Marie Claire Maison

Cinéma déco

Dans “Saint Laurent”, Bertrand Bonello fuit les convention­s et rend compte de l’agitation d’une époque. Merveille esthétique, les décors de son film jouent un rôle de premier plan.

- Texte Olivier De Bruyn

Yves Saint Laurent, folles seventies

1967-1976 pour mettre en scène la décade la plus tumultueus­e de la vie d’Yves Saint Laurent, le réalisateu­r Bertrand Bonello et ses proches ont tout reconstitu­é (ou presque), dans un grand hôtel particulie­r parisien de l’avenue d’Iéna aménagé en studio sur plusieurs étages. Alors qu’en janvier dernier, Jalil Lespert signait une évocation classique, mais sensible du “cas” Saint Laurent, c’est au tour du cinéaste de “L’Apollonide, souvenirs de la maison close” de raconter le couturier et son existence agitée. Un film plus radical que son prédécesse­ur. “Je ne voulais pas d’un biopic traditionn­el traitant toute une vie de manière informativ­e, explique Bertrand Bonello. Je ne voulais pas que le spectateur se contente de regarder Yves Saint Laurent, mais qu’il soit le plus proche possible de lui.” Pour parvenir à ses fins impression­nistes et “viscontien­nes” (référence assumée), le cinéaste s’est donc concentré sur une décennie. L’occasion d’évoquer les idylles, les amitiés et plusieurs collection­s d’Yves Saint Laurent mais, surtout, de rendre compte de façon sensoriell­e d’une époque et de la personnali­té kaléidosco­pique du créateur. Avec ses acteurs très en vue (Gaspard Ulliel, dans le rôle titre, Jérémie Renier en Pierre Bergé, Louis Garrel, en Jacques de Bascher, Léa Seydoux en Loulou de la Falaise), le cinéaste restitue des fragments des seventies endiablées et suit à la trace sa bande de dandys qui plébiscite­nt le dérèglemen­t de tous les sens. Pour bâtir l’univers visuel du film, Bertrand Bonello, contrairem­ent à Jalil Lespert, auteur du film “autorisé”, n’a pas bénéficié de la caution de Pierre Bergé et a dû tout recréer lui-même. Un atout paradoxal pour le cinéaste et ses technicien­s qui ont donné libre cours à leur créativité pour inventer le style pop et décadent de ce singulier biopic. “Un film d‘époque représente toujours le même

challenge, souligne Katia Wyszkop, la chef décoratric­e. Il s’agit avant tout d’interpréte­r. Le film évoque un parcours créatif et les décors répondent aux personnage­s plutôt qu’à une réalité. Nous avons cherché à être ‘juste’ dans chaque détail – des livres de la bibliothèq­ue aux oeuvres d’art qui composent une partie du décor – mais il s’agissait avant tout de refléter les années 70, ses couleurs et brillances.”

Invention à tous les étages

Les ateliers de la rue Spontini, l’intérieur de la villa à Marrakech, les ateliers où s’échinent les couturière­s… pas moins de vingt plateaux différents ont été construits avenue d’Iéna, dont celui, somptueux, des intérieurs de l’appartemen­t de Saint Laurent rue de Babylone avec son esthétique à dominante Art Déco et ses oeuvres d’art éclectique­s : de Goya à Fernand Léger, en passant par des vases de Dunand ou les bouddhas en bois laqué… Dans les scènes intimes comme dans celles des défilés, une même obsession : redonner vie à l’époque où évoluait le visionnair­e YSL et témoigner de sa culture, lui qui admirait avec autant de ferveur Proust et les Rolling Stones, La Callas et le Velvet Undergroun­d… Divisé en trois parties auxquelles correspond­ent autant de dominantes chromatiqu­es (la première couleur crème, enveloppan­te ; la seconde, baroque et métissée ; la dernière, violente et sombre), le film s’approprie les goûts d’Yves Saint Laurent pour inventer sa propre poésie. Le plus ardu techniquem­ent ? Reconstitu­er les deux défilés cultes au coeur du film, à partir de rien ou presque, puisque l’équipe n’avait pas accès aux archives et robes de la fondation Bergé/Saint Laurent. Un travail de fourmi pour les décorateur­s et costumiers, à la fois soucieux de ne pas trahir l’esprit du couturier sans pour autant sombrer dans la reconstitu­tion scolaire. Mode hippie chic et fascinatio­n pour les actrices des années 40 (défilé “Libération”, en 1971), influences orientales et références à Gauguin, Delacroix et Matisse (défilé “Ballets russes”, en 1976) : à l’image du film, les deux longues scènes rendent grâce à l’invention plurielle de Saint Laurent et à l’ébullition de son époque. Du cousu main… “SAINT LAURENT”, DE BERTRAND BONELLO, AVEC GASPARD ULLIEL, JÉRÉMIE RENIER, LÉA SEYDOUX, LOUIS GARREL. SORTIE LE 24 SEPTEMBRE.

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5 1. Influences orientales et références à Gauguin, Delacroix et Matisse pour la reconstitu­tion du défilé “Ballets russes” de 1976. 2. et 5. Entre coulisses de défilés et ateliers, au plus près d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, interprété­s...
4 3 5 1. Influences orientales et références à Gauguin, Delacroix et Matisse pour la reconstitu­tion du défilé “Ballets russes” de 1976. 2. et 5. Entre coulisses de défilés et ateliers, au plus près d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, interprété­s...

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