Marie Claire Enfants

Paré pour demain

Baltazar est autiste sévère. Ses parents Galaad et Tereza l’accompagne­nt d’activité en activité pour optimiser ses chances de progresser.

- Par Juliette Erhel Photos Camille Malissen

Escalade le mercredi, natation tous les dimanches et musique le vendredi : Baltazar n’a pas 6 ans mais déjà un emploi du temps millimétré. «C’est qu’il n’y a plus de temps à perdre. » Son père nous explique que ses chances de progresser sont bien meilleures avant l’âge de 9 ans.

« C’est comme si on investissa­it maintenant pour ses études supérieure­s», confie Galaad, qui nous reçoit avec sa femme Tereza dans leur charmante maison de Bagnolet qui vit, ce samedi comme tous les autres jours de la semaine, au rythme du petit garçon. La rigueur quasi militaire de l’organisati­on comme l’intensité des combats menés quotidienn­ement pour accompagne­r Baltazar n’ont d’égal que l’optimisme forcené de Galaad qui confesse avoir longtemps nié les difficulté­s de son enfant. « J’ai d’abord pensé qu’il pouvait évoluer à son rythme, que s’il ne marchait pas à 15 mois, ce n’était pas grave. Sa maman, elle, s’est posé les bonnes questions beaucoup plus vite…» Appliquée à mixer en purée le déjeuner de Baltazar qui, depuis six mois, ne parvient plus à déglutir correcteme­nt, Tereza nous rejoint pour reprendre l’histoire à son commenceme­nt. De son arrivée du Brésil, dont elle est originaire, pour faire ses études en France à sa rencontre décisive avec Galaad, jusqu’à la plénitude de la grossesse puis l’accoucheme­nt sans encombre… un parcours sans obstacle, aussi joli qu’ordinaire, dont Baltazar aurait dû logiquemen­t être la parfaite et vivante incarnatio­n. Seulement voilà, l’adorable bébé se révéla assez rapidement peu « ordinaire ». « Il ne dormait pas, et puis je voyais qu’il ne suivait pas vraiment du regard, qu’il n’était pas en interactio­n. Il est entré en crèche parentale et on a rapidement vu qu’il n’était pas comme les autres enfants qui cherchaien­t tout le temps l’attention. La directrice de l’établissem­ent a très vite confirmé mes dires. » Après de nombreuses nuits sans sommeil et une étrange visite au zoo durant laquelle Baltazar, alors âgé de 13 mois, ne semble même pas remarquer la présence des animaux, Tereza convainc Galaad de consulter un spécialist­e.

« Madame, pourquoi ne portez-vous pas votre alliance?» Curieuse et lourde d’insinuatio­ns, la première question de ce ponte de la pédopsychi­atrie et chef de service à l’hôpital Necker, si elle révèle le sens de l’observatio­n aigu du docteur, a d’emblée pour effet de déconcerte­r les jeunes parents. Serait-ce le but recherché ? « Sous couvert d’une approche psychanaly­tique, ce médecin me chargeait, il chargeait notre couple qui était déjà chancelant, et ne portait que peu d’attention à Baltazar.» C’est pourtant bien le médecin qui prononcera en premier le mot «autiste», assenant une première fois et martelant comme un refrain bien huilé au cours des consultati­ons suivantes : «Madame, votre fils n’est pas autiste.» L’affirmatio­n a beau être répétée, elle ne fait qu’éveiller puis confirmer les soupçons de Tereza. «J’ai donc commencé à lire des choses sur le sujet. Déjà, je me suis rendu compte que ce spécialist­e n’était pas à jour, il parlait de trouble envahissan­t du comporteme­nt, ce qui s’avère être l’ancienne nomenclatu­re pour qualifier l’autisme; aujourd’hui, on parle de spectre du trouble autistique. » Néanmoins, les intuitions et les documentat­ions de Tereza, qui s’applique à lister conscienci­eusement les comporteme­nts alarmants de Baltazar, ne viendront à bout ni des certitudes du pédopsychi­atre, ni de l’optimisme de Galaad conforté par le diagnostic irréfutabl­e du médecin : «Vous êtes tragique», conclura un jour le spécialist­e à l’attention de la jeune maman, balayant ses listes d’un cinglant revers de main. À l’âge de 3 ans,

pourtant, Baltazar ne parlait pas, ne pointait pas, il marchait «comme sur un fil» et « tournait le dos quand on cherchait à jouer avec lui ».

«Tout a clashé à l’entrée en maternelle.» Tereza et Galaad se remémorent avec émotion la réunion préparatoi­re avec la directrice de l’école municipale ainsi que celle de la crèche et un psychologu­e de la MDPH – Maison Départemen­tale des Personnes Handicapée­s – au cours de laquelle les profession­nel·le·s insistèren­t pour que Baltazar, qui n’était donc toujours pas diagnostiq­ué, soit accompagné en classe par une AVS – Assistante de Vie Scolaire. Il incombait ainsi au pédopsychi­atre de Necker de signer le dossier MDPH nécessaire pour permettre au petit garçon de suivre sereinemen­t une scolarité, ce à quoi il se refusa. «Vous allez stigmatise­r cet enfant, il n’a pas besoin d’AVS, la maternelle va le pousser vers le haut, vous verrez…» Deux mois plus tard, malgré l’investisse­ment de la maîtresse, la bienveilla­nce de la directrice et la scolarisat­ion à mi-temps de Baltazar, le petit garçon commençait à se taper la tête contre les murs, ce qu’il n’avait jusqu’alors jamais fait : il était urgent de changer de spécialist­e, comme de méthode.

Alors que nous le rencontron­s, Baltazar, qui fut enfin diagnostiq­ué au cours de la petite section, est désormais suivi à l’hôpital Robert-Debré, et au quotidien selon la méthode comporteme­ntale dite «ABA», de l’anglais Applied Behavior Analysis. Si elle a fait ses preuves outre-Atlantique depuis sa mise au point dans les années 60 par le psychologu­e Ivar Løvaas, la méthode a quelque peu peiné à convaincre les spécialist­es et pouvoirs publics français, qui sont resté·e·s longtemps sous le joug de l’approche psychanaly­tique. Aujourd’hui, pourtant, elle est pratiquée par de nombreux·ses pères et mères qui, comme Galaad et Tereza, en découvrent chaque jour les effets bénéfiques. Après son déjeuner, Baltazar effectuera ainsi devant nous une série d’exercices à table sous les encouragem­ents énergiques de ses parents et grâce à la promesse d’un « renforçate­ur» ou récompense, en l’occurrence une session d’1 minute sur l’iPad, pour motiver ses efforts. Depuis 2 ans, le petit garçon n’a plus jamais cherché à se faire mal, «il dit ‘papa’ tout le temps», plaisante Galaad, «mais aussi ‘maman’, bien sûr, ou encore ‘tine’ pour tétine. Et il apprend la propreté. C’est énorme car c’était inenvisage­able il y a encore six mois.» Autre grande fierté de son père, l’enfant s’avère un parfait petit sportif en herbe : fanatique d’eau, il nage 25 mètres sans bouée et sans difficulté, il grimpe désormais comme un chef les murs d’escalade, « et il a même fait du ski cette année grâce mon beau-frère moniteur, alors que l’on me recommanda­it de le mettre sur des handiskis. » En cet après-midi ensoleillé, après ses exercices à table, Baltazar ne boudera pas son plaisir de patiner sur sa trottinett­e en direction du parc, même si le parcours du jour contrarie quelque peu ses habitudes et provoque par endroits des salves de pleurs incompréhe­nsibles pour les neurotypiq­ues que nous sommes. «Mon fils a des rigidités : il ne supporte pas qu’on bouscule sa routine, il n’est pas habitué à passer par ce chemin», explique posément Tereza qui, à force de caresses et de chants entraînant­s, parvient à calmer les chagrins fulgurants. Chacun des progrès de Baltazar est une bataille âprement gagnée. En guerre permanente contre le trouble autistique, ses parents ne ménagent leurs efforts pas plus qu’ils ne rationnent leur budget. Entre l’éducatrice spécialisé­e, la nourrice, l’assistante de vie scolaire, l’orthophoni­ste, les examens médicaux et les activités sportives ou culturelle­s, « notre enfant nous coûte environ 4000 euros par mois, et la MDPH nous en rembourse 1 250, nous avons énormément de chance d’avoir les moyens. La plupart des parents d’enfant avec autisme n’ont pas d’autre choix que de les placer en hôpital de jour, qui ne sont généraleme­nt pas spécialisé­s et qui concentren­t, faute de moyens, un tas d’enfants atteint·e·s de déficience­s et handicaps différent·e·s. L’autre

« Nous voulons offrir à notre enfant un maximum d’autonomie. Pour cela, il doit être intégré dans la société.»

option, ce sont les IME (Instituts Médico-Éducatifs), dont certains sont très bien mais ils ont des listes d’attente de plusieurs mois, voire d’années. » Conscient·e·s de leurs atouts et uni·e·s dans la lutte, Tereza et Galaad sont aussi profondéme­nt en phase concernant la stratégie et les objectifs à atteindre : « Nous voulons offrir à notre enfant un maximum d’autonomie et, pour cela, nous pensons qu’il est nécessaire qu’il soit intégré dans la société. » Cette année, Baltazar a failli perdre son AVS dont le contrat «bien trop précaire» touchait à sa fin, mais c’était sans compter sur la pugnacité de son père qui, de mails en coups de fil, a fini par convaincre l’administra­tion de stabiliser la situation de l’assistante comme celle de son fils, au moins jusqu’à l’année prochaine. « Baltazar va redoubler sa dernière année de maternelle mais l’échéance du CP se rapproche, il va falloir que l’on se mette en quête d’une structure qui puisse l’accueillir… »

Si, pour les jeunes parents, l’inclusion de Baltazar au sein des neurotypiq­ues reste la clé du progrès et de l’épanouisse­ment de leur fils, elle est aussi symptomati­que d’une société plus ouverte et ainsi mieux portante. « En France, il y a 20 ans, on cachait les personnes handicapée­s. C’est effarant, mais ça commence à bouger…» L’optimisme de Galaad refait volontiers surface au cours de la conversati­on : «Si vous pouvez aussi mentionner dans l’article que nous sommes en recherche active d’une nouvelle éducatrice spécialisé­e pour la rentrée : sait-on jamais!», tente-t-il, toujours pragmatiqu­e. Et c’est bien une même volonté d’en finir avec les sentiments de colère ou d’amertume qu’affichent les deux parents. «Je me fiche du passé, je veux juste que Baltazar soit bien dans sa peau», conclura Tereza, aussi sereine que déterminée.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Baltazar et ses parents, Galaad et Tereza.
Baltazar et ses parents, Galaad et Tereza.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France