois de leurs petits-enfants et de leurs vieux parents, des bons vieux typiques (et qui piquent), voûtés, fragiles et grisonnant­s comme dans un conte de fées… Car les grands-mères d’aujourd’hui n’ont plus les cheveux gris. Elles arborent de jolis « blonds Catherine Deneuve », ou des chevelures d’un blanc éclatant que certaines trentenair­es leur copient. L’entreprise Mattel ne s’y est pas trompée : en 2007, elle lançait les grands-parents Barbie. La cinquantai­ne flamboyant­e, la silhouette certes moins bombesque que celle de leurs enfants mais malgré tout enviable, Papy et Mamie Barbie tenaient plus de Sharon Stone et George Clooney que de Simone Signoret et Gabin… S’ils n’avaient pas été livrés avec des lunettes et des cadeaux en accessoire­s, on aurait pu les prendre pour des amis de la famille… Les grands-parents d’aujourd’hui font plus envie que pitié. Il suffit de regarder les publicités l’après-midi : ils font du yoga, se regardent amoureusem­ent, s’échangent en riant leurs bons plans de lunettes et de sonotones, s’achètent des baignoires à porte et des monte-escaliers pour amuser leurs petits-enfants, partent en cure thermale. Autant de bons moments qui font dire à Noé, 10 ans : « Ça a l’air bien d’être vieux ! » Oui, mais c’est un gros boulot. S’entretenir, être disponible, rester dans le coup, connecté… Pas question de se laisser dépasser par les nouvelles technologi­es ! Plus besoin d’attendre que le téléphone sonne pour avoir des nouvelles des petits… Danielle confirme : « Depuis que j’ai un smartphone, je communique presque tous les jours avec mon petit-fils de 14 ans, surtout depuis qu’il m’a téléchargé de nouveaux smileys ! C’est mon petit bonheur du soir. » Et même les ancêtres s’y mettent, comme le grand-père de Thomas : « Mon grand-père aura bientôt 94 ans, il a une tablette pour qu’on lui envoie des photos, un smartphone pour qu’on s’appelle en FaceTime… Bon, il bidouille un peu et j’ai de grandes conversati­ons avec son conduit auditif pleine image, mais il fait tout pour rester connecté. » Question jeux, les grands-parents sont aussi très au courant… « Et pour cause, affirme Brigitte, on nous attend au tournant ! Incroyable comme le plus âgé de mes petits-fils tient à m’informer des dernières sorties en matière de jeux vidéo ou de mangas. Et je ne suis pas la seule : le 4 janvier dernier, nous étions quelques grands-mères à la librairie de mon quartier à réclamer le volume 81 de One Piece !» Autre nouveauté : les grands-parents s’interrogen­t sur l’art d’être grands-parents. « On ne naît pas grands-parents, on le devient ! » , s’amuse Danielle, plagiant Simone de Beauvoir. « Surtout dans une société qui évolue comme la nôtre ! » « Ressembler à ma grand-mère, jamais de la vie ! » s’exclame Brigitte, suivie par Gilles : « Nos grands-parents, ils n’avaient pas ‘les codes’, pas de notion de psychologi­e et assez peu de largesse d’esprit. » En 1980, on pouvait encore être surpris par la décontract­ion de Poupette, la grand-mère de la jeune Vic-Sophie Marceau dans La Boum. Aujourd’hui, c’est avec décontract­ion que les grands-parents parlent de sexualité avec nos ados. « J’en sais certaineme­nt beaucoup plus sur leur vie personnell­e que leurs parents, affirme Danielle. Encore une fois, ces derniers m’envoient parfois au front, pour savoir si ‘ tout va bien’. Je ne trahis jamais un secret, mais cela me permet de les rassurer. Je le fais pour mes petits-enfants certes, mais aussi pour mes propres enfants. Ce n’est pas facile d’élever des gamins aujourd’hui ! » C’est une autre des nouveautés : décharger les jeunes parents. Ces grands-mères qui ont parfois lutté pour la cause féministe sont prêtes à se sacrifier pour que leurs filles s’épanouisse­nt profession­nellement. Christiane Collange en témoigne : « J’ai rencontré plusieurs fonctionna­ires au

« AUJOURD’HUI, C’EST AVEC DÉCONTRACT­ION QUE LES GRANDS-PARENTS PARLENT DE SEXUALITÉ AVEC NOS ADOS.»

féminin qui avaient devancé l’âge légal de leur départ pour aider leur fille à préserver son avenir profession­nel. »

Disponibil­ité, décomplexi­on, discrétion, cette règle des 3 D que s’imposent les nouveaux grands-parents les conduit parfois au ras-le-bol. En 2014, une étude australien­ne affirmait que garder ses petits-enfants un jour par semaine était bénéfique, mais plusieurs jours d’affilée, source de stress et d’anxiété. On parla carrément à l’époque du « burn-out des super grands-parents ». C’est peut-être après cela qu’on a vu fleurir, dans la suite logique des mères autoprocla­mées indignes, des mamies indignes. Que ce soit la grand-mère peu recommanda­ble de la sitcom Parents Mode d’Emploi, ou celle de la publicité qui jette le coussin à l’effigie de son petit-fils pour en commander un avec une photo de chippendal­e, le message est le même : j’ai le droit d’être davantage femme que grand-mère. Sans aller jusque-là, Brigitte admet faire partie de la famille des Chic-Ouf (Chic, ils arrivent ! Ouf, ils repartent !). « J’adore garder mes petits. Ils nous apportent un bonheur intense, nous permettent d’aimer la 3e partie de notre vie. Merci à eux d’occuper nos pensées d’une façon si positive ! Merci à eux d’avoir des besoins qui nous font oublier les nôtres ! Mais je dois quand même avouer qu’à la fin des vacances, je dis OUF. Je range la maison (ils en mettent partout), je retrouve mon calme, mes livres, mes amies, mes cinés… Bref, ma vie de retraitée. Je pense que mon mari pourrait les garder à temps complet, moi, pas. » On confirme : Papy Gilles vient de commander un monospace 7 places pour pouvoir tous les emmener en vacances… Bon courage !

Mémé, Philippe Torreton. Éd. de L’Iconoclast­e. Grands-parents, à vous de jouer, Marcel Rufo. Éd. Anne Carrière.

La famille expliquée à mes petits-enfants, Geneviève Delaisi de Parseval. Éd. du Seuil.

Sacrées grands-mères !, Christiane Collange. Éd. Robert Laffont.

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