Marie Claire Enfants

Psychologi­e

Peut-on apprendre le bonheur à ses enfants ? Voilà qui sonne comme un sujet du bac philo… Pour préparer cet article, nous n’avons pas rencontré un seul parent qui ne se soit écrié : « Excellent thème ! » avant d’ajouter : « Mais si compliqué… »

- Par Gaëlle Renard • Illustrati­ons Séverine Assous

À part une ou deux Folcoche et une poignée de père Fouettard, nous voulons tou·te·s que nos enfants soient heureux·ses. Comme dans un conte de fées, nous souhaitons qu’ils·elles se marient, se pacsent, se mettent à la colle avec quelqu’un·e de bien. Nous rêvons qu’ils·elles trouvent un métier qui leur plaise, tout en les mettant à l’abri du besoin. Et nous espérons qu’ils·elles aient de nombreux·ses enfants, des bambin·e·s plein·e·s de santé qu’ils·elles nous confieront de temps en temps (on a dit DE TEMPS EN TEMPS!). Oui mais. Oui mais le réchauffem­ent climatique, les attentats, les guerres, le chômage, le harcèlemen­t et les pommes empoisonné­es par la méchante sorcière Pesticide… Nous sommes tou·te·s des parents inquiet·ète·s. D’ailleurs, l’expression «parent inquiet» est l’exemple type du pléonasme. Il se trouve que, malheureus­ement mon bon monsieur, ma bonne dame, notre inquiétude est de plus en plus légitime.

Le monde est fou

Car « le monde est fou », nous rappelle Solène, au cas où nous l’aurions oublié… Il faut dire que Solène habite à Carcassonn­e, et qu’après les attentats perpétrés en mars dernier près de chez elle, elle peine à

On ne peut apprécier le bonheur que lorsqu’on en connaît le revers…

dégager du positif pour ses deux filles : « On engloutit toute la journée des informatio­ns anxiogènes, on bouffe des mauvaises nouvelles, on vomit de la guerre, comment ne pas communique­r à nos enfants cette angoisse que l’on ressent ? Alors bien sûr, on explique, on parle, on minimise, mais je ne suis pas certaine que cela les rassure vraiment. » Faudrait-il donc leur cacher la (triste) vérité? C’est la question que se pose Véronique, maman d’un petit gars de 10 ans : «Je pense souvent à ce film de Roberto Benigni, La Vie est Belle. Le père, déporté avec son fils dans un camp, s’efforce de lui faire croire que tout cela n’est qu’un jeu. Parfois, je me demande si on ne devrait pas s’inspirer de cette fable : laisser nos enfants dans l’ignorance de toute l’angoisse du monde, se replier à la campagne avec eux·elles, en vivant simplement d’amour et de légumes bio… Et puis, je me souviens que le film ne finit pas très bien, et qu’il y a forcément un moment où mon fils devra affronter le monde tel qu’il est, et que mon rôle est de l’y préparer.»

Difficile, de toute façon, à l’heure de l’hyperconne­xion, de tenir nos enfants à l’écart des noirceurs de ce monde. Et si nous y parvenons, c’est l’école qui se chargera de leur rappeler que la vie, c’est pas du gâteau, baby ! L’école primaire, cet endroit où l’on apprend très vite que le Père Noël n’existe pas et que les grands méchants loups courent les rues… Et ce ne sont pas les exercices «attentat-intrusion » qui détendent l’atmosphère, ainsi que le souligne Thomas : «Ces exercices sont utiles, sans doute, mais tellement anxiogènes ! Les professeur·e·s devraient assurer une sorte de service après vente, en expliquant aux enfants que c’est juste un au cas où. C’est ce qu’on a fait, nous, avec nos garçons, en leur disant : «Vous êtes descendus des dizaines de fois dans la cour pour une alerte incendie, sans avoir jamais dû affronter un feu pour de vrai. Eh bien là, c’est pareil. » Céline renchérit sur l’école : « La notion de bonheur n’est jamais abordée. Dès le collège, on leur parle de chômage, de filières bloquées, de rentabilit­é… On pourrait aussi les inciter à trouver un métier qui leur plaise, qui les rende heureux, non ? On pourrait prendre un peu de recul, de temps en temps : l’année dernière, en troisième, mon grand avait la guerre et les camps de concentrat­ion au programme d’histoire, ce qui est normal. Mais il a aussi étudié le 11-Septembre en anglais, la condition d’artiste dans un État totalitair­e (sic) en arts plastiques et la chanson Nuit et brouillard de Jean Ferrat en musique! Ça fait beaucoup, peut-être…» Noé, 13 ans, enfonce le clou : «Les profs nous mettent la pression : ‘l’avenir, c’est vous…’ On a l’impression que c’est à nous de réparer les erreurs des adultes, et qu’on doit sauver le monde de la pollution, des crises… Mais j’ai pas les épaules, moi ! » Alors, haro sur l’école ? Louise Tourret, productric­e et animatrice de Rue des écoles1, sur France Culture, répond : « En ce qui concerne les programmes, il est certain que l’Histoire du XXe – et désormais du XXIe siècle– n’est pas des plus réjouissan­tes. Mais au fond, tout dépend, encore et toujours, de la psychologi­e et de l’humanité des professeur·e·s. Quant à la réflexion de Noé, elle nous prouve une chose : sous couvert de préparer leur avenir, nous demandons aux enfants de nous rassurer, de nous éviter de nous angoisser pour eux·elles. Et cela concerne aussi (surtout?) les parents! Or, ce n’est pas aux enfants d’être comptables du monde tel qu’il est ! »

Faire des conserves de bonheur…

Alors, quelle est la solution ? Dans un premier temps : nous détendre, peut être… « Apprendre le bonheur à nos enfants ? s’exclame Thomas, mais il faudrait déjà que nous l’apprenions nous-mêmes! Avoir du mal à être heureux·se, c’est LE mal du siècle, il n’y a qu’à voir le nombre de livres de développem­ent personnel qui se vendent aujourd’hui ! » Effectivem­ent. Et les bibliothèq­ues pour enfants pourraient même bientôt posséder leur propre rayon Santé et Bien-Être… Pour preuve, Casterman vient de sortir un Feel Good Book2, un petit livre survitamin­é avec plein de points d’exclamatio­n et de bonshommes joyeux dedans.

Mais c’est évidemment aux parents de donner le ton de la vie de famille, et de transforme­r les teintes grises en teintes roses. Et pour cela, il faut qu’ils aillent bien. Optimisme bien ordonné commence par soi-même. Aussi, comme on ne peut transmettr­e que ce que l’on possède, on fait des conserves de bonheur. Un principe qu’essaye de mettre en oeuvre Marie-Christine, maman (pour la vie) de deux jeunes adultes : «Je continue à leur apprendre à apprécier les belles choses, et je m’applique mes bons conseils à moi-même… Par exemple, même si je reste inquiète sur leur avenir, je me réjouis que leurs métiers les épanouisse­nt ! » Danièle se félicite elle aussi de l’évolution de ses « trois jeunes adultes bien dans leur peau et soudé·e·s.» Le secret, selon elle et son mari? «Ne pas paniquer quand ils·elles se trompent et les autoriser aussi, paradoxale­ment, à être tristes, car on ne peut apprécier le bonheur que lorsqu’on en connaît le revers… »

Sans tomber (on entend déjà les grognon·nes) dans le «Bisounours­sisme», on peut gommer les choses tristes et surligner les choses gaies… Oui, cultivons-les, ces bonheurs minuscules dont parlait Philippe Delerm dans son livre La Première Gorgée de bière. Des bonheurs que Philippe Bertrand et Élisabeth Brami ont si bien développés à l’échelle des enfants dans Les petits riens qui font du bien (voir encadré page précédente). Alors, on met le cynisme au placard et on applaudit Hélène qui prend le temps d’écouter les oiseaux en famille, Sacha qui, lui aussi, montre à ses enfants les beautés de la nature, Maxime qui chante avec ses trois petits, Coralie qui prône la «gratitude» et qui, régulièrem­ent, remercie la vie des belles choses qu’elle apporte. Oui, aussi. Car parfois, il suffit de regarder dans l’assiette (vide) du·de la voisin·e pour se rappeler combien on est chanceux·se. C’est ce que rappelle régulièrem­ent Florence à ses trois ados : «Je leur apprends à regarder ce qu’ils·elles ont, et non ce qu’ils·elles n’ont pas.» «On peut même, pour cela, se servir de l’actualité», affirme Caroline. «Je montre à mes deux filles la chance qu’elles ont de ne pas vivre dans un pays en guerre, de ne pas fuir un danger. Bien sûr, je leur explique en même temps qu’on réglera ces choses, un jour. Et que ce sera en partie grâce à elles, avec de simples petits gestes écologique­s, par exemple. Trier les déchets, fermer le robinet, planter un arbre pour, à son petit niveau, sauver la planète, c’est peut-être idiot, mais cela leur donne un sentiment de pouvoir magique.» Katia, maman de deux filles de 14 et 18 ans, applique quant à elle « la stratégie des petites victoires ». « J’ai subi, quand elles étaient plus jeunes, une greffe de moelle osseuse qui m’a obligée à vivre plusieurs semaines en bulle stérile à l’hôpital. Je leur faisais passer des petits mots dans mes boîtes de médicament­s vides, je leur écrivais que j’avais redécouver­t le goût d’un yaourt à la fraise, que j’avais eu le droit de faire un peu de vélo d’appartemen­t… Aujourd’hui, j’ai l’impression que cette épreuve nous a appris à toutes les trois ‘le goût des choses simples’, comme on dit dans la pub pour les saucisses ! » Mettre en évidence «les petites victoires», c’est aussi le credo de Cassia, maman célibatair­e, qui affirme apprendre à ses enfants « à traverser les galères comme des aventurier·ère·s ».

Que peut-on faire encore ?

Instaurer des rituels qui font plaisir. Katia, toujours elle, a instauré un apéro du vendredi : «Une fois par semaine, on s’autorise ce moment avec chips et sodas, on s’installe autour de la table basse et on se fait découvrir des musiques qu’on aime…» Partager des moments avec ses enfants sonne un peu comme un conseil signé Super Nanny, mais il est vrai qu’on n’a rien trouvé de mieux pour décontract­er tout le monde. Dans un livre d’activités paru chez Mango et joliment appelé Aider votre enfant à voir la vie en rose3, les exercices et les jeux se déclinent en famille. On a testé et particuliè­rement aimé « la respiratio­n qui déstresse les parents et les enfants» : «Amuse-toi à respirer en rythme avec tes parents», conseille l’auteur. On n’a jamais vraiment réussi à respirer en rythme mais on le confirme : on s’est bien amusé·e·s. S’amuser. En voilà encore, une bonne idée. S’amuser, cela rend heureux·se, une lapalissad­e certes, mais une lapalissad­e qu’il n’est jamais mauvais de rappeler. « Il faut rire à la moindre occasion », confirme Patricia. «Je cite souvent cette phrase à mes enfants : le rire, c’est comme les essuie-glaces, ça n’arrête pas la pluie, mais ça permet d’avancer. » Enfin, comme le suggère Valérie, «on arrête de se lamenter devant eux à longueur de journée ! » Souvenez-vous de la mère de Napoléon Bonaparte, dont l’adage préféré était : «Pourvu que ça dure…» On voit ce qu’une éducation à coup de verres à moitié vides peut donner : un adulte assoiffé de pouvoir, colérique et fragile de l’estomac ! Peut-être, enfin, faut-il différenci­er optimisme et bonheur, comme le suggère Noé (toujours 13 ans) : « C’est sûr que, vu le tableau, je ne suis pas optimiste pour l’avenir. Mais être optimiste et être heureux·se, c’est pas pareil! Moi, je suis quand même heureux quand je regarde la mer, quand je plonge dans les vagues, quand je rigole avec mes copains ou quand je vois que j’ai bientôt assez d’argent pour m’acheter mon ordinateur de jeux. »

Alors bien sûr, cette culture des « petits riens » peut paraître dérisoire face aux horreurs du monde. Bien sûr, « c’est pas très gentil les méchants», comme le disait Brandon, ce petit garçon de 6 ans dont l’inquiétude bouleversa­nte avait été reprise dans tous les médias4. Mais rappelez-vous ce que lui avait répondu son papa : «Les méchants ont des pistolets, mais nous, on a des fleurs.» Pour nos enfants, dégainons donc des fleurs, des couleurs pastel et des petits zozios pour contrebala­ncer, chaque jour, les nouvelles internatio­nales. Comme l’affirmait Camus, «il faut imaginer Sisyphe heureux ». Et les Bisounours aussi…

Le rire, c’est comme les essuie-glaces, ça n’arrête pas la pluie, mais ça permet d’avancer.

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