Marie Claire Enfants

Sortir du harcèlemen­t

Interdit d’accès aux parents, le collège est parfois le théâtre de « jeux » dangereux. Célia et Mélanie, ex-victimes de harcèlemen­t, et Emmanuelle Piquet, psychoprat­icienne, nous ouvrent une vue sur la cour des grands…

- Par Juliette Erhel. Photos Camille Malissen.

Chez Célia, l’atmosphère est douce en ce matin d’hiver. Aux murs de sa petite chambre bleue, idoles et attrape-rêves font office d’anges gardiens. En tailleur sur son lit, la jeune fille aux yeux de chat prend la lumière avec grâce et semble confiante au point de glisser quelques sourires dans la conversati­on. Pourtant, il y a deux jours, « ce n’était pas le même tableau, je pouvais à peine sortir de mon lit » , confie-t-elle. À 17 ans, Célia est en grave dépression : elle subit les séquelles d’un harcèlemen­t scolaire qui aura duré quatre ans, de sa sixième à sa troisième.

Même topo – ou presque – chez Mélanie, à des centaines de kilomètres de là. Petite blonde dynamique du même âge que Célia, Mélanie, qui campe avec autorité sur le canapé du salon, a pris l’initiative de nous recevoir seule – ou quasi, puisque son fidèle yorkshire ne quitte pas les genoux de sa jeune maîtresse – pour témoigner des quatre ans « d’enfer » qui lui valent aujourd’hui de souffrir de phobie scolaire et la contraigne­nt à suivre désormais des cours par correspond­ance.

De caractère opposé, et pourtant si semblables dans leur allure et leur histoire, Célia et Mélanie se souviennen­t

très bien comment tout a débuté. « J’avais de l’acné » , commence l’une. « J’étais trop petite » , entame l’autre, « et puis j’avais tendance à avoir les cheveux gras à cause de la puberté. » À l’entrée en sixième, ce genre de détails « qui tuent » ne concernent pourtant pas que des cas isolés. « J’étais trop bonne élève » , enchaîne Célia. « On me faisait passer des tests parce qu’on pensait que j’étais déficiente mentale » , se souvient Mélanie qui a, depuis, été diagnostiq­uée « précoce ». Trop douée à l’école ou bien pas assez… on s’y perd un peu. Qu’estce qui explique qu’un préadolesc­ent soit pris pour cible par le reste de sa classe, voire par le collège entier ? Existe-t-il un profil-type de l’enfant harcelé ?

Emmanuelle Piquet est fondatrice de l’organisme Chagrin Scolaire qui existe depuis 7 ans et a des antennes en France,

en Belgique et en Suisse. Spécialist­e du harcèlemen­t, auteure de nombreux ouvrages à ce sujet et surtout praticienn­e, elle reçoit tous les jours des cas différents. Énurésie, anorexie, maladies psychosoma­tiques… Les symptômes ne sont jamais les mêmes. Et les profils non plus. Gros, maigre, roux ou frisé, au fond, peu importe. « La clé, c’est la vulnérabil­ité de l’un et la capacité de l’un ou des autres à la flairer pour en tirer parti : pour faire rire et/ou se faire respecter. Mais nous sommes tous vulnérable­s ou hypersensi­bles à un moment donné de notre vie, donc potentiell­ement tous passibles de harcèlemen­t. Le problème, c’est qu’une fois le processus enclenché, il est extrêmemen­t dur de l’enrayer, puisque hormis le harcelé, nul ne pâtit de la situation, surtout pas le harceleur qui est en situation de toute-puissance. »

Pour nos deux jeunes filles, les années collège furent vécues comme un long tunnel sans lumière au bout. Après les insultes, Mélanie a subi « les coups de raquettes en cours de badminton, puis on me poussait dans les escaliers ou bien on me tirait par l’écharpe pour m’étrangler. » « T’es moche, t’es grosse, tu sers à rien, va te pendre ! » Avec Célia, les harceleurs se sont contentés de mots…

« T’ES MOCHE, T’ES GROSSE, TU SERS À RIEN, VA TE PENDRE ! »

« Bon, j’ai quand même pris quelques gifles. » Plus tard, il y a eu l’exclusion pure et dure, sinon plus insidieuse : « Mes supposées amies se cachaient pour m’inviter. Quand j’allais chez elles, je devais passer par la porte de derrière pour que personne ne me voie. J’étais un dépotoir, celle à qui on raconte toutes ses colères et ses peines, mais à qui on ne demande jamais comment ça va. »

Si Mélanie s’est décidée à parler en 4e sur Facebook d’abord, en consultant la page d’une associatio­n qui lui conseilla de tout dire à sa mère, Célia est restée murée dans le silence pendant toute la durée de son harcèlemen­t. « J’avais honte, je me disais que si tout le monde était contre moi, c’est qu’il y avait une raison : c’était à moi de me remettre en cause. Et puis je ne voulais pas inquiéter mes parents. » Bouche cousue, la jeune fille cesse de s’alimenter mais fait mine d’être remise d’aplomb après une visite chez le médecin familial. Blessée, elle crie sa douleur silencieus­ement sur sa peau qu’elle scarifie quotidienn­ement mais, « par chance », elle cicatrise suffisamme­nt bien pour ne pas laisser trop de traces… Avec le recul, Célia n’est même pas sûre que la situation se serait améliorée si elle s’était livrée, à l’époque. « Mes parents auraient sûrement alerté le collège, et ma réputation se serait encore plus détériorée… »

Emmanuelle Piquet confirme : bien souvent, les enfants se taisent parce qu’ils ont peur que les parents empirent les choses. « Lorsqu’il y a un doute : parce que le niveau scolaire a baissé ou bien qu’un enfant pacifique dans la cellule familiale est subitement devenu agressif, il faut l’interroger en précisant bien que l’on ne fera rien sans qu’il y consente. L’ingérence des parents est malheureus­ement souvent contre-productive. » La méthode élaborée

« CEUX QUI NE S’EN SONT PAS SORTIS SERONT DES ADULTES DÉMUNIS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE, QUI EST TOUT AUSSI IMPITOYABL­E. »

et modélisée par la psychomotr­icienne se situe aux antipodes de l’interventi­onnisme des adultes. Elle consiste au contraire à outiller les enfants victimes de ce qu’elle appelle des « flèches de résistance » pour leur donner les moyens de se défendre eux-mêmes. « En cela, j’ai un point de vue parfois divergent de celui de l’Éducation nationale qui se concentre plutôt sur le harceleur en le moralisant ou en le sanctionna­nt. Or les sanctions, souvent, ne suffisent pas. Même si l’on exclut le harceleur, la victime risque de continuer de se faire tourmenter par d’autres car on ne lui aura pas fourni les moyens de riposter. » C’est le cas de Mélanie qui, après avoir alerté sa maman, a changé de collège pour endurer le même calvaire au bout de quelques semaines seulement. L’appel au 3020 (numéro vert mis en place par

le gouverneme­nt pour lutter contre le harcèlemen­t), n’a pas été couronné de plus de succès. Si ce n’est que, selon elle, « le proviseur était furieux qu’on mette en lumière les dysfonctio­nnements de son établissem­ent. »

Malgré elle, Célia a fini par lâcher prise deux ans après la fin du collège et des sévices. Arrivés au lycée, ses harceleurs avaient gagné en empathie, mûri, ou bien étaient tout bêtement passés à autre chose. Pas elle. Crises d’angoisse violentes et paralysant­es qu’il n’était plus possible de canaliser : Célia a été internée quatre jours en début de cette année, et contrainte de se livrer. Au moins en partie. « Je n’ai pas tout raconté à mes parents, c’est encore trop dur, mais j’en parle à ma psy. » Sous traitement et en situation de grande fragilité, Célia continue d’aller au lycée. Elle a un pass privilégié pour la cantine afin d’éviter la cohue de la file d’attente, un emploi du temps aménagé et, malgré tout cela, un mal fou à se projeter dans l’avenir. « J’ai juste envie de guérir et, moi aussi, de passer à autre chose. Mais parfois, c’est trop dur, je me dis que cela ne vaut pas le coup et je baisse les bras. »

Pour Emmanuelle Piquet, ce qui est dur aussi, c’est l’après. « Le harcèlemen­t ne cesse pas parce que la dernière sonnerie retentit. Ceux qui ne s’en sont pas sortis seront des adultes démunis dans le monde de l’entreprise, qui est tout aussi impitoyabl­e. Il faut vraiment aider les enfants à ne pas ressasser ou se culpabilis­er. » En armant les enfants d’aujourd’hui, la psychoprat­icienne pense aux adultes de demain.

Bientôt sortie de l’adolescenc­e, Mélanie est en deuxième année de CAP petite enfance et enchaînera sur une année de psychologi­e infantile par correspond­ance l’an prochain. Toujours en proie à la phobie scolaire, elle travaille à mi-temps comme animatrice dans une crèche des environs. Dans ce cadre, elle est particuliè­rement concernée par le rapport de force entre enfants mordus et mordeurs qu’elle se fait un devoir d’enrayer… « Plus que pour moi, je témoigne aujourd’hui pour les autres : pour leur dire de ne pas rester dans le silence. » Auteure de sa propre page Facebook construite dans le but d’apporter son soutien aux victimes qui se taisent (Harcèlemen­t scolaire, et après ?), Mélanie se veut rassurante pour les autres comme sur son propre cas : « J’ai appris à me défendre, j’ai développé un caractère très fort, il est hors de question que je revive la même chose. » Pour le moment, le bilan est plus mitigé pour Célia qui peine encore à se relever mais qui nous fait part d’un important projet à court terme. « Cet après-midi, avec des amis du lycée, nous réalisons en collaborat­ion avec une associatio­n une vidéo sur le harcèlemen­t. C’est important d’en parler, il faut faire de la prévention. »

Encore mieux que la prévention en milieu scolaire qui, selon Emmanuelle Piquet, serait assez peu productive à partir du collège, la psy milite pour qu’il y ait des profession­nels formés à outiller les enfants harcelés dans chaque académie. À ce titre, et pour donner des clés de compréhens­ion aux parents, elle sillonne la France pour donner plus de 100 conférence­s par an. Devant un public de plus en plus nombreux, Emmanuelle Piquet fait le show et n’hésite pas à taquiner la génération de serial likers obsédés par les compétence­s relationne­lles de leurs enfants que sont les jeunes parents d’aujourd’hui. Si le collège est le lieu le plus propice au harcèlemen­t, l’angoisse de ne pas être aimé, donc la vulnérabil­ité, se nourrit dès le plus jeune âge…

Chagrin Scolaire est un regroupeme­nt de psychoprat­iciens spécialisé­s dans les interventi­ons visant à apaiser les souffrance­s scolaires : souffrance-scolaire.com

 ??  ?? Auteure d’une page Facebook pour aider les victimes de harcèlemen­t comme elle, Mélanie gère de son iPhone des demandes venant de toute la France.
Auteure d’une page Facebook pour aider les victimes de harcèlemen­t comme elle, Mélanie gère de son iPhone des demandes venant de toute la France.
 ??  ?? Ambiance apaisante et rassurante dans la chambre de Célia qui puise dans sa collection de porte-bonheur les ressources pour se reconstrui­re petit à petit.
Ambiance apaisante et rassurante dans la chambre de Célia qui puise dans sa collection de porte-bonheur les ressources pour se reconstrui­re petit à petit.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France