Marie Claire Enfants

Éduquer pour changer le monde

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À l’aise dans ses baskets, Léo qui, depuis l’incident de maternelle, se souvient avoir subi au moins trois attaques quant à sa couleur de peau, relate avoir eu à chaque fois envie de se battre mais sans pour autant se sentir visé personnell­ement. « Ce qui m’énerve ou qui me rend triste, c’est que les autres ne soient pas acceptés à cause de leur différence. Moi, je me sens bien, j’ai confiance en moi, mais ce n’est pas le cas de tout le monde; par exemple, mon meilleur ami, il est peureux… » Exceptionn­elles pour un préadolesc­ent de son âge, cette assurance et cette faculté à prendre du recul sont sans doute aussi le fruit de l’éducation de sa maman qui a toujours veillé à ce que son fils se donne les moyens de réagir « mais en évitant à tout prix qu’il se victimise. » Pourtant, pour la plupart des jeunes qui en font les frais, le racisme est une « violence inouïe, car c’est une violence existentie­lle : cela touche à quelque chose qui est essentiell­e pour un être humain, a fortiori un enfant, l’estime de soi », explique Lilian Thuram. « Aux États-Unis, par exemple, une expérience a été menée auprès d’enfants noirs. On leur a présenté une poupée noire et une poupée blanche. Puis on leur a demandé laquelle était jolie, gentille, laide, méchante… et laquelle leur ressemblai­t. Ces enfants ont désigné la poupée noire comme vilaine et méchante, pourtant il la choisissai­t comme celle qui leur ressemblai­t… » Ainsi, l’intérioris­ation du racisme est bien effective dès le plus jeune âge et ce, même chez les victimes. La question reste donc de savoir comment venir à bout d’un système qui semble véritablem­ent ancré dans la culture et les mentalités.

Pour le professeur Marie Rose Moro, il est important de ne pas nier les différence­s constatées par les enfants, car cela conduirait à faire du sujet un tabou et ne correspond­rait pas à la réalité qu’ils observent. Mais cela n’implique pas de se montrer fataliste! « Lorsqu’enfant, j’ai rapporté à ma mère les propos de mes camarades quant à ma couleur, elle m’a répondu que les gens étaient racistes et que nous n’allions pas les changer. Ce qui, à mon sens, est une mauvaise réponse. » Aujourd’hui, Lilian Thuram occupe d’ailleurs la plupart de son temps à faire mentir la sentence maternelle grâce à sa fondation. Invité régulier en milieu scolaire pour parler du sujet et débusquer tout stigmate et manifestat­ion du conditionn­ement dans les classes, l’ex-sportif, entre autres opérations et conférence­s, a lancé le concours Nous Autres. La sixième édition, dont les lauréats seront récompensé­s en 2021, invite les enseignant­s à concevoir avec leur classe une production artistique (histoire, chanson, théâtre ou vidéo…) illustrant la déconstruc­tion du racisme. « Si un enfant a travaillé sur le sujet, il sera plus apte à changer la société », insiste-t-il.

Selon Marie Rose Moro, l’éducation à l’école doit être en partie consacrée à la lutte contre le racisme, cela fait d’ailleurs partie des recommanda­tions européenne­s. Mais pour l’instant, la notion de racisme n’est pas intégrée au programme au même titre que le civisme dans les écoles françaises, et elle reste du ressort des initiative­s individuel­les de professeur­s éclairés. Aya, qui rentre en 5e dans un collège de Livry Gargan en Seine-Saint-Denis, vante les bienfaits d’un tel enseigneme­nt. « L’année dernière, notre professeur de français nous a fait étudier un texte qui racontait qu’il y a longtemps, quand tout le monde était raciste, les Noirs devaient s’asseoir à l’arrière dans le bus alors que les Blancs étaient devant. Je trouve ça inadmissib­le, c’est ça qui m’a donné envie d’être avocate plus tard! » Léo, lui, ne se souvient pas avoir abordé ce sujet en classe, mais son histoire personnell­e et son extrême sensibilit­é le poussent à s’insurger contre « ceux qui n’acceptent pas les différence­s. »

Reste, pour Lilian Thuram, à convaincre les enfants qui ne sont pas concernés par les discrimina­tions aujourd’hui, d’avoir, demain, le courage d’ouvrir les yeux pour faire enfin bouger les choses.

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