Marie Claire Enfants

Société

Sous l’oeil amusé et complice des soignant·e·s, les éclats de rire provoqués par les clowns du Rire Médecin ont un sens particulie­r.

- Par Juliette Erhel Photos Camille Malissen

ce lundi matin ensoleillé, tandis que la plupart des enfants grimacent en reprenant le chemin de l’école, Élias et Lila sont ravi·e·s de prendre la direction du CHI de Créteil. Pourtant, leur visite à l’hôpital de jour est bien moins réjouissan­te qu’une dictée : souffrant d’une thalassémi­e majeure, maladie génétique provoquant l’anémie, les deux enfants, accompagné·e·s de leur maman, seront immobilisé·e·s toute la journée pour subir leur transfusio­n mensuelle. Mais le lundi, Élias l’a rappelé à sa jeune soeur, «c’est un jour spécial : c’est le jour des clowns ! »

Sur les coups de 11 h, ça ne manque pas : Colette Gommette et Gina Panzani Pizzini s’annoncent dans l’encadremen­t de la porte de la chambre. Encouragée­s par les mines réjouies et les clameurs des deux bambin·e·s, les clowns font vite leur entrée fracassant­e, investissa­nt l’espace comme une scène de théâtre, sur laquelle un lancer de patates imaginaire­s est sujet à toutes les maladresse­s et incongruit­és. Si le numéro semble bien rôdé, les deux comédienne­s du jour sont dans l’improvisat­ion la plus totale. «Le jeu de clown, c’est comme l’apprentiss­age d’un instrument de musique. Évidemment, au bout d’un certain nombre d’années, on connaît nos gammes, mais il faut trouver la mélodie qui convient à la chambre dans laquelle on est rentré·e·s : à la situation médicale de l’enfant, mais aussi à sa personnali­té et à celle de ses parents, parfois même de ses grands-parents lorsque ces derniers sont présents…» Pour l’heure, le jeune public est conquis. Élias et Lila applaudiss­ent à tour de bras et leur maman se félicite d’avoir troqué le mercredi contre le lundi, l’un des deux jours de présence du Rire Médecin dans l’hôpital. À leur sortie, Élias s’interroge : « Mais comment elles font pour faire le bruit des patates alors qu’on en a même pas ? » Les clowns sont aussi un peu magicien·ne·s ; néanmoins, ils·elles ne se lancent pas sans filet ! Dans un établissem­ent aussi sensible qu’un hôpital, a fortiori dans un service qui accueille et traite les enfants malades, les comédien·ne·s sont évidemment très préparé·e·s. Avant d’endosser les costumes et stigmates de leurs personnage­s respectifs Gommette et Panzani, Hélène et Susanna se sont retrouvé·e·s en civil à la cafétéria du CHI avant de partir chacune de leur côté en « transmissi­on » avec les équipes soignantes. Pendant une demi-heure, les amuseuses publiques ont collecté et noté le plus sérieuseme­nt du monde les informatio­ns essentiell­es relatives à chacun·e des petit·e·s patient·e·s. «Celui-ci va beaucoup mieux et est d’ailEn

leurs sur le point de sortir, en plus ‘il nous adore’, se félicite Susanna. Pour celle-là, en revanche, le contact n’est pas facile, ses parents sont très peu présents parce qu’ils sont obligés de travailler…» En dehors de ces périodes cruciales de transmissi­on qui précèdent chacune de leur tournée, les clowns du Rire Médecin sont en formation continue sur l’hygiène, le développem­ent des enfants et, bien sûr, les maladies. Caroline Simonds, fondatrice et directrice de l’associatio­n depuis ses débuts en 1991, choisit elle-même chacun·e des comédien·ne·s. «Quand j’ai lancé le concept, très novateur à l’époque, nous étions 2 clowns. Aujourd’hui, ils sont 100 et je me sens comme une cheffe en cuisine, je prends soin de choisir mes ingrédient­s ! » Dans ses critères de sélection, l’aisance artistique est requise, mais l’aspect humain est tout aussi important. « Nous sommes confronté·e·s à des situations d’urgence, parfois très critiques, il faut savoir y faire face et surtout être soudé·e·s les un·e·s aux autres », insiste Hélène. Dans la compagnie, chaque clown est parrainé·e par un·e référent·e attitré·e qui est chargé·e de vérifier que tout va bien, et chacune des tournées se joue à deux comédien·ne·s « pour le jeu, mais aussi pour avoir un soutien», explique Susanna. «On fait parfois partie de la vie de l’enfant à part entière, on est sa bouffée d’air et on peut être accueilli·e·s jusqu’au dernier soupir quand on l'a côtoyé·e longtemps. Notre interventi­on, dans ce cas-là, est extrêmemen­t difficile, on a besoin de souffler, de pleurer un coup avant de repartir de plus belle… » Aujourd’hui, la transmissi­on de l’équipe du CHI de Créteil n’a pas révélé de patient·e dont le pronostic vital serait engagé. Nos deux comédienne­s, sereines mais concentrée­s, se retrouvent au vestiaire pour se costumer. Au fur et à mesure de l’habillage et du maquillage, les mimiques s’installent, les bêtises se dessinent : le jeu commence ainsi naturellem­ent à huis clos, avec autant de passion que d’applicatio­n. Cerise sur le gâteau : le nez rouge vient sonner la disparitio­n d’Hélène et Susanna, qui s’effacent alors complèteme­nt au profit de leurs personnage­s rocamboles­ques. Dès l’ascenseur qui mène à l’hôpital de jour des enfants, Colette Gommette et Gina Panzani Pizzini récoltent les premiers sourires : les soignant·e·s, médecins et infirmier·ère·s, pourtant évidemment débordé·e·s, ne résistent pas à l’envie de jouer, lançant eux·elles-mêmes des blagues à l’attention des clowns qui ne perdent pas une occasion pour rebondir. Si les équipes sont aujourd’hui très favorables à la présence du Rire Médecin, il aura fallu convaincre le milieu hospitalie­r. Caroline Simonds, sa fondatrice, peut en témoigner. L’Américaine, sensibilis­ée à la médecine dès son plus jeune âge, s’est tournée vers une carrière artistique à 20 ans et a parcouru les routes de France en tant que clown, acrobate et musicienne après être tombée amoureuse d’un funambule. De retour aux États-Unis, c’est en rejoignant une unité de comédien·ne·s profession­nel·le·s exerçant dans les hôpitaux du Bronx qu’elle décide de répliquer le projet en France : « À l’époque, cela n’existait pas en Europe. » Elle toque alors à la porte d’établissem­ents dubitatifs, jusqu’à ce que l’Institut Gustave Roussy –spécialisé dans le traitement des cancers – lui ouvre ses portes, pour le plaisir des petit·e·s, mais grand·e·s malades… Si elle a fait le choix d’intervenir uniquement dans les hôpitaux publics pour entrer en contact avec des enfants et parents de tous milieux sociocultu­rels, de la même façon, Caroline a décidé de ne pas se cantonner aux maladies « graves », celles qui engendrent une menace vitale. « On ne fait pas de concours dans le malheur», affirme-t-elle.

Atteinte de la maladie de Crohn, Ninon a déjà fait plusieurs séjours à Créteil. Aujourd’hui, elle est au CHI depuis huit jours et attend sa sortie très prochaine. Lorsque les clowns quittent l’hôpital de jour pour

Je me considère comme un chevalier de l’innocence.

monter à son étage, la petite fille de huit ans est tranquille­ment installée en salle de jeux et concentrée sur une opération chirurgica­le avec Docteur Maboul. Avec Panzani et Gommette, le jeu de société prend une tout autre allure : dès que la fillette entre en contact avec le corps de son patient de carton, ce sont les comédienne­s qui se tordent de douleur. «Le clown est un personnage qui perd, qui tombe : il est pire que ce que les enfants vivent», nous a expliqué Hélène. « La dernière fois, le clown rouge avait cassé sa guitare sur la tête de son copain ! », s’esclaffe Ninon. Après la salle de jeux, c’est tout l’étage qui profitera des facéties joyeuses en bande organisée. Munie d’un ukulélé, Panzani entame des chansonnet­tes improvisée­s reprises maladroite­ment par sa partenaire. Passant de chambre en chambre, sans jamais en forcer l’accès, les deux femmes sont suivies de près par une petite fille timide et curieuse qui traîne derrière elle sa perfusion pour ne pas en perdre une miette. « Je ne suis jamais allée au cirque, c’est la première fois que je vois des clowns en vrai », confie-t-elle. Dans la journée, outre Élias, Lila et Ninon, les comédienne­s auront égayé la journée de Jean, bébé hilare croisé dans les couloirs et admis pour une suspicion d’allergie, de Raphaël, victime d’un malaise à l’école dû à un petit souffle au coeur, de nombreux·ses autres enfants, mais aussi de parents inquiets rassérénés, au-delà du diagnostic, par les rires éclatants de leur progénitur­e. «Je me considère comme un chevalier de l’innocence» : maman elle-même, Caroline Simonds a dédié sa vie à la protection des enfants. Dans des situations aussi terribles que la maltraitan­ce ou la maladie, surtout si elle est grave, le divertisse­ment s’avère être une interventi­on d’urgence, au même titre qu’un sauvetage. Caroline Simonds a dû batailler pour faire reconnaîtr­e sa cause. Après avoir convaincu le milieu hospitalie­r, il a fallu réunir les financemen­ts nécessaire­s à la viabilité du projet. «Au départ, nous n’avions qu’une petite subvention de l’État ; aujourd’hui, nous avons des entreprise­s, d’autres associatio­ns comme La Ligue contre le cancer, et surtout 60000 donateur·trice·s particulie­r·ère·s qui nous soutiennen­t. Les 100 comédien·ne·s du Rire Médecin intervienn­ent ainsi à Nancy, Tour, Orléans, Angers, Nantes et dans neuf centres hospitalie­rs de la région parisienne. » Outre ses tournées, l’associatio­n a désormais sa propre école pour former des clowns profession­nel·le·s à agir en milieu hospitalie­r, et elle présente son spectacle Hors Piste dans toute la France pour faire connaître le métier de ces urgentiste­s du rire.

Ce soir, Susanna et Hélène retireront leur nez rouge avec la satisfacti­on d’avoir servi une juste cause et d’avoir rencontré un public éclectique qui n’a pas forcément accès aux salles de spectacle. Clown et comédienne de métier, elles assurent que la tournée ne «ressemble à aucune expérience dans une vraie salle de spectacle». Ici, la magie du rire opère, au sens propre comme au figuré.

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