Marie Claire Enfants

Les Familles

Plus d’un·e enfant sur dix vit dans une famille recomposée. Si l’on était précis·e, on devrait parler non pas de LA mais DES familles recomposée­s !

- Par Gaëlle Renard Illustrati­ons Séverine Assous

L’Insee définit la famille ainsi : «Un couple d’adultes, mariés ou non, avec au moins un enfant né d’une union précédente de l’un des conjoints.» Succinct. Car les familles recomposée­s peuvent varier en effet en fonction des jugements de divorce, des situations financière­s, de l’âge des enfants… et du sens du vent! Autant de critères qui nous ont donné envie d’inventer un jeu des 7 familles recomposée­s. Battez les cartes, c’est parti!

La famille Candeur

Qu’on pourrait aussi appeler la famille « tout nouveau, tout beau». Tout à ses roucouleme­nts, le nouveau couple de tourtereau­x imagine de grandes tablées dignes d’un film de Claude Sautet. Peut-être parce qu’ils·elles ont moins de culture cinématogr­aphique que nous, les enfants sont rarement aussi enthousias­tes. Dans son livre Et la famille recomposée? 1, la psychologu­e Béatrice Copper-Royer alerte contre cette inconscien­te naïveté : « Pour assurer une harmonie au forcing, les adultes demandent parfois des efforts d’adaptation démesurés à leurs enfants sans leur laisser le temps d’assimiler la nouvelle donne.» Théophile, 15 ans aujourd’hui, avait 8 ans quand ses parents ont divorcé. « J’étais content qu’ils se séparent, car ils se disputaien­t beaucoup, et surtout je voyais finalement mon père plus qu’avant. Un jour, il m’a annoncé en mode ‘bonne nouvelle’ qu’il avait rencontré une femme qui avaient deux filles de 3 et 5 ans. Les moments privilégié­s avec lui, c’était fini. Pour moi, ce passage-là a été bien plus dur que le divorce en lui-même.» Et la désillusio­n rattrape aussi les adultes… Isabelle, en couple depuis dix ans avec un père de trois enfants, confirme : «Au début, tu te dis ‘Super, ça va être comme dans un téléfilm de M6’, mais j’ai déchanté quand j’ai vu débarquer trois ados à l’oeil torve, manipulés par leur mère!» Car il y a les ex qui, inexorable­ment, font partie intégrante de votre nouvelle vie. Marine, maman d’un bébé et belle-maman de deux fillettes, le souligne : «Ce n’est pas évident d’entendre parler de ‘l’autre’ tous les jours.» Et quand «l’autre» souffre encore de la séparation, l’euphorie de ce nouveau couple peut attiser un sentiment de solitude…

La famille Solitude

Dans la famille Solitude, je demande pour commencer la maman solo. Pas facile, pour ces femmes dont le niveau de vie a baissé, qui jonglent entre travail, courses et enfants, de se dire que « chez papa», c’est la fête de l’amour! Le sentiment vaut aussi d’ailleurs pour les papas solos, qui découvrent parfois le sens des mots «organisati­on», «charge mentale»… Et quand viennent les moments «sans les enfants», hommes et femmes doivent parfois gérer un vide affectif dans lequel l’aigreur a vite fait de prendre ses aises. Face à ces solitudes, les enfants vont souvent se retrouver confronté·e·s à un véritable conflit de loyauté. Les garçons, par exemple, surtout s’ils sont adolescent­s, peuvent, comme le souligne Béatrice Copper-Royer, « endosser l’habit de défenseur », rejouant auprès de leur mère un nouvel OEdipe : «Le nouveau couple se retrouve alors rejeté par des affects agressifs parfois violents.» Isabelle, les premières années, entendait ainsi de ses beaux-enfants des phrases qu’elle sentait empruntées à leur mère. « Quand ils me disaient, d’un ton peu amène : ‘Tu vas encore à l’équitation?’, j’avais l’impression qu’elle était dans la pièce.» Les enfants ne sont pas sans souffrir de solitude, eux·elles aussi. Il y a l’enfant unique qui, d’un seul coup n’est plus l’élu, la petite dernière qui perd son statut de chouchou, ou l’enfant du week-end qui peine à trouver sa place dans la tribu. Un mal-être que Barbara a ressenti vivement chez Noé, son beau-fils de 9 ans : «Pendant un an, nous avons vécu à 5 dans un petit T3. J’avais mes deux filles en garde alternée et Noé nous rejoignait un week-end sur deux. C’était vraiment difficile pour lui, d’autant que, comme il le répétait, c’était la maison de SON père! Résultat : il me le faisait un peu payer…» Car quel meilleur bouc émissaire qu’une belle-mère ou un beau-père? Qu’elle est pratique, cette belle-maman Malaussène à qui, selon Béatrice Copper-Royer, on peut livrer une guerre « qui met l’ado moins en danger que celle qu’il pourrait livrer à l’un ou l’autre de ses parents.» Cette marâtre permet aussi de remettre sur le tapis une petite part d’OEdipe (encore lui!) tapie au fond de l’inconscien­t. Petite chérie qui, inconsciem­ment, avait réussi à éloigner maman, voit une belle-mère lui piquer sa place! Quand au fifils à sa môman, il va s’empresser de détester cette belle-mère, histoire de ne pas la désirer. Bref, OEdipe et Malaussène sont sur un bateau, qui tombe à l’eau? La nouvelle femme de papa. Dans son essai, Comment t’aimer, toi et tes enfants ? 2, le Dr Christophe Fauré s’adresse à ces «marâtres» : « C’est le comble, vous vous êtes engagées pour ne plus ressentir l’emprise de la solitude et voilà qu’elle s’installe dans votre vie, au sein même de la relation!» Isabelle a ressenti plus d’une fois cet isolement : « Quand il y avait un souci, j’essayais d’en parler à mon homme, mais j’avais peur de passer pour une chieuse! Alors j’ai décidé de passer sur les chaussette­s qui traînaient, les réflexions insolentes… » « Ça demande beaucoup d’énergie, renchérit Barbara, le couple a intérêt à être solide.» Béatrice Copper-Royer souligne combien ce sentiment de solitude peut se renforcer quand le père est passif ou qu’il nie le problème. Et pourquoi est-il passif, le père ? Parce qu’il culpabilis­e.

La famille Culpabilit­é

C’est l’histoire d’une famille nombreuse… Prenons le père. « Il y a, à l’évidence, une grande part de culpabilit­é chez les hommes (…) qui sont plus concernés par les émotions de leurs enfants que ne l’étaient leurs aînés», écrit Béatrice Copper-Royer. C’est le cas du compagnon de Marine qui, bien qu’habitant à 500 km de ses filles, parvient à être le papa que le directeur de l’école voit le plus souvent! En matière de faute, les pères s’autoflagel­lent aussi, parfois, pour avoir abandonné leur ex, pour voir davantage leurs beaux·belles-enfants que leurs propres enfants, pour ne pas offrir une maison assez grande pour tout le monde, etc. Voilà qui les amène à jouer les autruches, en niant les couleuvres que leur nouvelle compagne doit parfois avaler. Or, comme le

précise Catherine Audibert, psychologu­e et psychanaly­ste, dans Le Complexe de la marâtre 3 : «Dès qu’il libère un peu de sa culpabilit­é, (le père) permet qu’une porte s’ouvre entre sa compagne et ses enfants. » Une compagne qui, elle aussi, porte sa croix. Souvent parce qu’elle peine, en tant que gardienne du temple, à établir des relations harmonieus­es au sein de cette recomposit­ion. Selon Christophe Fauré, les femmes vivraient plus mal que les hommes le rejet éventuel de leurs beaux·belles-enfants, leur «estime de soi dépendant fortement de leurs succès dans les relations interperso­nnelles. » Barbara le reconnaît : « La culpabilit­é est un fléau, il faut réussir à s’en détacher. D’accord, on a bouleversé leur vie. Ça leur donne le droit d’être en colère après nous, mais pas de faire la loi.» Les beaux-pères seraient-ils moins à plaindre? Il est vrai qu’ils ne bénéficien­t pas de l’aura négative de la marâtre, généreusem­ent véhiculée par les contes de fées. Non, il n’y a pas de parâtre. Pour autant, eux aussi se sentent parfois fautifs, comme Julien : « J’ai tout de suite craqué pour les fils de ma compagne, mais parfois, je me demande si je ne vole pas la place de leur père, si j’ai le droit de les aimer autant…» Dans la famille Culpabilit­é, ça mouline aussi à l’étage des enfants : le fils qui se sent responsabl­e du divorce de ses parents, la fille qui se demande si ce n’est pas une trahison de bien aimer cette nouvelle presque maman…

La famille Crispation

Elle habite tout près, vous l’aurez compris, de la famille Culpabilit­é. On a évoqué le manque de place, les conflits de loyauté, on peut aussi parler des codes différents. Barbara s’est vite retrouvée désarçonné­e par l’éducation qu’avait reçue son beau-fils. « Il a fallu lui expliquer que chez nous, on débarrasse son assiette, on ne commence pas à manger sans attendre les autres… Il me disait : ‘C’est pas toi qui commandes.’ Heureuseme­nt, nous connaissio­ns bien nos enfants et avions anticipé les problèmes. On savait déjà comment réagir dans ces cas-là. » Justement, comment réagir dans ces cas-là? Pour Béatrice Copper-Royer, «personne n’est obligé d’aimer personne mais le père doit exiger que sa femme ou sa compagne soit respectée.» Et vice versa. Pas si facile. Comme l’affirme joliment Barbara : «Tu composes, plus que tu ne recomposes.» Et puis, il y a aussi les failles de l’humain. Catherine, qui a deux ados à la maison, le reconnaît : «Je ne supporte pas que la chambre de mon beau-fils soit en désordre, alors que cela ne me pose aucun problème avec la chambre de ma fille.» Isabelle, elle, avoue ne jamais avoir été vraiment attirée par ses beaux-enfants : «C’est peut-être parce que je n’ai pas été mère moi-même mais franchemen­t, la conversati­on des enfants m’ennuie. Alors, quand ils étaient plus jeunes, j’ai fait semblant… »

La famille Organisati­on

Une autre branche cousine de la smala Crispation. Celle qui gère, chaque semaine, un mini-déménageme­nt. Avec le livre de géographie qui manque à l’appel à l’heure de préparer le cartable. Avec la facture de la cantine, qui «comme par hasard, n’arrive jamais quand il est chez son père ! » Avec les rendez-vous chez le médecin, la carte Vitale chez maman, la carte de mutuelle chez papa. Avec l’agenda des vacances, les déjeuners avec l’ex pour parlemente­r (« Il faut vraiment qu’ils·elles passent deux semaines chez ta mère?»). Avec le doudou perdu par «les autres», forcément. Avec «Un téléphone portable? Pas question! Mais maman a dit oui!»

La famille Rebelote

Si l’on observe les chiffres, le taux de divorce a plus que triplé en 50 ans. Un demi-siècle au cours duquel les pères se sont davantage investis dans l’éducation de leurs enfants, où les mères ont un peu lâché de lest parental pour s’épanouir profession­nellement. Les psys se sont penché·e·s sur le phénomène et ont prodigué leurs conseils. Quant aux nouvelles technologi­es, elles ont apaisé les échanges. «Il n’est plus nécessaire comme autrefois de se voir ou de se téléphoner. Un certain nombre de messages peuvent se faire via des courriels ou des SMS», souligne Béatrice Copper-Royer. Stéphanie se souvient de temps moins sereins : «Mes parents ont divorcé quand j’avais 12 ans et se sont déchirés. Il y a 2 ans, je me suis moi aussi séparée du père de mes deux garçons, et on a tout fait pour réussir cette séparation. Au final, l’exemple catastroph­ique que m’ont donné mes parents m’a servi de contre-modèle. » Dans son roman autobiogra­phique, Que nos vies aient l’air d’un film parfait 4, l’écrivaine Carole Fives se souvient de ces étés où ses parents s’échangeaie­nt les gosses sur une aire d’autoroute : «Personne ne fera un kilomètre de plus que ne le prévoit la loi, personne ne doit être le dindon de la farce.» «Aujourd’hui, le souligne Julien, le papa de mes beaux-fils ne voit aucun problème à ce que mon nom fasse partie des personnes à prévenir en cas de problème.» Barbara se sent prête à contacter l’ex de son mari si la situation se compliquai­t avec son beau-fils. Et récemment, Marine a même pris l’apéritif chez la maman de ses belles-filles. « Leur plus grand rêve : qu’on vive tou·te·s ensemble. Je l’avoue, je ne suis pas prête… »

Ne manquerait-il pas une septième famille dans ce jeu pour qu’il soit complet? Mais oui : La famille Parfaite ! Pioche… Une famille recomposée qui réunirait 7 jours sur 7 dialogue, compréhens­ion, empathie, intelligen­ce, patience ? Seul·e·s Mère Teresa et le Dalaï-Lama auraient pu la construire. Or il·elle ne se sont jamais marié·e·s… C’est bien un signe !

« Les enfants se retrouvent souvent confronté·e·s à un conflit de loyauté.»

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