Marie Claire Enfants

Psychologi­e

- Par Gaëlle Renard Illustrati­ons Séverine Assous

En mai dernier, les chiffres de Médiamétri­e révélaient que les petit·e·s Français·e·s de 2 à 14 ans passaient en moyenne 2 h 26 par mois à regarder des vidéos sur Internet. Évidemment, ce sont les parents qui avaient répondu à l’enquête, et notre mauvais esprit nous pousse à penser que ces données ne comptabili­sent pas les moments passés à regarder YouTube sous la couette, aux toilettes, ou dans un coin discret de la cour de récré… Car il faut être honnête, une grande partie de la vie youtubesqu­e de nos enfants nous échappe, ne serait-ce que parce que l’utilisatio­n des tablettes, des smartphone­s et même de l’ordinateur est une activité essentiell­ement individuel­le… Voilà pourquoi nous avons nous-mêmes lancé cette question sur les réseaux sociaux : «Que regardent vos enfants sur YouTube ? » Ils ont été nombreux, les parents, à nous répondre : «On leur demande ce soir»… Et apparemmen­t, ça a drôlement discuté au-dessus du gratin de courgettes ce soir-là, si bien que le lendemain, les réponses affluaient, sur l’air du « Alors alors… »

En famille, un état des lieux parfois surprenant

Alors alors, il y a des parents plus au courant que les autres. Et ce sont souvent, logiquemen­t (et bien heureuseme­nt !), ceux qui ont de jeunes enfants… C’est le cas de Nadine : «Salomé a 7 ans, et elle est fan de L’Atelier de Roxane, où une maman et une fille youtubeuse­s font de la pâtisserie ensemble. Après chaque visionnage (que je dois regarder avec elle), elle me tanne pour réaliser avec elle les recettes… Et nous en avons réussi quelques-unes!» Les parents des plus grand·e·s, eux, rejoignent aussi leurs enfants sur le terrain d’intérêts communs, comme Morgane, maman d’un garçon de 11 ans fan de jeux vidéo (joli pléonasme!) : «Mon fils adore le Joueur du Grenier, un youtubeur qui parle des jeux et dessins animés de mon enfance. Du coup, il me pose pas mal de questions sur ‘quand j’étais petite’. Ça nous rapproche… » Christophe, lui, journalist­e sportif, partage avec son fils les vidéos footballis­tiques de Lexity. Quant à Gaëlle, qui travaille au rayon culture d’un grand magasin, elle «utilise» sa fille de 15 ans comme consultant­e YouTube : «Nous faisons de temps en temps des soirées pour me mettre à la page, et j’avoue que c’est bluffant. J’ai adoré notamment une vidéo de Squeezie avec en invités Bigflo & Oli, mais aussi Alain Rey.» Autre exemple : celui de Sonya. C’est en tant que cobaye qu’elle a commencé à suivre la youtubeuse beauté préférée de sa fille de 15 ans : «Sara vénère Sananas et, à force de s’entraîner sur moi, elle est devenue super douée en maquillage. Revers de la médaille : je ne peux plus sortir de chez moi sans être aussi fardée qu’une Miss France… » Et puis, il y a les autres, les parents qui débarquent joliment, comme Mélanie qui, dans un premier temps, nous affirmait : «Je pense que Gaspard, en 6e, n’en connaît aucun…» Et qui, le lendemain, s’affolait : «Il en suit plein : Squeezie, Fuze, Gotaga, Michou. Moi qui le pensais loin de ça… » Même chose pour Virginie ou Violaine qui, après renseignem­ents, nous révélaient, avec force smileys désespérés, que leurs enfants suivaient jusqu’à 200 youtubeur·se·s.

Une chambre à soi…

Pour autant, faut-il culpabilis­er de ne pas suivre cela de (plus) près? Avant 10 ans, il est évident qu’il faut être vigilant, mais après… Nous autres, adultes, parfois attardé·e·s dans notre propre adolescenc­e, avons débouté (et partiellem­ent dégoûté) nos enfants de Facebook. Nous sommes en passe de faire la même chose avec Instagram, et nous avons réussi à ringardise­r leurs expression­s favorites. Lol. Aussi, les youtubeur·se·s, leurs youtubeur·se·s, représente­nt-ils peut-être leur dernier bastion… C’est ce que pense David, à qui sa fille de 11 ans a refusé de révéler quel·les youtubeur·se·s elle préférait : «Elle m’a dit que c’était de l’ordre de l’intime, rien de moins, et, entre nous, je trouve que c’est une bonne réponse…» Ce n’est pas vraiment un hasard si les youtubeur·se·s se filment dans leur chambre. Même quand ils·elles passent à la vitesse supérieure en enregistra­nt en studio, ils·elles en reproduise­nt le décor. Un lit, un bureau, quelques posters, il n’en faut pas plus pour que le·la vidéospect­ateur·trice se sente comme chez un·e ami·e. Sonya le confirme : «Au départ, j’étais agacée par la fascinatio­n de ma fille pour cette youtubeuse beauté dont le côté superficie­l me dérangeait. Puis, en regardant les vidéos, j’ai compris qu’elle était comme une grande soeur, une initiatric­e, une amie. C’est à la fois rassurant et inquiétant, on se dit que certaines de ces nouvelles icônes, mal intentionn­ées, pourraient faire de leurs fans ce qu’elles veulent ! »

Et quand ça dérape?

Il y a en effet des dérives… L’été dernier, Squeezie, star du web, accusait dans un tweet certains de ses collègues de profiter de leur situation pour draguer. Une enquête du journal Le Parisien confirmait ses dires, avec de nombreux témoignage­s de jeunes filles : certains chats étaient devenus graveleux, demande de photos dénudées à l’appui. De juin à novembre, une campagne de prévention baptisée #FaisGaffe était relayée par la chaîne de télévision Gulli : des célébrités du web incitaient les enfants, dans des clips assez courts, à se méfier des usages d’Internet en général et de YouTube en particulie­r. Ces vidéos sont toujours en ligne sur la chaîne YouTube

(eh oui!) de Gulli. Il existe évidemment des possibilit­és de contrôle parental, des filtres à installer sur les ordinateur­s, mais il faut savoir qu’ils ne sont pas fiables à 100 % et que, donc, tout passe par la prévention, le dialogue, le «c’est-bien-beau-toutça-mais» qui incombe à tout bon parent rabat-joie. Une étude américaine récente, issue du centre de recherche PEW, affirmait qu’outre-Atlantique, 81 % des enfants de moins de 11 ans regardaien­t des vidéos sur YouTube avec l’accord des parents, alors même que la plateforme prévient ses utilisateu­r·trice·s qu’elle n’est pas adaptée aux moins de 13 ans. Sur le nombre, 61 % étaient déjà tombé·e·s sur des vidéos inappropri­ées. Et ne sont comptabili­sé·e·s que les gamin·e·s ayant avoué la chose… Oui mais c’est seulement en Amérique, nous direz-vous! Pas si sûr… Clémence, maman de deux garçons dont un ado de 15 ans, le confirme : « Mon fils m’a un jour parlé d’une vidéo culturelle sur les héros de guerre qu’il avait vue. Elle l’avait mis mal à l’aise. Je l’ai visionnée avec lui : on y faisait, mine de rien, un panégyriqu­e des nazis…» En attendant que soit trouvée une manière de légiférer et de contrôler ce monstre aux multiples têtes qu’est La Toile, à nous de laisser traîner un oeil au-dessus de l’épaule de nos petit·e·s geek·ette·s.

Comment YouTube peut influencer la vie et l’avis de nos enfants

Ces petit·e·s geek·ette·s qui, d’ailleurs, ne nous ont pas attendu·e·s pour développer leur esprit critique. Nino et Théo, respective­ment 13 et 15 ans, s’insurgent ensemble contre les Musical.ly que regardent (ou font) certaines de leurs copines : « Elles singent les chanteuses à la mode, habillées comme des pin-up. Il y en a qui n’ont même pas 7 ans! T’imagines comme les pédophiles doivent kiffer ! » Cet esprit critique, c’est d’ailleurs parfois grâce à YouTube qu’ils l’ont développé. Et même parfois trop développé, de l’avis de leur mère, Clémence : « Mes fils ne peuvent plus regarder un film ou lire un livre sans chercher la petite bête. Le tout avec ce ton très particulie­r qu’ont certain·e·s youtubeur·se·s! J’ai l’impression qu’ils ne savent plus apprécier les choses avec le coeur, que tout passe par le prisme de la critique.» Et ce n’est pas la seule chose qui fait tiquer les parents. Ariane, par exemple, coince sur le principe d’unboxing (voir lexique) : «Ma fille de 6 ans aime regarder Ellie’s Magic World ou Néo & Swan. Elle les a connu·e·s par hasard, en cherchant des informatio­ns sur un jouet qu’elle me demandait pour son anniversai­re. Ces vidéos laissent croire que la vie, c’est ça : vouloir un objet, se le faire offrir, le tester… Et puis, il y a le mimétisme : l’autre jour, elle a envoyé une vidéo à ses grands-parents pour leur monter ses nouvelles lunettes. Elle l’a faite comme une démo YouTube en présentant ‘le produit’ avec cette intonation si particuliè­re… » David, lui, déplore le côté chronophag­e qui n’existait pas avec la télévision : «Le temps que nous passions au même âge devant la télé à rigoler des Nuls ou des Inconnus, les enfants le tuent aujourd’hui en regardant YouTube. On pourrait croire que c’est juste la taille de l’écran qui a changé mais c’est surtout la façon de consommer. YouTube est extrêmemen­t prenant, les youtubeur·se·s sont très nombreux·ses et leurs oeuvres sont disponible­s d’un clic, à n’importe quel moment. Quant au langage, je m’étrangle parfois en entendant les mots crus qui s’échappent des vidéos que ma fille regarde, à 11 ans. » Marie-Christine, professeur­e de musique, déplore que ses élèves ne sachent chercher de l’informatio­n que sur YouTube et Wikipédia : «S’ils·elles n’y trouvent pas l’info, pour eux·elles, c’est qu’elle n’existe pas.» YouTube est en effet la première plateforme musicale, avant Deezer ou Spotify, et le deuxième moteur de recherche après Google. « Et puis, enchaîne Vincent, ils·elles veulent tou·te·s devenir youtubeur·se·s. Mes fils trouvent que se filmer en train de jouer à des jeux vidéo, c’est quand même une manière très sympa de gagner sa vie ! » Partons chercher une étude britanniqu­e, pour bien prouver l’étendue du sujet : The Sun révélait en juin 2017 que 34 % des petit·e·s Anglais·es âgé·e·s de 6 à 17 ans rêveraient de devenir une star du web. Des mineur·e·s s’exposant sur YouTube ? « Ça passe tant que c’est gentillet, affirme Clémence. J’ai donné l’autorisati­on à mes fils d’ouvrir leur chaîne à condition qu’on ne les voie jamais et que cela soit créatif et intelligen­t. Ils ont donc inventé une petite série en stop motion avec des Lego. Ils écrivent les dialogues, les enregistre­nt et font leur montage eux-mêmes. Je trouve ça extrêmemen­t formateur, et puis c’est du boulot ! » C’est du boulot d’être youtubeur ? Exactement ! Il existe même des écoles pour futur·e·s travailleu­r·se·s du web, qui proposent aux jeunes dès 14 ans des stages et ateliers pour se former à la réalisatio­n et au montage de vidéos. «Pour les ados, à la rigueur, s’insurge Gaëlle, mais les parents qui exploitent leurs enfants sur YouTube, ça me dépasse ! Il y a ce petit Américain, notamment, Ryan1. Ses parents affirment que c’est lui qui, à l’âge de 4 ans, a réclamé sa chaîne YouTube… Et s’il avait voulu devenir boucher, il lui aurait offert un hachoir?» Il y a quelques mois, l’Observatoi­re de la Parentalit­é et de l’Éducation Numérique a saisi la justice, le défenseur des droits et le Conseil National de Protection de l’Enfance afin de circonscri­re un peu mieux ce qui ressemble bien à une activité illicite de mineur·e·s. Parallèlem­ent, deux parlementa­ires soulevaien­t le problème lors d’une session de questions officielle­s au gouverneme­nt. En décembre, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, annonçait qu’il avait été commandé une enquête sur le sujet. On attend la suite…

En attendant, n’oublions pas ce que YouTube peut aussi apporter de positif à nos enfants, quand ils·elles sont de l’autre côté de l’écran. David, par exemple, s’avoue agréableme­nt surpris lorsque son fils lui parle de la chute du Mur de Berlin après avoir vu une vidéo sur les années 80. Vincent applaudit à certains programmes comme L’Histoire Racontée par des Chaussette­s. Quant à Clémence, elle a été ravie de tomber dans SON Télérama sur un article consacré à Micmaths, une chaîne dont son fils aîné lui avait déjà parlé… On laissera le mot de la fin à Rose-Marie, grand-mère d’une petite Lou de 10 ans : « Ma petite fille regarde Squeezie, et je suis bien contente, je trouve que ça la déstresse. »

La chaîne s’appelle Ryan ToysReview, mais vous n’êtes vraiment pas obligé·e·s d’y aller…

«Elles singent les chanteuses à la mode. Imagine comme les pédophiles doivent kiffer ! »

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