On ne naît pas raciste, on le devient
Aujourd’hui, Léo* vient de faire sa rentrée en 6e à Balzac, dans le 18e arrondissement de Paris. S’il apprivoise doucement la lourdeur du cartable et les incessants changements de salle de classe, il a vite trouvé ses repères dans le collège de son quartier où il a « des copains de toutes les couleurs », et explique posément qu’il ne se définit pas par rapport à sa peau mais plutôt comme un « passionné de sport : c’est vraiment ça qui me distingue ! » Célébrissime sportif quant à lui, Lilian Thuram, fondateur de la fondation éponyme dont le credo est d’éduquer les enfants pour venir à bout du racisme, explique n’avoir pris conscience de sa couleur qu’à son arrivée en métropole alors qu’il avait neuf ans. « Je suis né et j’ai grandi en Guadeloupe, et là-bas, la question ne s’était jamais posée dans la mesure où nous étions tous noirs. C’est à mon entrée en CM2 dans une classe parisienne que les enfants m’ont fait comprendre que j’étais moins bien qu’eux parce que je n’étais pas blanc. Ça a été un choc! » Le traumatisme est toujours vivace pour la maman de Léo qui reste effarée que son fils métis ait pu entendre un « sale Noir » alors qu’il n’était qu’en moyenne section de maternelle. « Je ne pouvais pas imaginer qu’un enfant de 4 ans ait ce genre de vocabulaire… »
« Sale chinois », « Eh, le Noir, tu viens avec nous en sortie? », « Ils sont moches, tes cheveux frisés ! »… Sur Internet, les témoignages de parents d’enfants victimes de violences de la part de camarades dès le plus jeune âge pullulent, au point de se demander si les enfants auraient naturellement une propension au racisme. De nombreux psychiatres s’accordent à dire que les petits ont très tôt, parfois dès l’école maternelle, conscience des différences mais n’en tirent pas pour autant naturellement d’interprétations péjoratives. Professeure de la psychiatrie des enfants et chef de service de la maison de Solenn où elle a installé une consultation de soins transculturels pour les enfants de migrants et leurs parents, Marie Rose Moro explique que les enfants vont effectivement chercher ce que signifient les différences qu’ils constatent, et qu’à un âge où ils sont particulièrement malléables, ils sont très susceptibles d’être influencés et ainsi d’intégrer « une hiérarchisation négative et systémique qui amène à la discrimination ».
Lilian Thuram rapporte encore une anecdote concernant son fils moqué par ses camarades quand il était plus jeune, au motif « qu’il ne pouvait pas comprendre les maths puisqu’il était noir… » L’ex-champion du monde, qui a étudié longuement la question du racisme avant de se lancer dans un combat « qui est l’oeuvre de toute une vie », explique que les préjugés concernant l’intelligence ou les capacités physiques –qui sont intégrés par les plus jeunes– résultent d’un conditionnement historique dont les gens n’ont même plus conscience et qui a généré des habitudes que l’on reproduit. « On nous dit que le racisme est naturel, mais c’est absolument faux : la hiérarchisation entre les couleurs de peau, les genres ou les orientations sexuelles sont de pures constructions qui ont eu lieu à un moment de l’histoire de l’humanité et qui perdurent, parce que des gens les nourrissent. »