Arts de force majeure
On y danse, on y sculpte ou on y joue la comédie : si les activités proposées chez les Petits Lutins de l’Art sont dignes d’un conservatoire de quartier, elles ne tendent pas à faire naître des vocations mais à soigner.
Dans ce centre pour enfants de 3 à 12 ans du XIVe arrondissement de Paris, le langage artistique est utilisé exclusivement à des fins thérapeutiques pour soigner les souffrances des plus petit·e·s.
Mathis, qui est âgé de 9 ans aujourd’hui, était un enfant « qui passait de la joie à tout le malheur du monde sans que l’on sache trop pourquoi, et qui était en permanence dans la confrontation, que ce soit à l’école ou à la maison», nous explique sa maman. Après un parcours psychothérapeutique classique relativement inefficace, le petit garçon est venu aux «Petits Lutins» grâce au bouche à oreille. «Dès le départ, le fait de ne plus être dans la médicalisation, en face à face direct avec un pédopsychiatre, a fait du bien à Mathis», constate sa maman. Les Petits Lutins de l’Art, en effet, est l’un des seuls centres d’art-thérapie pour enfants existant hors du cadre hospitalier ou institutionnel. «Les deux mécènes à l’origine du projet souhaitaient faire connaître cette manière d’aborder les choses au plus grand nombre», explique Anne-Marie Dubois, psychiatre précédemment en charge du service d’art-thérapie de l’hôpital Sainte-Anne et référente scientifique du centre. Attention néanmoins, ce n’est pas parce que l’on sort du cadre strictement médical qu’il faut négliger la vocation première de cette approche qui vise exclusivement à soigner : «Si l’art-thérapie est un terme à la mode, on constate que les gens ont tendance à confondre ‘soigner’ et ‘faire du bien’ : il est indiscutable que la pratique d’un art est bénéfique pour
l’humeur, mais elle ne permet pas, à elle seule, de guérir. L’art-thérapie que nous pratiquons ne se confond ni avec une occupation ni avec l’apprentissage d’une technique : il s’agit d’utiliser la médiation artistique pour permettre aux patient·e·s de s’exprimer autrement que dans un langage verbal. » Accueilli au centre avec ses parents, le petit Mathis s’est vu, assez vite, orienté vers l’atelier théâtre : «Je pense que l’équipe a compris qu’il avait besoin de créer ses propres histoires», suppose sa maman. «L’orientation des enfants vers telle ou telle médiation dépend de la conjonction de beaucoup d’éléments», explique quant à elle Anne-Marie Dubois : «Chaque type de pratique artistique sollicite des choses différentes au niveau cognitif et affectif, on essaiera donc d’être au plus près des besoins de l’enfant, sans s’éloigner trop de ses goûts mais aussi en veillant à créer des groupes homogènes dans les ateliers.» Aussi, comme Mathis, des enfants en proie à des difficultés plus ou moins passagères –dyslexie, troubles du sommeil ou de l’alimentation, problème de confiance en soi, deuil ou encore mal-être social ou scolaire– se verront proposer une discipline adéquate après évaluation concertée de l’équipe du centre.
Au nombre de cinq – arts plastiques, modelage, théâtre, danse-mouvement et musique –, les médiations proposées par Les Petits Lutins de l’Art, à raison d’une heure de pratique par semaine, sont encadrées par cinq art-thérapeutes spécialisé·e·s. «Au départ, nous sommes tou·te·s issu·e·s d’une pratique artistique, et nous continuons à exercer notre métier en dehors de l’art-thérapie, c’est important», insiste Grégory Renault, comédien et art-thérapeute en théâtre qui a donc suivi Mathis pendant une année. Formé comme tou·te·s ses collègues du centre par Anne-Marie Dubois, le soignant se félicite d’avoir obtenu sa certification en deux ans tout juste. « Il n’y a pas un diplôme d’État, il existe donc des formations ultra-light. On peut devenir art-thérapeute en un week-end si on le souhaite, mais la formation requise ici est très exigeante : outre le mémoire de fin d’études obligatoire, il y a un minimum d’heures de cours et de stages à effectuer.» «Il est très rare de finir la formation en deux ans car nous insistons sur l’importance des stages », confirme Anne-Marie Dubois. «En effet, au même titre qu’il serait vain de comprendre ce qu’il se passe dans une psychanalyse en assistant à une seule séance, il est inutile de participer à un unique atelier
pour saisir ce qu’est l’art-thérapie; la pratique est lisible dans la durée!» Comme dans les thérapies classiques, ce qui se dit dans les ateliers n’en sort pas. « Ce que vivait Mathis au centre, c’était son domaine réservé», nous confirme sa maman, ravie d’avoir vu son fils évoluer dans un sens très positif. «Dans la mesure où il s’agit d’enfants, il est évident que nous devons impliquer les parents», souligne néanmoins Anne-Marie Dubois. « Ils sont reçus toutes les 10 ou 12 séances par la directrice du centre qui leur fait un compte rendu et reste, bien sûr, à leur écoute tout en veillant systématiquement à préserver l’intimité des petit·e·s.» De toute façon, il serait impossible de traduire en mots ce qu’il s’est passé dans l’atelier, car l’art-thérapie ne cherche en aucun cas à formaliser, pas plus qu’à interpréter. «La séance est un temps entre parenthèses au cours duquel l’enfant est guidé·e pour exprimer l’intériorité d’un sentiment grâce à la pratique», résume Anne-Marie Dubois, soucieuse de nous éclairer sans limiter la portée de l’approche thérapeutique. «Aujourd’hui, on a tendance à la classer, à tort, au rang des médecines modernes un peu alternatives. En réalité, l’art-thérapie est arrivée et a été théorisée en France dans les années 50. Depuis, elle a largement fait ses preuves. »
Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous au Palais de Tokyo à la rentrée : un colloque sur le sujet est organisé en partenariat avec Les Petits Lutins de l’Art.